1+1 gratuit : le consommateur est deux fois perdant

promo 1+1 gratuit
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Sebastien Marien Stagiair Data News 

Le gratuit fonctionne et les promotions 1+1 dominent les supermarchés. Maintenant que même Colruyt s’y met, l’on se dirige vers une guerre des prix. Mais lorsque sonnera la fin de la bataille, le consommateur sera perdant. Il le sera même deux fois. Cela menace la santé et des milliers d’emplois sont en jeu.

Le gratuit n’existe pas. Pour chaque promotion 1+1, il y a toujours au moins une partie de la chaîne d’approvisionnement qui paie la note. Le fabricant supporte les coûts supplémentaires du produit gratuit et il passe ensuite la patate chaude à ses fournisseurs. C’est précisément pour cette raison que Colruyt, la plus grande chaîne de supermarchés du pays, offrait depuis des décennies une réduction de 50 % sur les produits et pas un produit « gratuit ». Purement par principe. Mais il semble que même les principes ont leurs limites, car Colruyt a rejoint la clique des supermarchés offrant les promotions 1+1.

Intuitivement, une compétition entre supermarchés pour augmenter les parts de marché peut sembler une bonne nouvelle pour le consommateur. En réalité, tout le monde est perdant dans une telle guerre des prix. Et le consommateur peut-être même plus que les autres.

Dans Trends, Luc Ardies tire la sonnette d’alarme. « Nous devons, en tant que société, prendre conscience des conséquences négatives d’une guerre des prix. Par le passé cela s’est révélé désastreux. Aux Pays-Bas, Albert Heijn a déclenché une guerre des prix avec ses promotions il y a une vingtaine d’années. L’institut de recherche indépendant EIM a pu en mesurer les dégâts dans une étude datant de 2005. Il est apparu que 17 000 employés de supermarchés avaient perdu leur emploi en quelques années. Ce chiffre est d’autant plus interpellant qu’il ne concerne que le personnel de magasin. En bref, lorsque les supermarchés font étalage de leurs muscles, les emplois disparaissent en masse. »

Pourtant, Colruyt s’attend à ce que cela lui permette de croître…

LUC ARDIES. “C’est vrai, et ce sont les petits supermarchés de quartier qui seront les premiers à payer la note. À ceux-là s’ajoutent les petits fournisseurs. Tout comme les agriculteurs qui se rendent chaque année la peur au ventre à la table des négociations avec les grandes chaînes. En fin de compte, le bilan d’une guerre des prix est toujours négatif en termes d’emplois.

Le problème des chaînes de supermarchés comme Carrefour, Albert Heijn et Delhaize est qu’elles ne pensent pas à long terme. La preuve est cette bataille pour les promotions 1+1. Car, au bout du compte, elles seront toujours perdantes face aux grands géants américains qui ciblent notre marché. La question n’est pas de savoir si des acteurs comme Amazon et Alibaba vont venir, mais quand.”

Y a-t-il d’autres risques liés à une guerre des prix?

“Comme c’est toute la chaîne d’approvisionnement qui est axée sur la réduction des coûts, la qualité de notre alimentation se détériore de plus en plus. Personne n’en est conscient puisque les supermarchés et les fabricants ne font pas étalage de cette baisse de qualité. Sauf que les steaks les moins chers du supermarché proviennent désormais de taureaux au lieu de vaches. Et si la viande est plus dure, c’est en raison de la plus grande masse musculaire et donc moins chère. La qualité du pain a aussi baissé. Les boulangers reçoivent des céréales de monoculture. Ce sont des variétés de céréales spéciales qui peuvent être semées chaque saison sur le même morceau de terre et qui présentent un risque moindre de mauvaises récoltes. Cela semble merveilleux du point de vue économique, mais la qualité est inférieure. Le pain est donc moins digeste et, à long terme, moins bon pour la santé intestinale. Voulons-nous vraiment que la Belgique devienne un pays discount, comme les Pays-Bas ou encore plus largement l’Allemagne ? Avec la guerre des prix qui fait rage dans ce dernier, il est devenu presque impossible de trouver des aliments de qualité.”

En raison de l’inflation des dernières années, il est logique que le consommateur soit devenu plus sensible aux prix...

“Le premier endroit où l’on remarque l’inflation est souvent au supermarché, car nous y allons souvent. Mais ces augmentations de prix ont été ressenties dans toute l’économie. Une étude parue en décembre dernier a comparé les prix des supermarchés belges avec ceux de l’étranger. Il est clair que la Belgique est moins chère, sauf pour les produits de marque. La petite taille de notre marché est un désavantage dans les négociations avec les marques. De plus, les informations sur les étiquettes doivent être en néerlandais et en français, et cela coûte de l’argent.”

Que peuvent faire les politiciens?

“Fixer un prix planché pour les produits dans les supermarchés est irréalisable. Mais je suis optimiste, car le débat a commencé. Le mieux serait que la politique intervienne contre les promotions qui donnent l’impression que les produits sont donnés gratuitement. De telles actions mènent à une escalade, et ce n’est pas sain. Des règles strictes pourraient être appliquées aux actions, ce qui profiterait au consommateur et, par extension, à tout le secteur de la distribution. C’est également dans l’intérêt des grandes chaînes de supermarchés puisque cela créerait un terrain de jeu équitable et ferait baisser la pression qui entraîne des marges bénéficiaires faibles. Les nouveaux acteurs de Chine et des États-Unis, qui entreront sur notre marché à terme, se verront alors imposer les mêmes règles.

Ce problème va bien au-delà de notre pays et doit donc être examiné à tous les niveaux, y compris au niveau européen. Nos détaillants européens sont de petits joueurs comparé aux acteurs américains et chinois qui arrivent chez nous. Ils ne pensent à court terme et il est nécessaire d’intervenir. L’objectif doit être de les aider à trouver un équilibre sain entre un prix concurrentiel et un bon conseil aux consommateurs et une attention à la qualité.”

Les consommateurs ou les médias jouent-ils également un rôle dans cette guerre des prix?

“Les consommateurs doivent surtout prendre conscience que sur le long terme une guerre des prix ou une compétition promotionnelle n’est pas à leur avantage. C’est même eux qui ont le plus à perdre. Mais ce message ne parvient pas facilement aux consommateurs, en partie à cause des médias. Il n’est pas rare de lire des articles sur des promotions folles et il y a presque chaque mois des comparaisons de prix de Test Achats.”

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