La Sogepa tente de “structurer le tissu économique wallon”

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Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Les outils économiques publics ne se contentent plus d’attendre les demandes des entreprises. Ils initient des projets industriels innovants et invitent le privé à embrayer ; que ce soit dans les protéines végétales, la santé ou la dépollution des anciens sites sidérurgiques. Rencontre avec Renaud Witmeur, président du comité de direction de la Sogepa.

” Malgré tout ce qui a été accompli, malgré une série de très beaux succès, la Wallonie demeure face à un méga-défi économique. Nous ne parvenons pas à combler le gap.” Renaud Witmeur ne pratique pas l’auto-congratulation au moment de présenter le rapport annuel de la Sogepa, outil économique de la Région wallonne dont il préside le comité de direction. Il ne minimise certes pas l’importance des 110 millions d’euros investis l’an dernier dans 61 entreprises, ni l’intérêt d’utiliser les moyens publics pour tenter de conforter plus de 10.000 emplois à travers l’ensemble du portefeuille de la Sogepa. Mais, dit-il, “il faut repenser le métier d’investisseur public et disposer d’une force de frappe plus importante pour être en mesure de répondre aux enjeux de demain”.

Fusionnés, les outils économiques disposeront d’une vraie force de frappe ambitieuse et structurante.

Cette force de frappe, Renaud Witmeur pense la trouver via la fusion des trois outils économiques régionaux (Sogepa, SRIW et Sowalfin) décidée formellement par le gouvernement wallon le mois dernier et qui devrait être opérationnelle au plus tard en 2023. “Je me réjouis que l’idée de la fusion ait été actée, apparemment sans trop de réticences, dans le cadre du plan de relance. Cela nous montre que certains tabous ont été levés, confie le patron de la Sogepa. Cette fusion n’apporte pas seulement une marque unique, donc une meilleure lisibilité des actions, et la rationalisation d’une série de fonctions dans les comités de direction, les ressources humaines, etc. Ensemble, nous disposons d’une vraie force de frappe ambitieuse et structurante, d’une réflexion d’un seul tenant, sans devoir prendre garde aux platebandes des uns et des autres.” Tant qu’à faire, n’aurait-il pas été judicieux d’inclure les invests provinciaux dans le projet afin de gonfler plus encore les moyens d’action et de mutualiser les compétences d’analyse des dossiers d’investissement? “C’est clair qu’il faudrait tout réunir, estime Renaud Witmeur. Mais j’ai appris à être heureux avec un grand pas en avant. Les temps sont mûrs pour une fusion des trois outils régionaux. Avançons donc à trois et n’attendons pas que neuf autres nous accompagnent.”

Protéines végétales

Cette fusion s’inscrit dans un contexte de refonte du travail des investisseurs publics. Outre leur mission classique de traitement des demandes de financement introduites par les entreprises, la SRIW et la Sogepa s’impliquent en effet de plus en plus en amont dans la stratégie économique. Nous avons déjà évoqué le rôle fédérateur de la SRIW pour impulser une filière du recyclage des matières plastiques en Wallonie ( Trends-Tendances du 21 janvier). Les deux sociétés ont depuis identifié, avec l’aide du consultant Roland Berger, une série de filières dans lesquelles, en unissant leurs forces, des entreprises pourraient conquérir de belles parts de marché sur des créneaux bien ciblés et contribuer à l’ambition de réindustrialisation de la Wallonie. “Nous élaborons tout de A à Z, nous voyons si cela peut être rentable et nous nous tournons ensuite vers le privé, explique Renaud Witmeur. Et si personne ne vient, nous pouvons le faire seuls, quitte à le céder ensuite quand nous aurons apporté la preuve que cela marche. Notre mission reste de soutenir et de créer de l’activité économique. Voilà une approche novatrice pour l’accomplir, je pense.”

“Les moyens financiers ne m’inquiètent pas”

L’an dernier, 17 entreprises ont quitté le giron de la Sogepa, après avoir été remises sur de meilleurs rails industriels. Une proportion plutôt élevée (10% du portefeuille) et qui atteste, lit-on dans le rapport annuel de la société, du “bien-fondé des interventions”. “Nous devons développer notre culture d’exit, concède Renaud Witmeur. Cela nous permet de récupérer des moyens pour d’autres projets et, surtout, cela veut dire que le privé retrouve son rôle. Par nature, notre action ne doit être que temporaire. Le taux de sortie devrait d’ailleurs être parmi les critères d’évaluation de notre action, même si nos horizons de sortie sont évidemment plus lointains que ceux d’un investisseur privé.”

Pour accentuer la force de frappe des outils économiques et répondre au volume des projets, le patron de la Sogepa n’exclut pas un recours à l’emprunt “comme le ferait n’importe quel investisseur privé”. “Je ne suis pas un inquiet des moyens financiers, dit-il. Le jour où il y aura trop de bonnes idées, trop de bons projets et qu’on cherchera des moyens pour investir dedans, je serai hyper-heureux. C’est le genre de souci que j’aimerais bien avoir à gérer.”

Le premier projet à se concrétiser concerne la production de protéines végétales en substituts à la viande, avec notamment l’appui de la société Cosucra. Le montage financier de l’usine pilote est en voie de finalisation. L’objectif est d’arriver à une rentabilité en 2024 et à monter ensuite en puissance pour créer 300 emplois à l’horizon 2030, en veillant à bien agencer toute la filière depuis la production agricole jusqu’à la transformation industrielle. Deux projets dans le domaine de la santé devraient suivre prochainement. Avec toutes les biotechs qui se créent, un tel amorçage public est-il encore nécessaire dans ce secteur? “Oui, répond Renaud Witmeur. Il reste encore plein de poches où investir. Les biotechs sont effectivement l’une des belles réussites de la Wallonie mais le grand danger serait de s’endormir sur cette réussite.”

La Sogepa tente de
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Le sort des grands terrains industriels

Cette stratégie doit permettre à terme de structurer des filières performantes, comme autrefois de très grandes entreprises pouvaient structurer tout un réseau de sous-traitants et de fournisseurs dans un bassin industriel. Au fil du temps, les usines sidérurgiques ont réduit la voilure, quand elles n’ont pas totalement quitté la région. “Je reste obsédé par les grands projets industriels structurants, convient notre interlocuteur. C’est pour cette raison que nous sommes candidats acquéreurs des sites d’ArcelorMittal à Liège, et que nous n’avons pas voulu transformer l’ancien site de Caterpillar en un parc de PME classique. Si nous ne profitons pas de ces grands espaces bien situés pour accueillir de grands projets, nous ne le ferons nulle part. Or, si nous voulons concrétiser des développements industriels de type hydrogène ou autre, nous aurons besoin de tels terrains. Je sais bien qu’il serait probablement plus réaliste de chercher à attirer plusieurs projets de taille moyenne et de les fédérer, de travailler sur les chaînes de valeurs. Mais retenons aussi le message de notre formidable équipe nationale de hockey: il faut avoir l’ambition d’être n°1 pour le devenir. Nous vivons dans un monde où les pessimistes ont trop souvent raison.”

Retenons le message de notre équipe nationale de hockey: il faut avoir l’ambition d’être n°1 pour le devenir.

Et de citer deux exemples de cette ambition qui bousculent les pronostics sur l’avenir industriel de la Wallonie: NLMK, qui est toujours bien présent à La Louvière et Clabecq (avec l’appui de la Sogepa) contrairement à ce que beaucoup annonçaient il y a une petite dizaine d’années ; et les activités d’acier alimentaire (métal pour boîtes de conserve), aujourd’hui dans les mains de Liberty Steel à Tilleur. “Cela fait des années qu’on nous dit que cette activité de packaging va mourir faute de rentabilité, reprend Renaud Witmeur. Pourtant, dans deux ou trois mois, une société va probablement reprendre les 250 travailleurs pour mener un projet performant dans le packaging. A un moment donné, il faut pouvoir s’entêter, chercher un autre schéma industriel en y associant un client final. Et c’est ce que nous faisons.”

Thunder Power: aucune honte

Pour revenir à ces grands terrains sidérurgiques, le patron de la Sogepa assure que les choses avancent “dans le bon ordre”: les pouvoirs publics ont défini, à travers des masterplans, ce qu’ils aimeraient voir émerger à l’avenir sur les sites de Carsid (Charleroi) et ArcelorMittal (Liège) tandis que les discussions sont en cours sur l’objectivation du prix de ces terrains, dont les anciens exploitants devront financer la dépollution. La Sogepa, future propriétaire de ces sites, a réuni une série d’entreprises du secteur pour les inviter à se structurer de manière à être capables d’assumer tous ces chantiers de dépollution qui vont arriver et de capter donc les retombées de ces marchés. “Susciter la cristallisation de ces chaînes de valeur, je crois que cela fait désormais partie de notre métier à côté de celui, plus classique, de co-investisseur, résume Renaud Witmeur. La fusion des outils va, je pense, vraiment permettre d’agir en ce sens pour la structuration du tissu économique wallon.”

Quant au site de Caterpillar, l’option retenue est toujours l’installation d’un parc d’attractions Legoland. La Sogepa confirme des “signaux encourageants” de la part du groupe britannique Merlin Entertainments. Une décision ferme devrait être prise au premier trimestre de l’année prochaine. Si cette piste devait se confirmer, on fermerait donc la page de l’industrie productive de biens sur ce terrain d’une centaine d’hectares. Initialement, la Sogepa avait espéré écrire un nouveau chapitre industriel grâce à l’installation à Gosselies de Thunder Power, start-up chinoise qui ambitionnait de créer des voitures électriques. L’idée a finalement été abandonnée car cette petite société n’a pas pu lever les fonds nécessaires. Renaud Witmeur ne regrette toutefois pas d’avoir exploré cette piste, dans laquelle il assure que la Wallonie n’a finalement investi aucun euro (au-delà sans doute de quelques déplacements pour négocier le projet). “Tenter de faire aboutir des projets atypiques et ambitieux, c’est notre rôle, affirme-t-il. Il n’y a rien de honteux à ce qu’un tel projet échoue. Ce qui serait honteux, c’est de n’avoir aucune ambition, de ne pas oser avancer sur des projets novateurs et donc risqués.”

Les TPE appellent à l’aide

En temps normal, la Sogepa traite une cinquantaine de dossiers. L’an dernier, elle a été sollicitée par… 916 entreprises, touchées par la crise, à travers le programme Ré-Action. Des indépendants et des sociétés de moins de 10 travailleurs ont bénéficié d’un accompagnement économique. Parfois, les conseils de réorganisation de recalibrage du business plan ont permis de traverser la crise sans l’octroi d’une aide financière spécifique. “Ce travail nous a permis de mieux comprendre la réalité et la diversité des situations vécues par les TPE en Wallonie, commente Renaud Witmeur. On se rend compte à quel point les hommes et les femmes qui gèrent ces entreprises sont seuls et finalement peu préparés, peu équipés, pour affronter une crise. Il y a une telle offre de services que nous-mêmes, nous ne savions pas toujours très bien à quelle porte leur dire de frapper. Les entrepreneurs isolés, les indépendants, se retrouvent face à une complexité administrative à laquelle il faudra remédier.”

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