Plan d’urgence énergie : “Ce serait une erreur d’encore attendre pour activer l’alerte précoce” (Francesco Contino)
Pour Francesco Contino, professeur à l’École polytechnique de l’UCLouvain, il est grand temps d’activer le premier niveau du plan d’urgence pour l’approvisionnement en gaz. Interview.
TRENDS TENDANCES Etes-vous sur la même longueur d’onde de la ministre de l’Énergie Tinne Van der Straeten (Groen) ? Dans une interview à L’Echo ce mardi, elle estime qu’il n’est pas encore utile à l’heure actuelle d’activer le niveau d’alerte précoce du plan d’urgence énergie, car il n’y a pas de souci d’approvisionnement en gaz et que cela créerait la panique ?
FRANCESCO CONTINO Je suis globalement d’accord avec la Ministre. Le critère qui prévoit d’activer le niveau d’alerte précoce du plan d’urgence indique que des informations sont disponibles sur le risque d’approvisionnement en gaz. Il est vrai qu’aujourd’hui, en Belgique, il n’y a pas de risques d’approvisionnement. Mais, il est aussi noté dans le plan d’urgence précoce qu’il peut être activé si nous devions être face à une situation où la Belgique doit aider un pays tiers. C’est le cas déjà avec l’Allemagne. On l’aide beaucoup à cause du Nordstream 1 qui est coupé. Le risque est bien là. De nombreux indicateurs du marché sont dans le rouge, on aura bientôt un souci. Je suis donc d’avis que la première phase du plan d’urgence énergie doit être activée. Ce serait une erreur d’encore attendre pour le faire. La population a aussi besoin d’un signal pour se motiver à moins consommer. Il ne faut pas non plus surréagir et créer un vent de panique. Le rôle du gouvernement est d’être le capitaine du navire.
On a été habitués au confort, il faudra s’attendre à des jours plus difficiles.
La ministre de l’Énergie a déjà mis de nombreuses mesures en place pour s’assurer que les choses se passent bien. Le gouvernement n’a pas joué à la cigale, car il a anticipé depuis des mois ces moments compliqués. On a été habitués au confort, il faudra s’attendre à des jours plus difficiles.
Plan d’urgence
Le plan d’urgence fédéral qui doit garantir la sécurité d’approvisionnement en gaz considère trois niveaux (alerte précoce, alerte et urgence) dans le cadre d’interruption de l’approvisionnement. Dans l’Union européenne, une dizaine de pays ont déjà déclenché le niveau de préalerte, l’Allemagne est en alerte. La Hongrie a activé le niveau d’urgence. Le plan d’urgence précoce implique, entre autres, que les entreprises sont appelées à diminuer leur consommation de gaz, assorti d’autres mesures contraignantes. Le plan vise aussi à protéger la consommation des ménages.
Va-t-on vers des plans de délestage cet hiver ?
Il faudra exporter davantage d’électricité cet hiver, vers la France notamment. La Norvège a aussi des difficultés. L’électricité ce n’est qu’une portion du problème. La situation est critique en France, mais en Belgique, le gaz est plus problématique. Nous avions établi il y a quelques années des plans de “brown out” (NLDR : des plans de délestage locaux contrôlés) liés à des situations d’hivers difficiles et tout s’est bien passé. Il ne faut pas oublier que notre administration est compétente tout comme les équipes des gestionnaires de réseaux Fluxys et Elia. Il faut faire confiance aux gens du métier. Je ne m’inquiète pas par rapport à cela.
Dans le contexte actuel de flambée des prix de l’énergie, comment le gouvernement peut-il encore aider la population ?
Constamment dire que le gouvernement doit sortir la population du pétrin, c’est pour moi, infantiliser les citoyens. On doit arrêter d’attendre des aides étatiques. L’Etat ne peut pas constamment s’endetter pour nous sortir des problèmes. On sait qu’on va avoir un hiver difficile, mais beaucoup ont joué à la cigale tout l’été. Ce n’est pas grave, il faut juste anticiper ces moments plus durs en aidant ceux qui en ont le plus besoin.
Les plus nantis doivent le plus “souffrir” selon vous ?
Il ne faut pas prendre des mesures de diminution des coûts pour tout le monde de la même manière. Il faut surtout aider ceux qui en ont vraiment besoin. Les citoyens qui peuvent subir le choc doivent se rendre compte qu’on ne peut pas continuer comme avant. Un prix de l’énergie plus élevé indique aussi un changement de paradigme. On sait depuis longtemps qu’il faut que cela change. Cette crise liée à la guerre en Ukraine nous force à changer. Les coûts chers de l’énergie sont des choses normales dans une société en mutation.
L’aide doit donc se faire de manière proportionnelle aux moyens à disposition d’un foyer. Les mieux nantis peuvent plus facilement s’adapter. Ils auront les fonds nécessaires pour investir dans des panneaux solaires, ou dans l’isolation de leur maison en anticipant ces changements. On doit prévoir que ce soit ces personnes qui “souffrent” le plus, car elles s’adapteront plus facilement, elles auront les capitaux nécessaires pour le faire. Il n’est pas normal de mettre tout le monde sur le même plan.
Dans ce sens, le chèque énergie octroyé par le gouvernement est peut-être égalitaire, mais injuste. Je comprends que ce soit la solution la plus simple, mais je ne peux pas accepter ce genre de pratique. Il ne faut pas abuser de notre budget fédéral pour aider des gens qui n’en ont pas besoin, car c’est vraiment du gâchis. Et en personne de crise, il faut éviter cela à tout prix.
Quelles autres mesures prendre ?
Pour moi, il est inadmissible, par exemple, que les locataires qui ont des difficultés aient à payer pour des “passoires énergétiques”. Les charges devraient être plafonnées à charge des propriétaires. Je ne peux pas comprendre que des rentiers profitent du système.
Les coûts chers de l’énergie sont des choses normales dans une société en mutation.
Prenez les livrets d’épargne des Belges, ils affichent plus de 300 milliards d’euros d’encours ! Si on prend ne fut-ce qu’ une fraction de cet argent pour solutionner le problème, il sera résolu. On ne prend pas l’argent où on a besoin de le prendre. Cela va être difficile, mais tout le monde ne doit pas faire un effort égal, mais un effort juste en proportion de ses capacités. Certaines personnes sont déjà à bout.
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