Geler les prix de l’énergie, une bonne idée ?

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Vu la flambée actuelle des prix de l’énergie, un gel des tarifs pourrait être envisagé par le gouvernement belge. Une telle mesure n’est cependant pas si évidente à mettre en oeuvre. Explications.

Le gel des prix de l’énergie pourrait être une solution pour éviter que les factures des ménages ne continuent à flamber cet hiver. Actuellement, le prix du gaz tourne aux alentours de 200 euros/MWh, entraînant avec lui à la hausse les prix de l’électricité.

Le gel des prix peut prendre deux formes, détaille le journal De Standaard. La première est celle mise en oeuvre par l’Espagne et le Portugal. Il s’agit de maîtriser le prix pour le consommateur. Les fournisseurs, qui doivent acheter leur gaz sur le marché mondial, sont soutenus par des subventions, qui sont également payées par le consommateur.

Une deuxième solution consisterait à geler tout simplement le prix maximum que nous sommes prêts à payer pour le gaz, que ce soit pour les importations de gaz en provenance de Russie ou d’autres pays.

Le gel des prix du gaz et de l’électricité – une mesure déjà prise en 2012 sous le gouvernement Di Rupo pour lutter contre une forte inflation – n’est pas évidente à mettre en place en Belgique pour différentes raisons.

La première, et la plus contraignante, est la suivante : pour un pays, geler, cavalier seul, les prix de l’énergie va à l’encontre des lois européennes.

“L’exception ibérique”

Le Portugal et l’Espagne ont toutefois réussi à bloquer leurs tarifs énergétiques en mai dernier pour une période de 12 mois. Cet accord découle en réalité d’un mécanisme européen arraché après de longues négociations. Ce mécanisme reconnait “l’exception ibérique” des deux pays sur le plan énergétique et leur permet de limiter les prix du gaz dans leur mix énergétique, explique le site de TF1. Concrètement, il autorise Madrid et Lisbonne à déroger au système tarifaire européen pendant un an au minimum, en plafonnant leurs tarifs du gaz à 50 euros en moyenne le kilowatt/heure (kWh).

Si ce “traitement spécial” a été décidé, c’est en raison du “peu d’interconnexions” du mix énergétique des deux pays, qui compte une grande part d’énergies renouvelables, avec le marché européen, a justifié Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. L’Espagne et le Portugal ne peuvent donc pas perturber le bon fonctionnement du marché européen. À noter que l’Italie et la Grèce, qui voulaient aussi changer les règles du marché de l’énergie et fixer un prix maximum pour le gaz, n’ont pas obtenu gain de cause.

La CREG pas favorable

La Belgique est, par contre, l’un des pays disposant des meilleures interconnexions. Elle est une véritable plaque tournante gazière en Europe. Une mesure similaire fausserait le marché de l’énergie. Le résultat du gel des prix décidé en 2012 s’est d’ailleurs révélé discutable, rappelle De Standaard. L’Europe a critiqué notre pays et lorsque la mesure est arrivée à son terme, les prix ont immédiatement augmenté à nouveau.

Le régulateur de l’énergie, la Creg, n’est donc pas favorable à une nouvelle expérience de gel de prix dans notre pays. Cette mesure ferait, en outre, peser un risque économique considérable sur les fournisseurs, avec pour conséquence la faillite de certains d’entre eux, a averti le régulateur à la fin de l’année dernière. En conséquence, la concurrence sur le marché est réduite, ce qui conduit au final à des prix plus élevés, explique De Standaard.

Une solution concertée au niveau européen

La situation de la Belgique est aussi différente de celle de nos voisins français. La Belgique a en effet un marché entièrement libéralisé, poursuit le quotidien flamand. Elle ne dispose donc pas d’un producteur d’énergie qui possède le monopole, comme c’est le cas avec l’entreprise publique EDF. La France utilise cette position dominante pour imposer un tarif maximal, ce qui n’est pas possible chez nous.

Cette politique des prix a aussi ses effets négatifs. EDF a sombré dans le rouge. À court terme, les consommateurs français d’électricité sont peut-être mieux lotis grâce à la réglementation, mais à plus long terme, ils risquent de devoir payer la facture, ne serait-ce que sous la forme des taxes nécessaires pour garder EDF à flots.

Vu qu’un gel des prix perturberait le marché unique, la solution ne peut être trouvée qu’au niveau européen à la suite de longues négociations, avance De Standaard. La solution idéale avancée : un achat groupé concerté réalisé par l’ensemble des pays de l’UE.

Changer les règles du marché Day-Ahead

Damien Ernst, expert en énergie et professeur à l’Université de Liège qui s’exprime notamment dans le Trends Tendances de cette semaine, propose, de son côté, une mesure concrète qui peut être prise immédiatement pour diminuer la facture, sur le modèle de l’Espagne et du Portugal.

Il l’explique en détails dans la Dernière Heure : “Le premier mécanisme à mettre en place, c’est de changer les règles du marché Day-Ahead. En résumé, 40 % de l’électricité s’échange sur ce marché, et c’est lui qui décide des prix. Le problème, c’est que les prix sont calculés sur base de la ressource d’énergie la plus chère pour produire de l’électricité : le gaz. Aujourd’hui, on est à plus de 600€ du mégawatt-heure pour l’électricité produite grâce au gaz, alors qu’on est à une centaine d’euros pour l’éolien et le nucléaire, au très grand maximum. Les grands producteurs sont donc occupés à faire des surprofits phénoménaux sur certains produits, explique-t-il.

L’expert poursuit :L’Espagne et le Portugal ont déjà régulé avec succès ce marché day-ahead, ce qui fait que les prix y sont trois fois moins chers que dans le reste de l’Europe. Et si les producteurs se retrouvent en perte sur ce marché, c’est l’État qui intervient via des subsides. Mais les subsides ne représentent qu’une fraction de l’argent gagnée par les consommateurs.”

Selon lui, faire la même chose en Belgique ferait économiser en moyenne 1.000 euros par an pour un ménage. “Ces mesures en Espagne et au Portugal ont été approuvées par l’Europe. Pourquoi ne pas le faire aussi dans le reste de l’Europe ? Il est temps de bouger ou de le faire seul, s’il faut “, plaide Damien Ernst.

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