Le BioPark de Gooselies, bien plus que des labos

Le BioPark de Gooselies, un parc à vocation scientifique au coeur de l'Europe. © PHOTO NEWS / VANDERCAM

Un cinquième de la production européenne destinée aux thérapies géniques et cellulaires provient du BioPark de Gosselies. Histoire d’un redéploiement réussi.

“Il y a 20 ans, il n’y avait rien, ici. Aujourd’hui, notre écosystème est l’un des plus performants d’Europe.” Florence Bosco, directrice du BioPark de Gosselies, est plus que satisfaite du développement de ce parc thématique qui regroupe à l’heure actuelle 80 entreprises actives dans les sciences du vivant et fournit 2.500 emplois. “Charleroi, et plus largement la Wallonie et la Belgique, sont très bien positionnées sur la carte du monde dans le domaine des biotechs, confirme François Blondel, président de Delphi Genetics, l’une des plus anciennes entreprises du BioPark. Le succès appelle le succès, on le voit avec l’ampleur des transactions enregistrées ces derniers mois.” Leur flux devrait en effet atteindre le milliard d’euros cette année sur l’ensemble du parc.

Si le site de Gosselies accueille une belle diversité d’entreprises, il a, au fil du temps, mis l’accent sur le médicament, en particulier les thérapies cellulaires et géniques, tandis que Liège s’orientait davantage vers les dispositifs médicaux. “Il y a bien entendu des zones de recouvrement avec Liège ou Louvain-la-Neuve/Mont-Saint-Guibert, concède Florence Bosco, mais nous évitons la concurrence frontale. Le monde des biotechs est suffisamment vaste pour que chacun y trouve sa place. Nous n’entrons pas dans le jeu, à terme contre-productif pour tous, des porteurs de projet qui tentent de faire leur shopping entre les bassins. Nous savons qu’ensemble, nous atteignons une masse critique très intéressante pour toute la biotech wallonne.”

De la recherche, toujours de la recherche…

La base du succès demeure évidemment la recherche et le développement, ces laboratoires au sein desquels des équipes pointues essaient de créer de nouveaux médicaments, de nouvelles thérapies, de nouveaux dispositifs médicaux. Pas moins de 50 programmes, allant de l’oncologie aux maladies cardiovasculaires en passant par l’immunologie ou les maladies rares, sont dans le pipeline de recherche des différentes entreprises du BioPark. Trois d’entre eux sont en phase finale de développement, et se rapprochent donc d’une commercialisation potentielle après approbation par les différentes autorités réglementaires : il s’agit d’un des programmes de Bone Therapeutics dans l’ostéo-arthrite du genou, du programme leriglitazone de Minoryx dans une maladie neurodégénérative rare et du fezolinetant d’Ogeda, un médicament qui combat les bouffées de chaleur chez les femmes ménopausées, acquis dans l’intervalle par le japonais Astellas. “Il est donc permis de croire que, dans un futur proche, les premiers médicaments issus de la recherche du BioPark serons mis à disposition des patients à travers le monde”, se réjouit Florence Bosco. Ce pipeline est entretenu par la recherche universitaire, essentiellement au sein de l’ULB. De nouvelles spin-off s’implantent régulièrement dans les bâtiments du BioPark. Parmi les dernières en date figurent Gepeceron (cancer et maladies inflammatoires) et InhaTarget (cancer du poumon). “Les investisseurs, belges et internationaux, montrent une réelle avidité pour les recherches menées chez nous, poursuit la CEO du BioPark. Quelque 20 millions d’euros ont été levés pour des programmes dans leur phase initiale. Cela permettra aux recherches les plus prometteuses de se traduire dans les meilleurs délais possibles en traitements pour les patients.”

Le succès appelle le succès, on le voit avec l’ampleur des transactions enregistrées ces derniers mois.

François Blondel, président de Delphi Genetics

Le BioPark, comme l’ensemble de la Wallonie d’ailleurs, séduit aussi de plus en plus de biotechs étrangères qui choisissent de venir développer ici un projet initié ailleurs, à l’image de la société espagnole Minoryx (traitement de maladies neurodégénératives orphelines). Pourquoi ? Les entreprises sont bien entendu attirées par les aides à la recherche offertes par la Wallonie, par le dynamisme croissant des fonds d’investissement privés et publics, par la concentration d’hôpitaux universitaires habitués aux essais cliniques dans un rayon de moins de 100 km, ainsi que par la disponibilité de l’espace. Le parc, qui dispose de 10.000 m2 de laboratoires et de bureaux, ambitionne de construire 40.000 m2 supplémentaires (dont une partie dès 2022) dans les 10 prochaines années. “Nous trouvons aussi un formidable relais de croissance avec ceux que j’appellerais nos alumni, ajoute Florence Bosco. Ils ont travaillé ici, connaissent l’écosystème et ne l’ont pas oublié.” Le plus bel exemple est sans doute celui d’Enrico Bastianelli, fondateur de Bone Therapeutics ; après avoir quitté la société en 2016, il a emmené à Gosselies les biotechs françaises Graftys et Apaxen.

Caprion : du Canada à Gosselies

La société Caprion, installée à Gosselies depuis 2016, est ce que l’on appelle une CRO : elle fournit des services à des entreprises pharmaceutiques pendant les diverses phases de recherche. En l’occurrence, elle a développé un système d’analyse des réponses immunitaires qui succèdent à l’administration de thérapies cellulaires au patient. Ce service est utilisé par des biotechs mais aussi, de plus en plus, par des géants de la pharma. “En trois ans, nous sommes passés d’une dizaine de personnes à 30 à Gosselies, confie Bernard Cornet, qui vient de reprendre la direction de ce site. Nous devrions atteindre les 40 ou 45 l’an prochain, car la demande ne faiblit pas.”

Caprion est une entreprise canadienne, présente aussi en Californie, en Asie et en Australie. Que vient faire le BioPark de Gosselies au milieu de tout cela ? “En thérapie cellulaire, les échantillons doivent être analysés dans les 24 heures, explique Benoît Houle qui, après avoir dirigé le site pendant quatre ans, vient d’être appelé à d’autres fonctions au sein du groupe Caprion. Nos clients mènent des études globales sur plusieurs continents. Ils ont donc besoin de partenaires implantés près des lieux où se mènent les études cliniques. Il y a un bel écosystème à Gosselies, notamment pour les thérapies cellulaires.”

Au départ, Caprion travaillait essentiellement dans l’immuno-oncologie. Depuis peu, elle oeuvre également dans le cadre de la lutte contre les maladies infectieuses. A ce titre, elle est associée à des programmes de recherche de multinationales pharmaceutiques.

… et de plus en plus de fabrication, aussi !

L’attrait du BioPark, ce sont également toutes les sociétés de services spécifiques au secteur de la santé qu’il accueille. Elles représentent 60% des entreprises implantées en son sein, et le pourcentage est plus élevé encore pour les emplois créés. Elles se répartissent en deux grandes catégories : CRO et CDMO. Les Contracts Research Organizations (CRO) apportent des équipements pointus qui aident les firmes pharmaceutiques dans les premiers stades de leurs recherches. On peut citer BioPark Euroscreen Fast, ImmunXperts, CMMI, Quality Assistance ou encore Caprion, dont nous parlons par ailleurs. “Une biotech ne peut pas avoir toutes les ressources en interne, affirme Florence Bosco. Trouver les sociétés de services indispensables juste à côté, cela peut être un argument décisif dans un choix d’implantation. Mais les grands de la pharma, les GSK ou les UCB, ont eux aussi recours à ce vivier pour des missions ponctuelles.” “Le BioPark pourrait miser davantage encore sur une sorte d’offre conjointe, ajoute Benoît Houle (Caprion). Un client peut vouloir rencontrer plusieurs prestataires de services dans la journée, simplement en passant d’une rue ou d’un bâtiment à l’autre. Il faut promouvoir cette idée, cela peut créer une dynamique intéressante sur le site.”

50 médicaments : les sociétés du BioPark représentent ensemble un pipeline de 50 programmes de développement de nouvelles molécules ou thérapies.

Les Contract Development and Manufacturing Organizations (CDMO) arrivent au stade suivant, quand il faut produire les substances à injecter aux patients dans le cadre des essais cliniques. Avec Univercells, Novasep, Catalent et Delphi Genetics, le BioPark réunit des acteurs très conséquents, en particulier dans la production de matériel pour les thérapies géniques et cellulaires. “Ces autres façonniers concentrent 20 % de la capacité de production européenne dans le domaine, assure la directrice du site. Nous avons construit une position de leadership dans un secteur émergent.” Non sans succès, puisque ces sociétés sont toutes engagées dans d’importants projets d’extension et ont recruté, ensemble, 300 personnes sur les 12 derniers mois. Avantage collatéral : ces usines de production ont, certes, besoin d’ingénieurs et de techniciens mais aussi de manoeuvres, de logisticiens, etc. “Dans ces entreprises, il y a de la place pour tous les profils, poursuit Florence Bosco. C’est une manière pour la Wallonie de bénéficier des retours de sa politique de soutien à l’innovation. C’est le manufacturing qui crée l’emploi de masse derrière l’innovation pharmaceutique.”

Le BioPark de Gooselies, bien plus que des labos
© GETTY IMAGES

La thérapie cellulaire voyage mal

La pharmacie est toutefois un secteur à haut risque. Plus un produit innovant approche de la commercialisation, plus il aiguise l’appétit des géants du secteur, avec tous les risques de délocalisation que cela comporte. Le BioPark l’a vécu avec la cession, pour 800 millions d’euros (!), d’Ogeda au groupe japonais Astellas alors que sa molécule phare était proche de la mise sur le marché. “Il ne faut pas déplorer cette vente, estime Florence Bosco. Commercialiser un médicament implique d’avoir une empreinte globale, de pouvoir franchir les étapes administratives et économiques dans toutes les zones géographiques. Les géants de la pharma ont les outils pour cela.” La CEO espère toutefois que le travail de longue haleine mené dans ce secteur d’activité paiera et que l’un ou l’autre de ces géants installera chez nous les unités de production industrielle de nouveaux médicaments. “Nous sommes dans la course, confie-t-elle. Nous sommes sollicités pour des projets d’investissement allant jusqu’à 500 millions d’euros et la création de 400 à 500 emplois. Mais nous ne sommes pas les seuls. L’Irlande, en particulier, est très attractive.”

C’est ici que la concentration sur les thérapies cellulaires et géniques présente un intérêt tout particulier. D’une part, on l’a dit, Charleroi occupe déjà une position de leader européen dans la production. De l’autre, on ne délocalise pas une production biologique aussi facilement qu’une production chimique. “Les thérapies cellulaires voyagent beaucoup moins bien que les molécules chimiques, insiste Benoît Houle. La fabrication doit se faire là où les produits seront administrés aux patients.”

Le Covid-19, une opportunité !

Le BioPark semble avoir traversé l’année sans trop souffrir de la crise sanitaire. Il y a bien entendu eu un ralentissement opérationnel, en raison des difficultés de déplacement du personnel et des retards accusés par la livraison de réactifs ou de consommables. Mais au niveau des transactions, 2020 se révèle, avec un volume d’un milliard d’euros au total, un exercice record. Une nuance toutefois : les grands deals se préparant de longs mois à l’avance, il est possible que le contrecoup survienne plutôt l’an prochain. D’autant que certains investisseurs ont peut-être dû puiser dans leurs réserves en 2020 et risquent, dès lors, de redoubler de prudence.

Dans un futur proche, les premiers médicaments issus de la recherche du BioPark serons mis à disposition des patients à travers le monde.

Florence Bosco, CEO du BioPark de Gosselies

Quand on oeuvre dans le domaine de la santé, le Covid-19 est aussi une opportunité. Plusieurs entreprises du BioPark sont impliquées dans des projets. Ainsi Novasep va-t-elle produire le principe actif du vaccin d’AstraZeneca, tandis que Delphi Genetics a obtenu des résultats très probants dans l’élaboration (encore au stade préclinique, pas d’emballement!) d’une thérapie génique contre le Coronavirus.

Delphi Genetics et les techniques du prix Nobel de Chimie

Delphi Genetics est l’un des pionniers de la biotech valley wallonne. Cette spin-off de l’ULB, qui existe depuis une vingtaine d’années, se concentre surtout, depuis trois ans, sur les thérapies géniques. “Nous utilisons la technologie des ciseaux moléculaires, grâce à laquelle Emmanuelle Charpentier vient de recevoir le prix Nobel de chimie, pour produire de l’ADN à façon pour des sociétés pharmaceutiques, expose François Blondel, président du conseil d’administration. Nous contribuons au développement des thérapies géniques à travers le monde. Elles présentent un potentiel de croissance extraordinaire dans les années qui viennent et je me réjouis que la Wallonie soit très bien positionnée dans ce secteur.”

Delphi Genetics a systématiquement multiplié son chiffre d’affaires par deux sur les trois derniers exercices (ce sera un peu moins en cette année de Covid…) en recrutant de nouveaux clients, tantôt des biotechs émergentes, tantôt des majors de la pharma, en Europe et aux Etats-Unis. “Nous avons surtout été sollicités pour des études de phase 1 mais nous travaillons de plus en plus pour les phases 2 et maintenant, 3 (la dernière avant la commercialisation, Ndlr), enchaîne François Blondel. Assez logiquement, nous devrions poursuivre dans le volet commercial, ce qui augmentera nos volumes de production.” L’entreprise emploie actuellement une trentaine de personnes.

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