Vacances d’été: c’est la ruée… malgré les prix

Rien ne dit qu’il y aura assez de capacité de logements sur certaines destinations populaires, comme la Grèce.
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Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Malgré les incertitudes économiques et des prix à la hausse, le Belge se rue sur les vacances. Les chiffres des réservations estivales pourraient même battre ceux d’avant la pandémie. Trois explications à ce paradoxe.

La nouvelle CEO de Brussels Airlines, Dorothea von Boxberg, croise les doigts. Les réservations pour l’été s’annoncent bien, encore meilleures qu’en 2022. Signe avant-coureur: les avions de sa compagnie ont été davantage remplis en avril que l’an dernier à période identique et même qu’en 2019, avant la crise sanitaire. Et ce malgré le décalage des congés de Pâques en Belgique francophone. Malgré aussi une augmentation moyenne des tarifs de 10% qui succédait déjà à une augmentation moyenne de 15% en 2022. Et, bien sûr, malgré la concurrence Ryanair, toujours particulièrement forte en Belgique.

Voilà qui permet à la filiale belge du groupe Lufthansa, et premier transporteur à l’aéroport de Bruxelles-National, de regonfler doucement ses effectifs. La flotte grandit à nouveau: elle compte désormais 41 avions, dont 9 longs-courriers, contre 38 appareils au plus fort de la crise covid, et 48 auparavant.

“La demande est là, nous le notons depuis le mois de novembre et de décembre”, assure Frank Bosteels, senior business development manager chez Connections, un voyagiste qui propose à la fois des séjours de vacances à forfait et des tickets “secs”. “Nous connaissons, pour la première fois depuis la pandémie, une véritable période de réservation anticipée, détaille-t-il. Pour juillet et août, les réservations devraient égaler ou dépasser 2019.”

“Les voyagistes de taille moyenne ont retrouvé leurs chiffres d’avant le covid”, confirme Miguel Cotton, expert dans le secteur du voyage, maître de conférences à l’ULB et qui a longtemps dirigé l’opérateur touristique Continents Insolites. “La hausse des tarifs ne freine pas la demande”, constate aussi de son côté Pierre Fivet, porte-parole de l’ABTO, l’association belge des voyagistes.

Et le phénomène ne touche pas que la Belgique. Après le covid et l’invasion de l’Ukraine, “les patrons des compagnies aériennes font face à un casse-tête plus positif: pourquoi la demande explose malgré la montée des préoccupations sur une récession économique?” résumait dernièrement le Financial Times, constatant la hausse des réservations chez easyJet et Ryanair. Et le quotidien d’estimer que la demande de tickets d’avion en Europe devrait atteindre un record en 2023.

Trois explications

Quelles explications donner à ce bel appétit, entrant apparemment en contradiction avec la période actuelle de crise et d’inflation? La première est l’attrait pour des pays encore difficilement accessibles l’an passé. En Asie notamment, qui fut le dernier continent à s’ouvrir après la pandémie. La hausse des tarifs y est pourtant très élevée.

“Un ticket vers la Thaïlande, qui se vendait 800 euros avant le covid, se paie 1.500 euros, explique Pierre Fivet. Cela freine certains voyageurs, mais les avions voleront complets.” Miguel Cotton confirme: “Les tarifs des avions sur l’Amérique latine, l’Asie ou l’Océanie sont à tomber à la renverse. Voler vers l’Australie avant le covid coûtait environ 1.500 à 1.600 euros. Maintenant cela revient au minimum à 3.500 euros.”

“C’est qui voyageaient déjà continuent, rejoints par une nouvelle catégorie de jeunes ultra-aisés.”

Deuxième raison probable: le Belge a accumulé de l’épargne. “La situation financière des ménages s’est améliorée pendant la crise sanitaire de 2020”, notait la Banque nationale de Belgique dans une étude publiée en octobre dernier.

D’autant que l’indexation automatique des salaires a en partie atténué le choc de l’inflation. Et que des segments entiers de la population n’ont guère été affectés par la crise. “C’est le cas de ceux qui voyageaient déjà: les plus de 55 ans, les retraités qui ne lésinaient pas, explique Miguel Cotton. Affectionnant les séjours sur mesure, ils continuent de voyager, mais sont aussi rejoints par une nouvelle catégorie de jeunes ultra-aisés.”

Pierre Fivet a repéré une troisième raison, plus spéculative: “Dans la dernière édition du sondage que nous organisons régulièrement avec GFK, nous avons constaté que le niveau de craintes des voyageurs à l’égard du futur était assez élevé.” En effet, 81% des répondants s’y sont déclarés inquiets à des degrés divers, et 16% très inquiets. Les consommateurs préféreraient profiter de la vie tout de suite avant des lendemains incertains…

1.289 euros par personne

Ce sondage de l’ABTO est un baromètre intéressant. La version la plus récente disponible concerne les réservations jusqu’à la fin janvier 2023. A cette date, 10,3 millions de réservations avaient déjà été enregistrées, contre 19,6 millions pour toute l’année 2022 et 19,9 millions en 2019. L’enquête montre en outre que le montant moyen des dépenses par personne pour un voyage à forfait de 11 jours s’élevait, fin janvier, à 1.289 euros.

“L’augmentation par rapport à 2022 est de 9%, ce qui est raisonnable compte tenu des circonstances”, continue Pierre Fivet, qui rappelle la hausse de 16% de l’ensemble du marché, donc y compris pour ceux qui composent eux-mêmes leur voyage, s’offrant séparément réservations d’avion et logements. L’ABTO évoque ce dernier chiffre comme argument en faveur des voyagistes. Avec l’espoir que ce secteur pourra récupérer quelque part de marché.

Mais pourquoi cette hausse modérée de 9%? “Une hausse qui se contente de suivre l’inflation, note d’ailleurs Sarah Saucin, porte-parole de TUI, le voyagiste le plus important en Belgique (et en Europe) et qui possède sa propre compagnie aérienne. “Nous avons des contrats avec les hôteliers qui permettent de garantir nos prix”, explique-t-elle. Avec quel succès? TUI Belgique ne confirme pas le niveau précis des réservations car l’entreprise est tenue de limiter provisoirement la publication de certaines informations, en raison d’une opération d’augmentation de son capital.

Mais l’agence Bloomberg indique dans un rapport que les réservations de l’été pour le groupe TUI “pourraient dépasser de 10% la période pré-covid”. L’ensemble de la flotte de TUI Fly en Belgique (33 avions) a en tout cas été remis en service, et la compagnie aura même recours à des avions d’appoint, loués à des compagnies tierces, pour passer l’été sans encombre.

La fin du “last minute”

Sur le front des tarifs, les choses pourraient toutefois encore bouger, et les prix des séjours grimper d’ici l’été. “Cette année, tout le monde voyage: les Américains, les Britanniques, les Asiatiques, prévient Sarah Saucin. Rien ne dit qu’il y aura assez de capacité de logements sur certaines destinations populaires comme la Grèce ou certains endroits dans les Canaries, où c’est très tendu. Il faut donc s’y prendre à temps.”

Pierre Fivet, Association belge des voyagistes
Pierre Fivet, de l’Association belge des voyagistes © PG

Durant les années de covid, les voyageurs misaient sur le last minute. En 2023, cette stratégie pourrait être nettement moins payante. Les voyageurs semblent l’avoir compris puisque les réservations très anticipées ont augmenté. Une manière de limiter la hausse des prix.

L’enquête d’ABTO ne montre toutefois pas de grands changements dans les choix. “Sauf pour les francophones, qui ont opéré beaucoup de réservations pour mai”, remarque Pierre Fivet. Il faut évidemment y voir l’effet du déplacement des congés de printemps des enfants du primaire et du secondaire scolarisés dans des établissements de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

“Les réservations ont sans doute été encouragées par le fait que cette période de mai est considérée comme de la basse saison, donc avec des tarifs plus attractifs, mais avec de plus grandes chances d’avoir du beau temps.” Autant d’arguments pour même réserver deux semaines de congé, afin aussi de compenser les 15 jours de vacances en moins de juillet-août des jeunes francophones.

Les gagnants

Tout le monde ne tirera pas le même parti de ce retour en force des vacanciers. Booking.com, le champion des réservations d’hôtels, est un des grands bénéficiaires. En 2022, il avait déjà dépassé ses revenus pré- covid. Et son cours de Bourse est également supérieur à celui précédent la pandémie. Ce qui n’est pas encore la cas des compagnies aériennes européennes. Pour ces dernières, les investisseurs semblent attendre de vérifier la pérennité de ce rebondissement.

Certaines comme Ryanair affichent toutefois déjà une large sourire, enregistrant des bénéfices record. Mais le groupe Lufthansa est par exemple moins bien placé. Il dépend davantage des voyages d’affaires. Or la clientèle business n’est revenue qu’à 60% ou 70% de son niveau de 2019. Et le trafic cargo faiblit. Cette situation concerne aussi la filiale belge, Brussels Airlines. Voilà qui explique aussi pourquoi, en Bourse, la valeur de Ryanair est de 17 milliards d’euros, soit un tiers supérieure à celle de Lufthansa Group…

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