Chronométré aux toilettes, retenue sur salaire, intimidation : des employés dénoncent les pratiques de Decathlon

GETTY

Des représentants syndicaux des employés du dépôt logistique Decathlon à Willebroek dénoncent dans le quotidien flamand De Morgen leurs conditions de travail et la manière cavalière dont ils ont été informés de la fermeture du dépôt.

Decathlon a annoncé ce mardi son intention de mettre fin aux activités logistiques du centre de distribution de Willebroek d’ici fin 2024. 132 emplois seront supprimés dans la foulée. Les syndicats déplorent un “impact énorme” et accusent la direction d’ignorer la législation.

Surréaliste.” C’est ainsi qu’Erika Lambert, représentante syndicale de l’ACV (pendant de la CSC en Flandre), décrit dans De Morgen le conseil d’entreprise extraordinaire qui s’est tenu mardi matin au siège de Decathlon à Evere. “Le conseil s’est tenu en ligne, a duré à peine quinze minutes, aucun secrétaire syndical n’était autorisé, et aucune question n’était permise », dénonce-t-elle.

Des représentants expulsés

Il existe pourtant une législation stricte qui doit être respectée pour les annonces collectives de ce style. “Nos collègues qui s’étaient rendus à Evere ont été physiquement expulsés”, déclare, de son côté, Matthieu Marin, secrétaire syndical de l’ABVV-BBTK (FGTB-SETCa). “Nous avons fait constater cela par un huissier. La législation belge semble ne pas s’appliquer à Decathlon. Sous prétexte de conditions « modernes », ils font tout simplement ce qu’ils veulent.” “Il n’y a aucun respect pour le dialogue social”, déclarent les représentants des travailleurs de l’équipementier sportif français.

Un nouveau conseil d’entreprise est prévu ce jeudi, mais la fermeture du dépôt de Willebroek est bien actée. Dans un communiqué, Decathlon précise vouloir transformer son réseau logistique européen d’entrepôts de distribution “afin de mieux répondre à l’évolution des modes de consommation de ses clients”.  “Il est crucial pour nous de réaliser ce projet sans mettre fin unilatéralement aux contrats de travail de nos coéquipiers », ajoutait la société, promettant de recaser le maximum de personnel dans ses autres magasins et départements. 

Parmi les 163 personnes (CDI) qu’emploie le site de Willebroek, les activités des 31 coéquipiers travaillant dans l’équipe circulaire seront maintenues dans leur intégralité, assure la direction. En cas d’arrêt des activités logistiques, les 132 magasiniers et managers se verront proposer en priorité de nouveaux postes au sein du groupe et “bénéficieront de la formation nécessaire associée”, peut-on encore lire dans le communiqué.

« Chronométré aux toilettes »

Les syndicats avaient senti le vent tourner depuis longtemps. “Beaucoup d’employés ont été presque poussés au départ ces dernières années”, confie le représentant syndical Matthieu Marin au Morgen. “Un de nos délégués a même été suivi aux toilettes avec un chronomètre pour voir combien de temps il y restait. Ils savaient qu’il était plus difficile de licencier les représentants des syndicats. Parfois, ils retenaient six jours de salaire, selon une clause stipulée dans le contrat.” Erika Lambert ajoute : “Ou ils ‘aidaient’ les employés à rédiger un CV pour aller chercher du travail ailleurs. Ils leur ont presque refusé la possibilité de s’informer correctement sur les possibilités.”

“Le pourrissement vient d’en haut. “

Matthieu Marin, secrétaire syndical de l’ABVV-BBTK (FGTB-SETCa)

Matthieu Marin pointe surtout du doigt le service du personnel comme responsable. “Le pourrissement vient d’en haut. Ce sont ces gars des ressources humaines, qui ont écrit de gros livres. Ils parlent d’égalité (les employés et les managers sont tous appelés « coéquipiers » chez Decathlon, nldr), mais en pratique, c’est très inégal et paternaliste.”

Cette culture d’entreprise « libérée » dans laquelle prime le management collaboratif transparaît lorsque l’on surfe sur les groupes Facebook des employés français. Des situations similaires y sont rapportées.

Un dépôt Decathlon

Les syndicats ont déposé une plainte auprès du parquet de Malines concernant ces abus. En commission des affaires sociales, il a été révélé que l’affaire était maintenant entre les mains du parquet de Bruxelles. Des infractions aux lois du travail sont en cours d’investigation. Marin explique : “Espérons qu’il y aura maintenant des mesures prises. Je constate que la direction continue de s’en sortir.” Decathlon n’était pas disponible pour commenter ces informations publiées par De Morgen.

« Les consommateurs ont la mémoire courte »

Selon l’expert en vente au détail Gino Van Ossel (Vlerick Business School) interrogé dans le quotidien flamand, ces informations qui ternissent l’image de Decathlon n’auront pas de réels impacts sur les ventes du groupe. “Il y aura un peu de mécontentement et d’indignation, mais les consommateurs ont la mémoire courte. Regardez Delhaize, qui a annoncé franchiser ses magasins l’année dernière, suivi d’un appel au boycott. En septembre, la plupart des magasins avaient retrouvé leur ancien niveau de revenus. Ce qui est très spécifique à Decathlon, c’est que c’est très bon marché, donc les gens continueront à venir. Et il y a aussi un grand contraste entre les conditions dans le centre de distribution et dans les magasins, où la plupart semblent apprécier de travailler. Et c’est avec ces gens que les clients entrent en contact.”

Pas de difficultés économiques

La fermeture à Willebroek ne découle pas de difficultés économiques. La chaîne de vente au détail, qui propose du matériel sportif à des prix très compétitifs se porte plutôt bien. L’année dernière, le chiffre d’affaires a augmenté de 4,4 % pour atteindre 15,8 milliards d’euros, avec un bénéfice net de 931 millions d’euros. Decathlon est désormais présent dans 78 pays, avec 1 749 magasins et plus de 100 000 employés. En Belgique, la marque compte 35 magasins, un siège à Evere et un centre logistique à Willebroek, qui fermera donc ses portes à la fin de cette année. Le succès a fait de Michel Leclercq, aujourd’hui âgé de 84 ans, fondateur de Decathlon en 1976 avec un premier magasin près de Lille, l’une des personnes les plus riches de France avec une fortune estimée à 4,8 milliards d’euros, retrace encore De Morgen.

Les syndicats de Decathlon mènent plusieurs actions ce jeudi

Les syndicats socialistes BBTK et chrétiens ACV Puls de Decathlon organisent trois actions en réponse à l’intention du groupe français de supprimer 132 emplois à son dépôt de Willebroek. Une première action était prévue jeudi matin à Zaventem. La fédération sectorielle Comeos y organise une journée annuelle consacrée aux ressources humaines et dédiée cette année au “Bien-être au travail”. “Le premier orateur est un membre de la direction de Decathlon”, souligne-t-on dans les rangs syndicaux, où l’on estime de longue date que la direction de l’enseigne s’essuie les pieds sur la concertation sociale.

A la mi-journée, les syndicats ont prévu de se rendre au parlement fédéral, pour y rencontrer des représentants de partis. Et dans l’après-midi, c’est au siège de Decathlon à Evere que les syndicats ont prévu de se réunir. Accompagnés d’un huissier, ils entendent accéder au conseil d’entreprise extraordinaire qui figure à l’agenda de ce jeudi.

Dans le cadre du tour de licenciements annoncés, la question de l’application de la loi Renault sur les licenciements collectifs n’est pas claire, selon les syndicats qui disent avoir reçu des informations contradictoires à ce sujet. Le dépôt de Willebroek constitue une activité séparée des magasins.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content