Entretien avec Maxime Prévot et Georges-Louis Bouchez: “Le changement va s’appliquer à tout le monde”
Ensemble, Maxime Prévot et Georges-Louis Bouchez comptent profiter de l’absence de la gauche pour mener leurs réformes en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Et le grand screening des dépenses et des aides publiques se poursuivra. Personne – pas même les entreprises – n’y échappera.
Au sortir des élections communales, le choix de l’une ou l’autre section a pu créer quelques tensions entre le MR et Les Engagés. À Nivelles ou à Wavre, par exemple, et peut-être bientôt à Mons. Mais le duo le jure, il n’y a pas d’eau dans le gaz.
Trends-Tendances. Le couple MR-Engagés bat-il de l’aile ?
Maxime Prévot. Tout va bien (grand sourire). C’est d’ailleurs comique de lire parfois certains articles de presse qui donnent le sentiment que ce n’est pas le cas.
Georges-Louis Bouchez. C’est le contraire même. Quand on fait le calcul objectif de notre alliance au niveau communal, on a fait basculer plein de maïorats et de majorités. Alors, bien sûr, il y a le cas de Wavre, qui est symbolique. Mais il faut pouvoir aussi reconnaître la réalité électorale : l’équipe libérale a été battue. Il faut l’accepter.
Ça n’a pas créé de déception ?
GL.B. En interne, certains ont évidemment été sous le coup de l’émotion. Personnellement, je ne l’ai pas vécu comme une trahison. Encore une fois, on reste deux partis différents. Le rôle des Engagés, ce n’est pas de servir le MR.
M.P. C’est bien de l’entendre dire de sa part (rires). On a décidé de travailler ensemble, avec de la cohérence et du respect. Je n’ai pas de raison de penser qu’il en sera différemment dans les cinq ans à venir.
Vous n’avez pas fusionné du jour au lendemain, donc ?
M.P. Non. Pas plus que je n’avais fusionné avec le PS, à l’époque. Nous sommes deux formations aux sensibilités différentes, mais qui peuvent être complémentaires. Je n’ai pas donné de consignes particulières aux listes communales, où la dimension interpersonnelle joue beaucoup. Il est vrai que la proximité du scrutin de juin avec celui d’octobre a conservé ce parfum de cohérence entre les Engagés et le MR. Mais sans que cela se fasse au détriment de l’autonomie locale.
Globalement, êtes-vous satisfaits des résultats ?
M.P. Les citoyens ont redit en octobre leur envie d’un changement de fond et de ton au niveau de la Wallonie. Celles et ceux qui ont pu penser qu’il s’agissait d’errements statistiques en ont eu pour leur compte. Malgré les caricatures véhiculées durant tout l’été par le PS, Ecolo et le PTB. Le budget wallon a montré que nous n’avions rien caché sous le tapis.
En parlant de ce budget wallon. La réduction des droits d’enregistrement ne laisse aucune place pour de nouvelles politiques en 2025.
GL.B. J’ai lu cette critique, mais je ne la comprends pas bien. Bien sûr qu’il y a des choses qui vont arriver dans les prochains budgets. Mais on ne peut pas budgétiser maintenant la réforme des aides à l’emploi, par exemple, alors que la réforme n’est pas encore faite. Il y a de l’aspiration au changement. Tant mieux. Mais il y a aussi une certaine impatience dans le chef de certains.
La garde rapprochée de Georges-Louis Bouchez
Trois personnes suivent de près les négociations fédérales auprès de Georges-Louis Bouchez. La première est David Clarinval, vice-Premier ministre sortant. C’est l’homme de confiance du président à l’échelon fédéral, celui qui veille aux intérêts des classes moyennes et des indépendants. David Clarinval relaie la parole présidentielle et peut mettre de l’eau dans le vin.
La seconde se nomme Axel Miller, chef de cabinet du MR. Il orchestre avec “ordre et méthode”, ce qui est nécessaire vu la fougue présidentielle. Cet ex-CEO de Dexia avait rejoint le parti après son aventure dans le secteur bancaire. Axel Miller accompagne la “vision globale” de Bouchez.
La troisième pièce du puzzle, essentielle, est Valentine Delwart, la secrétaire générale du MR. Cette Uccloise était proche de Charles Michel, sa “gardienne” du parti. Elle a poursuivi avec Olivier Chastel et épaule désormais le Montois. C’est la gestionnaire des ressources humaines et des états d’âme, la discrète qui sait tempérer le feu… parfois.
Dans les groupes de travail, on a vu défiler des parlementaires de confiance comme Mathieu Bihet, qui est aussi délégué général du MR, un poste occupé par GLB du temps de Charles Michel. Il est l’expert sur les questions énergétiques. Mathieu Michel, fils de Louis et frère de Charles, perpétue la tradition familiale. Denis Ducarme, ancien rival de Bouchez à la présidence, s’investit dans les matières de sécurité.
Qassem Fosseprez et John Hendrickx, porte-parole francophone et néerlandophone, sont des clés dans la quête présidentielle d’établir le MR comme un parti “populaire”. Pour le reste, GLB passe beaucoup de temps dans les sections, à la rencontre des patrons et des travailleurs. Il se nourrit du terrain et demande à ses relais de l’abreuver en ce sens. Adrien Dolimont et Pierre-Yves Jeholet (Wallonie), Valérie Glatigny (Fédération Wallonie-Bruxelles) ou David Leisterh (Bruxelles) sont ses relais régionaux.
C’est vous qui l’avez créé cette impatience, avec une DPR faite de grandes promesses…
GL.B. On en est heureux et on ne va rien lâcher. Cela permet d’ailleurs à nos ministres de rester sous cette pression positive du changement. Mais encore une fois, on ne peut pas lancer des réformes majeures au bout de quelques mois.
M.P. Sans oublier qu’en quatre mois, on a déjà posé des gestes forts. Que ce soit en matière de fiscalité, de fin des nominations dans la fonction publique ou de simplification administrative. On ne doit pas attendre qu’en quatre mois, on fasse le programme des cinq années de la législature.
Il n’en reste pas moins qu’au niveau des nouvelles politiques, 2025 semble être une année perdue…
GL.B. Non, elle n’est pas perdue. Pour commencer, des efforts sont fournis. Ensuite, si nous avions déjà budgétisé la réforme du Forem, par exemple, on nous aurait reproché de ne pas faire de concertation. On connait les grands objectifs budgétaires que l’on doit atteindre, mais la négociation apportera des ajustements. Et puis, ce n’est pas parce qu’elle n’est pas inscrite au budget qu’une réforme ne pourra pas être votée dès l’année prochaine.
M.P. En fait, il ne faut même pas en être surpris. À partir du moment où vous devez combler un déficit structurel et éviter que la Wallonie ne chavire, la période n’est pas vraiment propice pour dépenser des centaines de millions d’euros pour des politiques nouvelles. Ce que l’on veut surtout, nous, c’est une nouvelle politique : réduire la voilure de la dépense publique, sans que cela n’impacte la qualité du service et le portefeuille du citoyen. Aujourd’hui, nous avons des structures obèses et nous sommes au pied du mur. Nous devons mettre en œuvre cette rationalité.
Mais comment crée-t-on une dynamique avec ça ? La première année d’une législature donne souvent le ton…
M.P. La dynamique, elle ne se fait pas juste en vendant du rêve. Elle se fait vis-à-vis d’un discours vrai, qui voit loin et juste. Nos concitoyens savent très bien que nous vivons au-dessus de nos moyens. Et ils savent que cela hypothèque nos capacités en matière de pension et de sécurité sociale. Le politique n’a pas vocation à brosser les gens dans le sens du poil. Ceux qui surfent sur le “tout gratuit” ont d’ailleurs été sanctionnés. Vous savez, prendre la décision sur le tram de Liège, nous avions plus à perdre qu’à gagner, mais nous l’avons fait…
GL.B. …et ça n’a pas empêché le MR d’être le premier parti à Liège (sourire). On nous pose souvent la question : “Est-ce que vous aurez assez de temps pour renouveler la Wallonie en cinq ans ?” On ne va rien lâcher. Nos ministres sont au boulot depuis le premier jour, et comptez sur nous s’ils ont un petit coup de mou. Mais il faut manier deux approches : susciter l’espoir, tout en travaillant rationnellement.
En évitant, pour le moment, du sang et des larmes…
GL.B. Il ne faut pas faire du “sang et des larmes” pour le plaisir. Si l’on veut pouvoir transformer la Wallonie, il faut l’adhésion des acteurs. Si lors de votre premier budget, vous commencez à taper tout le monde pour avoir des marges, ça n’a pas de sens. Notre stratégie, c’est d’emmener les gens dans le changement. Pour qu’ils se rendent compte que ce changement est bénéfique. Notre grand besoin, ce n’est pas de multiplier les investissements, mais de rendre l’appareil public plus efficace. Ensuite, tout ne sera pas budgétaire. La simplification administrative, c’est par exemple la première demande des entreprises, avant même la compétitivité.
M.P. Tous les CEO que l’on rencontre, de la petite PME à la grande entreprise, disent avoir besoin d’une délivrance plus rapide des permis d’urbanisme. Pour la première fois, une DPR ose remettre en cause l’équilibre entre les recours citoyens et l’intérêt général. Actuellement, un citoyen, seul, peut saisir le Conseil d’État pour mettre des bâtons dans les roues des acteurs publics ou privés. Je pense qu’on a été trop loin dans la faculté de permettre à tout le monde de tout contester tout le temps.
Le principal poste de réduction des dépenses concerne les subventions facultatives, “les faits du prince”, de quoi s’agit-il exactement ?
M.P. C’est un élément clé sur lequel on s’est tout de suite entendu. En fait, chaque ministre wallon dispose d’une enveloppe pour soutenir une série d’acteurs des secteurs pour lesquels il est compétent. Ces subventions sont cruciales pour une série d’ASBL qui produisent des services essentiels, en matière de pauvreté, de violences faites aux femmes ou encore d’environnement. Mais le problème est que ces subventions sont récurrentes. Elles interviennent chaque année. Si bien que ces ASBL devenaient dépendantes du bon vouloir du ministre, du “fait du prince”, ce qui fragilisait leur modèle. Ce que nous souhaitons, désormais, c’est de passer au crible ces ASBL. Et pour celles dont les missions sont pertinentes, les faire basculer vers un financement pluriannuel.
GL.B. C’est une révolution culturelle. Parce qu’il y a eu de nombreuses dérives. Du genre à financer 2.000 euros par-ci, 1.000 euros par-là, des intérêts locaux de type kermesse. Du pur gaspillage d’argent public, parce qu’il y avait aussi tout le coût de traitement. C’était une situation moyenâgeuse.
Ce n’est donc pas qu’une idée reçue…
M.P. Bien sûr que non. Des ministres donnaient des chèques de 500 euros pour faire plaisir à l’un ou à l’autre.
La garde rapprochée de Maxime Prévot
Quand il négocie avec le formateur Bart De Wever, Maxime Prévot est accompagné de son principal “sherpa”, qui le conseille sur le plan technique. Il s’agit de Patrick van Ypersele, une figure bien connue des rouages du parti. Juriste de formation, l’Ixellois est passé par les cabinets de Jean-Pol Poncelet, Catherine Fonck et de Melchior Wathelet. En 2019, il devient le secrétaire politique du groupe cdH à la Chambre. Une fonction qu’il occupe toujours pour Les Engagés. Comme Maxime Prévot, Patrick van Ypersele est parfait bilingue.
À ses côtés, on retrouve parfois deux autres techniciens importants : Nicolas Dumont, qui est le secrétaire politique du mouvement, et Damien De Vroye, un collaborateur politique qui a pris le rôle de sherpa durant ces négociations politiques.
Dans cette garde rapprochée, on retrouve également Stéphane Nicolas, qui est le chef de cabinet de Maxime Prévot. L’homme a plutôt joué un grand rôle dans toutes les négociations des entités fédérées, en Wallonie, en Fédération Wallonie- Bruxelles et à Bruxelles, où elles sont toujours en cours.
Ensuite, jamais très loin de Maxime Prévot, on retrouve également Audrey Jacquiez, la porte-parole personnelle du président et du parti. Elle a évidemment suivi de très près la campagne électorale, les négociations régionales et fédérales, mais elle était aussi très présente lors de la refondation du mouvement qui a débouché sur Les Engagés.
Enfin, au niveau politique, on retrouve deux figures bien connues : les députés, et sans doute bientôt ministres fédéraux, Jean-Luc Crucke et Vanessa Matz. Tous deux sont en charge des groupes thématiques où se négocient les premières synthèses entre les cinq partis de l’Arizona.
Ce travail de screening, il visera d’ailleurs aussi les aides aux entreprises ?
GL.B. Le but est d’avancer le plus rapidement possible. Encore une fois, le système des aides aux entreprises est un système malsain dont il faut revoir la culture. Il comporte beaucoup de charges administratives, un niveau de fiscalité très élevé, mais qui est compensé par des aides. Il faut revoir tout cela.
Même chose au niveau du plan de relance ?
GL.B. J’ai été stupéfait des projets que l’on a fait passer sous l’égide du plan de relance. Quand vous financez l’ouverture de places aux personnes sans-abris, ce n’est pas de la relance. Une réforme structurelle, c’est plutôt de sortir les gens de la précarité. En fait, avec les subventions facultatives et le Plan de relance, le précédent gouvernement nous laisse des dettes cachées.
Gouvernement où le MR était représenté…
GL.B. Je ne fais le procès de personne. Ce qui est fait est fait. Mais maintenant, c’est à nous de prouver qu’on peut avancer sans la gauche. Sans avoir à subir une pression syndicale ou des mutuelles. L’enjeu, c’est de faire l’analyse de tout ce qui pourrait être un poids pour les années futures. Mais mon message est le suivant : le changement va s’appliquer à tout le monde, aussi bien au secteur associatif qu’aux entreprises ou aux organes qui les entourent.
Vous visez ici Wallonie Entreprendre et les invests wallons. C’est d’ailleurs le deuxième poste le plus important de réduction des dépenses…
GL.B. Wallonie Entreprendre parle toujours de ses succès. Il faudra aussi analyser ses échecs. Il faut que tout devienne transparent et efficace. Ce n’est pas anormal, quand de l’argent public est en jeu, que l’on s’interroge sur des dossiers comme Hamon, AirBelgium ou Deltrian. Il nous faut une véritable stratégie industrielle et pas des effets d’aubaine.
M.P. Cela fait des années que la Wallonie n’a pas de stratégie industrielle. Les plans qui ont succédé au Plan Marshall n’ont pas eu l’audace nécessaire. Par rapport au Plan de relance, la manière dont il a été établi est tout simplement affligeante. Et je pense que c’est faire preuve de courage quand mon partenaire le reconnait sans tourner autour du pot. L’objectif, désormais, est de corriger le tir, pas de chercher les coupables.
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