L’envol des biotechs ou la réussite d’un écosystème en Wallonie

SCIENCES DU VIVANT Le secteur représente à lui seul un tiers des exportations wallonnes. © GETTY IMAGES
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Une levée de fonds, les résultats probants d’une étude clinique, un important investissement étranger…, le secteur pharmaceutique performe en Wallonie. Sa réussite ne doit rien au hasard. Peut-elle être dupliquée dans d’autres pans de l’économie?

Rapide coup d’oeil sur l’actualité de ces dernières semaines: Radiomics (Liège) lève 6 millions pour lancer une étude sur l’utilisation de sa technologie, alliant imagerie médicale et intelligence artificielle, dans le traitement du cancer du poumon ; iSTAR Medical (Wavre) reçoit l’autorisation européenne de mise sur le marché de son implant anti-glaucome (100 millions de patients potentiels dans le monde) ; un groupe américain investit dans Ncardia (Gosselies) et des Chinois dans Novadip (Mont-Saint-Guibert), deux biotechs actives dans les thérapies cellulaires ; Graftys (Gosselies) rachète le français Biologics for Life pour constituer un ensemble à la pointe de la production de biomatériaux destinés aux greffes osseuses…

En quatre ans, les biotechs wallonnes auront levé près de 3 milliards d’euros. C’est hallucinant.”

Sylvie Ponchaut (Biowin)

Quel autre secteur économique peut se targuer d’amener une bonne nouvelle quasiment chaque jour? Les sciences du vivant sont l’illustration quasi exemplaire d’un écosystème performant au sein duquel le succès appelle le succès. “A la mi- novembre, les entreprises du secteur avaient déjà levé 1,2 milliard en 2021 et nous attendons encore d’autres bonnes nouvelles avant la fin de l’année, se réjouit Sylvie Ponchaut, directrice du pôle de compétitivité BioWin. En quatre ans, les biotechs wallonnes auront levé près de 3 milliards d’euros. C’est vraiment hallucinant.”

16.000 emplois directs

Si les innovations médicales attirent l’attention médiatique, elles ne représentent qu’une partie, certes fondamentale, de cet écosystème. Il y a autour d’elles des sociétés de service spécialisées dans la production de matériel pour les thérapies cellulaires (Catalent, Exothera, Thermo-Fisher), dans le transport de produits pharmaceutiques, dans les affaires réglementaires (Quality Assistance), etc. Vous y ajoutez plusieurs universités, un tissu hospitalier habitué aux études cliniques et des outils financiers coutumiers de ce secteur à haut risque et vous avez toute la panoplie des besoins d’un investisseur potentiel. “La Région a atteint une masse critique, on trouve quasiment tous les fournisseurs et sous-traitants à proximité, et nous parvenons à recruter les talents nécessaires, expliquait le serial investisseur Michel Lussier (Celyad, iSTAR, Gabi Smartcare) dans nos colonnes en 2019. Avec le télétravail, on peut recruter des Français, des Allemands ou autres qui viennent ici quelques jours par semaine.”

Les sciences du vivant, c’est aujourd’hui 16.000 emplois directs et jusqu’à 50.000 emplois indirects en Wallonie. Le secteur représente à lui seul un tiers des exportations wallonnes. Cette réussite résulte d’une stratégie de longue haleine, s’appuyant sur la présence de quelques très grandes entreprises (UCB, GSK, etc.) autour desquelles le secteur a pu se structurer. “C’est un succès collectif, résume Sylvie Ponchaut. Les entreprises, les universités, les biotechs, tout cela a évolué de manière très cohérente, grâce à de nombreuses collaborations. Pour consolider l’écosystème et booster l’innovation, je pense qu’il faut intensifier encore les collaborations, y compris au niveau fédéral.”

L’Etat, commanditaire intelligent

Le défi de la Wallonie, c’est de tenter de répliquer la réussite de la pharma dans d’autres domaines. Mais jusqu’à présent, même avec six pôles de compétitivité et un accent mis par ailleurs sur l’économie digitale, aucun créneau ne s’est dégagé de manière structurée, au-delà de quelques belles aventures individuelles. “Si nous avons cette force de frappe dans le secteur pharma en Belgique, c’est parce que des gens visionnaires ont créé un cadre légal pour permettre les tests cliniques de façon plus ouverte et performante, rappelle Jean-Yves Huwart, journaliste et auteur d’ouvrages sur le déclin de la Wallonie. Ce qui fait la différence, c’est quand un Etat devient un commanditaire intelligent. Ce fut le cas lors du contrat F16, pensé dans une logique de filière au sein de laquelle on a développé une expertise, un savoir-faire qui a pu servir dans d’autres domaines. Plusieurs grosses boîtes wallonnes actuelles sont encore issues de ce contrat F16. Aujourd’hui, ce serait impensable en Wallonie. Les gens qui devraient réaliser le cahier des charges n’ont ni l’expertise ni l’éthique pour cela. A un moment donné, ça tourne en rond. SpaceX, par exemple, est devenu ce qu’il est parce que la Nasa lui a confié le développement de sa technologie. La Nasa dispose de cadres super compétents pour faire cela, c’est autre chose que du personnel encarté, parachuté depuis les cabinets ministériels.”

Ce qui fait la différence, c’est quand un Etat devient un commanditaire intelligent. Ce fut le cas lors du contrat F16, pensé dans une logique de filière.”

Jean-Yves Huwart (auteur)

C’est pourtant ces cabinets ministériels et les outils économiques régionaux qui ont pris ces derniers mois d’intéressantes initiatives en lançant des appels à projet – qui ont séduit des investisseurs internationaux – dans le but, notamment, de développer de nouvelles filières de recyclage des déchets en Wallonie. Dans le même esprit, la démarche du gouvernement fédéral visant à fédérer les acteurs belges autour des futurs marchés du démantèlement des centrales nucléaires peut également amener de belles retombées industrielles.

Consolider l’écosystème

Prudente, Sylvie Ponchaut rappelle volontiers que rien n’est jamais définitivement acquis pour le bel écosystème des biotechs. Il serait donc judicieux d’une part de veiller à l’entretenir, en finançant correctement la recherche académique qui alimente le pipeline de l’innovation ainsi que la formation des futurs travailleurs de ces biotechs (à cet égard, le projet de financer la création d’une biotech schoolà Charleroi dans le cadre du plan de relance pourrait être intéressant pour éviter que les pénuries de main-d’oeuvre n’enrayent la progression des entreprises). Et d’autre part, de songer à étendre ce florissant écosystème à de nouveaux domaines.

Aujourd’hui, celui-ci couvre des chaînes de valeur quasi complètes dans le médicament ou tout ce qui relève de la radio-pharmacie (grâce notamment à l’apport de l’Institut des radioéléments (IRE) à Fleurus et d’un gros acteur comme IBA). Ces derniers temps, les CDMO (contract development manufacturing organizations, qui fabriquent des produits pharmaceutiques pour compte d’autrui) se sont fortement développées en Wallonie. C’est fondamental pour l’assise économique globale puisque ces unités fournissent plus d’emplois et occupent des profils plus variés. Les choses bougent maintenant aussi dans les medtechs (technologies et appareils médicaux) où des pépites émergent “Avec des boîtes comme iSTAR, Nyxoah ou Miracor, nous avons maintenant beaucoup de bons ingrédients d’un véritable écosystème dans les medtechs, confirme Sylvie Ponchaut. Mais nous n’avons pas encore les gros acteurs.” Michel Lussier (Celyad) a, lui, déjà pointé les opportunités dans la santé numérique et les dispositifs médicaux portables. “Avec le manque de médecins et le vieillissement de la population, nous allons vers plus de soins à domicile gérés par le patient lui-même, dit-il. Il n’y a pas encore de centre incontournable en Europe. Nous avons à peu près toutes les compétences pour que ce centre, ce soit la Wallonie.”

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