Entretien croisé entre Renaud Witmeur et Sébastien Durieux, ancien et nouveau patron de la Sogepa

© FRÉDÉRIC SIERAKOWSKI (ISOPIX)
Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

D’Hamon à Legoland en passant par Thunder Power ou NLMK, l’ancien et le nouveau patron de la Sogepa passent en revue les investissements de l’invest wallon. Et tracent des pistes d’avenir pour la réindustrialisation de la région.

Le patron de la Sogepa, c’est désormais Sébastien Durieux. Ce Liégeois de 50 ans était le vice-président de la SRIW depuis plus de 10 ans. Les deux outils publics étant appelés à fusionner dans quelques mois, il contribuera à une transition en douceur. Sébastien Durieux succède à Renaud Witmeur, qui dirigeait l’invest depuis 2013 et a pris la direction du Grand hôpital universitaire bruxellois (HUB, né du rapprochement d’Erasme, de Bordet et de l’Hôpital des Enfants Reine Fabiola). Les deux hommes, tous deux issus des cabinets ministériels socialistes, ont reçu Trends-Tendances pour une interview “passation de pouvoir”.

Avec le recul, peut-être aurions-nous dû prendre davantage de risques dans le dossier Thunder Power.”

Renaud Witmeur

TRENDS-TENDANCES. Ce passage de relais se produit alors qu’Hamon, entreprise dans laquelle la Sogepa a investi 127 millions, dépose le bilan. Comment un tel fiasco a-t-il été possible?

RENAUD WITMEUR. Quand un investissement se solde sur un échec, il y a toujours moyen d’en tirer des leçons, voire de chercher des coupables si on le souhaite. Je reste toutefois convaincu qu’une des missions des outils publics d’investissement est de prendre des risques, en suivant évidemment une certaine logique. Avec Hamon, la logique était d’essayer de maintenir une activité industrielle, active dans des secteurs intéressants (le refroidissement des gros projets industriels, notamment les centres data, la filtration des pollutions industrielles et la captation du carbone) et qui exporte 99% de sa production. N’oublions pas, en outre, que la Sogepa avait déjà investi dans Hamon et avait à l’époque réalisé une belle plus-value.

Investir jusqu’à 127 millions en sept ans, est-ce de la prise de risque ou de l’entêtement?

R.W. Les fondamentaux étaient bons, les commandes avaient été prises pour plus de 300 millions d’euros. Le problème, c’est dans l’exécution des projets. Si vous avez des retards et des litiges, l’argent ne rentre pas et cela devient très compliqué. D’autant qu’Hamon avait été fortement impactée par le covid, les projets industriels étant à l’arrêt dans le monde entier. L’entreprise a connu une dégradation dramatique en deux ans. Objectivement, c’est très triste.

Et donc, ne fallait-il pas arrêter les frais plus tôt pour ne pas perdre 127 millions d’euros?

R.W. La Wallonie ne perdra pas cette somme-là. Une partie des interventions ont été faites en prêts ou en obligations avec des privilèges. Il y a des acteurs qui étaient bien plus exposés que nous, notamment les banques. Mais votre question est légitime. Avec le recul, évidemment, nous ferions les choses autrement. Mais à l’inverse, nous avons aussi d’autres dossiers, tout aussi risqués, parfois avec des montants supérieurs et qui, eux, sont des réussites. NLMK va dégager cette année un Ebitda supérieur au montant investi dans Hamon. La prise de risque implique forcément un pourcentage d’échecs dans un fonds de retournement comme la Sogepa. L’essentiel, c’est que le portefeuille global soit, lui, rentable. Il ne faut pas isoler un projet qui a échoué, même si ce projet est très conséquent.

SEBASTIEN DURIEUX. On peut comparer avec le biotech. Aujour-d’hui, nous avons un écosystème très bien développé. Mais dans la construction de cet écosystème, il y a eu aussi des échecs retentissants, encore récemment. Il faut donc regarder l’image globale.

R.W. Je prends un autre dossier où nous nous sommes “entêtés”: Air Belgium. C’est aujourd’hui 400 emplois. Et si ces emplois sont là, c’est parce que nous nous sommes “entêtés” pendant le covid avec une petite compagnie aérienne qui n’avait que quatre avions. Même au conseil d’administration, ce fut compliqué à défendre. Aujourd’hui, la compagnie est rentable et un fonds d’investissement privé ( le groupe Hongyuan, Ndlr) a racheté 49%. Chez Marichal Ketin aussi, nous nous sommes entêtés. Nous sommes intervenus plus de 10 fois et aujourd’hui, tout le monde salue le beau redémarrage de l’entreprise. Dans le retournement des entreprises en difficulté, il faut un côté têtu pour réussir. Cela n’empêche évidemment pas d’essayer de tirer des leçons de l’épisode Hamon.

Entretien croisé entre Renaud Witmeur et Sébastien Durieux, ancien et nouveau patron de la Sogepa
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Quand on observe l’état de l’économie wallonne, ne faudrait-il pas alors prendre plus de risques pour réussir le redéploiement?

R.W. Personnellement, je pense que oui. Nous restons avec un gap à franchir en Wallonie. Nous avons besoin de faire grandir les entreprises et d’en créer des nouvelles. Notre rôle, en tant qu’invest public, c’est de susciter cela, notamment en prenant des risques et en assumant les échecs. Evidemment, il faut aussi une rentabilité globale du portefeuille. Avec le recul, peut-être aurions-nous dû prendre davantage de risques dans le dossier Thunder Power. Peut-être aurions-nous dû investir tout de suite – quand aucun constructeur européen n’envisageait encore de fabriquer des véhicules électriques bon marché – au lieu d’attendre en vain que des partenaires privés apportent la moitié de l’investissement. En démarrant les premiers, nous pouvions créer les conditions du succès. Mais avec un risque supérieur… et ce n’est pas dans notre culture politique. A toutes fins utiles, je rappelle que nous n’avons finalement pas mis un euro dans Thunder Power.

Je pense qu’à l’avenir, nous devrons faire preuve d’un peu plus de sélectivité dans nos interventions.” Sébastien Durieux

S.D. Nous devons continuer à avoir le courage de prendre des risques. Je pense cependant que nous devons sans doute faire preuve d’un peu plus de sélectivité. En Wallonie, nous avons souvent essayé d’aider tout le monde. C’est très noble mais nous devons avoir conscience de la taille de notre région, nous ne sommes pas en capacité d’atteindre l’excellence dans tous les secteurs.

Sur quels secteurs une Wallonie plus sélective devrait-elle miser en priorité?

S.D. Les biotechs évidemment. Aujourd’hui, c’est de l’industrie, de la production avec des emplois pour tous les profils. Ce ne sont plus seulement des chercheurs. Une boîte comme Univercells, c’est 500 personnes! On peut l’élargir aux medtechs et aux applications digitales liées à la santé. La force de l’écosystème permet, par exemple, d’avancer dans le big data de la santé. Nous avons tous les éléments de base pour cela.

Nous avons de grands acteurs industriels, c’est sur eux qu’il faut capitaliser. Nous avons parlé de la sidérurgie, il y a aussi John Cockerill dans l’hydrogène ou FN Herstal dans le secteur de la défense… Nous avons aussi un vrai potentiel dans les cleantechs avec à la fois des groupes comme Wanty et de nombreuses friches à assainir. Il y a aussi, à mon avis, quelque chose à faire dans la filière bois, l’une des rares ressources naturelles de la Wallonie. Nous avons quelques grosses scieries ; il doit y avoir moyen de faire un peu mieux que simplement scier le bois, l’expédier en Chine et le voir revenir en parquets. Le site de Chertal, en bordure de la E25, conviendrait parfaitement pour une usine de transformation du bois dans des produits à plus haute valeur ajoutée.

Parmi les réussites de ces dernières années, vous avez cité NLMK. Les sanctions à l’égard de la Russie ne mettent-elles pas en péril les activités de cette entreprise?

R.W. Les brames (blocs d’acier de 5 à 15 mètres de long, Ndlr) qui alimentent les usines wallonnes du groupe viennent de Russie et, jusqu’à présent, il n’y a aucun problème d’approvisionnement. Nous avons évidemment construit des plans B, C et D mais il est impossible de dire aujourd’hui s’ils devront être actionnés. NLMK s’est par ailleurs positionnée comme un repreneur potentiel de certains actifs de Liberty Steel à Liège, cela montre que le groupe reste bien dans une logique de production et de croissance. Au-delà, je n’assimile pas tous les Russes à des ennemis. Ce n’est pas pour des raisons anecdotiques que ni les pays européens, ni les Etats-Unis, ni le Canada n’ont sanctionné le propriétaire de NLMK (le milliardaire russe Vladimir Lissine, Ndlr). Il a pu démontrer que ses liens avec Poutine n’étaient pas ceux que certains lui prêtaient et il a pris une position claire par rapport au conflit en Ukraine. Les sanctions internationales ont ciblé de très nombreuses personnes et la plupart des productions d’acier. Mais pas NLMK. Il y a des raisons objectives à cela.

S.D. Quand on voit les difficultés d’approvisionnement, les coûts de transport, etc., nous pouvons être contents d’être intervenus pour avoir gardé une partie de l’activité sidérurgique proche de nous. Ce n’était pas débile d’avoir investi dans la sidérurgie. Même si, c’est vrai, de l’acier, on peut en produire partout.

Quels autres secteurs pourraient faire l’objet d’une relocalisation ou d’une réindustrialisation en Wallonie?

S.D. Un secteur stratégique que nous n’avions pas vu venir, c’est l’agroalimentaire. Il y a six mois, on ne voyait pas vraiment la nécessité de réfléchir à ce point à une production et une transformation locale. Maintenant, avec les difficultés d’approvisionnement, les raisonnements évoluent. Et nous avons de belles boîtes dans la transformation, comme Cosucra, Mydibel ou Avieta. Dans l’aéronautique, nous avons quelques gros acteurs qui sont positionnés dans des chaînes de valeur très éclatées. Avec Safran, nous avons récemment contribué à deux projets de ré-internationalisation d’une partie de la chaîne de valeur. Les aubes, ces petites pièces métalliques qu’on trouve dans le moteur des avions, seront peut-être prochainement fabriquées par Safran au lieu d’être achetées en Russie (le projet date d’avant le conflit ukrainien). La Wallonie a proposé de co-investir de façon significative dans ce projet et Safran cherche maintenant un site pour construire son usine. Nous sommes là clairement dans de la réindustrialisation.

Vous avez des ambitions de réindustrialisation de la Wallonie. N’êtes-vous pas dès lors déçus qu’un site comme Caterpillar soit probablement destiné à un parc d’attractions?

R.W. Si j’étais affectif, je vous donnerais raison. La volonté première était de maintenir une activité industrielle sur ce site. Mais rationnellement, nous voulons aussi qu’il y ait des emplois en nombre et qui conviennent à tout le monde, à tous les profils. Sur ce plan, le projet Legoland coche toutes les cases avec le millier d’emplois annoncé.

Vous direz peut-être que c’est de l’auto-conviction mais, plus le temps passe, plus ce projet m’excite. Avoir quelque chose de fondamentalement joyeux et attractif à Charleroi, qui amènerait des gens venant d’un rayon de 300-400 km, ça transforme l’image de la ville, comme le font déjà le projet de marina ou le centre A6K.

S.D. Il y a un écosystème “tourisme” avec, pas très loin, le parc Pairi Daiza ou les lacs de l’Eau d’Heure. Ce sont par nature des sites non délocalisables et qui draînent des emplois connexes. Il faut capitaliser là-dessus, d’autant que les vacances de proximité sont sans doute l’avenir. Nous aurons toujours envie de voyager de par le monde mais, pour des raisons climatiques et autres, nous devrons réduire la voilure.

Et puis, regardez le succès de Disneyland Paris, construit au milieu de nulle part, à 100 km de Paris. Tout autour, il y a des bureaux, des centres d’affaires, tout un tas d’activités.

R.W. Quand nous cherchions à attirer Legoland, nous les avons notamment emmenés à Pairi Daiza. Le succès de ce parc et l’enthousiasme d’Eric Domb ont contribué à démontrer, auprès de ces investisseurs, le potentiel touristique de cette région.

S.D. Le projet a pris du retard à cause du covid. Quand tout est fermé en Europe, on hésite à investir 300 millions dans la création d’un parc d’attractions. La décision devrait être prise, je l’espère, avant les vacances.

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