Trump contre tous et tous contre Trump?
Les dirigeants mondiaux imprévisibles peuvent-ils donner un coup de pouce à la croissance économique ? Ou bien les consommateurs continueront-ils à faire tourner le moteur économique ? C’est à ces questions et à bien d’autres que les économistes que nous avons interrogés tentent de répondre.
Fin 2016, l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche inquiétait (déjà) les marchés financiers. Nous l’évoquions alors et analysions la situation dans ce même supplément. Ce que nous ne savions pas à l’époque, c’est que Donald Trump considérerait le tableau des cours de la Bourse comme son tableau d’affichage personnel. Il a mis des plumes à son chapeau lors des booms boursiers et a exhorté les Américains à acheter des actions lors du krach de mars 2020.
Trump est fier que l’indice S&P 500 ait progressé de plus de 14% par an en moyenne durant les quatre années qui ont suivi son investiture. Il n’y a que sous le règne de Bill Clinton que les actions américaines ont pris encore plus de valeur. En juillet 2020, Donald Trump avertissait les électeurs qu’un vote en faveur de son rival Joe Biden ferait s’évaporer la valeur de leurs actions.
Il se présente désormais comme un président favorable à la cryptomonnaie, ce qui pourrait le rendre un peu moins préoccupé par le cours des actions. Le bitcoin est passé de 70.000 à près de 100.000 dollars (les dépassant même momentanément) depuis la victoire de Donald Trump. La hausse du S&P 500 depuis le 5 novembre a été beaucoup plus modeste, mais les actions sont beaucoup moins volatiles que les cryptomonnaies.
Les investisseurs espèrent secrètement que Trump ajustera encore sa politique si les marchés boursiers chutent trop. Les marchés boursiers américains, en l’occurrence.
Les investisseurs doivent-ils donc se débarrasser de leurs actions européennes parce que l’Europe est menacée de déclin économique ? “Le lien entre le marché boursier et l’économie n’est pas très fort, estime Peter Vanden Houte, économiste en chef d’ING Belgique. Lorsque les marchés boursiers baissent, il y a presque toujours une récession. Un atterrissage plus doux de l’économie ne réduit pas nécessairement les bénéfices des entreprises et n’est pas forcément synonyme de mauvaises nouvelles pour les investisseurs.” La question clé pour les investisseurs est donc de savoir quelles économies pourraient se diriger vers une récession.
La croissance américaine
Selon Florence Pisani, économiste en chef de Candriam depuis janvier, Trump a plus ou moins réalisé ce qu’il avait annoncé au cours de son premier mandat. Les investisseurs devraient s’attendre à ce qu’il tienne parole cette fois encore. “Il a réduit les impôts pour les plus hauts revenus et pour les entreprises aux États-Unis. Il a volontairement augmenté les droits d’importation dans certains secteurs, mais la mise en œuvre a pris plus de temps que prévu.”
La guerre commerciale sélective avec la Chine s’est déroulée principalement au cours de la période 2018-2019. Celle-ci s’est terminée par une trêve co-négociée par Jamieson Greer, l’homme que Trump a maintenant également reconduit en tant qu’attaché commercial. Le président pourrait démarrer beaucoup plus rapidement cette fois-ci. Il est mieux préparé et dispose d’une équipe de confidents autour de lui. “Il va lancer un grand nombre d’initiatives politiques dès les premiers jours”, estime Hans Dewachter, économiste en chef chez KBC. “Des droits de douane plus élevés pourraient voir le jour assez rapidement, car Trump n’a pas besoin de l’approbation du Congrès américain pour cela”, note Florence Pisani.
Pendant la campagne, le président élu a promis des taxes supplémentaires de 60% sur tous les produits en provenance de Chine et de 10 ou 20% sur les importations en provenance du reste du monde. Selon Florence Pisani, ce scénario coûterait à l’économie américaine 1,2 point de pourcentage de croissance et ferait grimper l’inflation de 2 points de pourcentage. Mais est-ce que cela se réalisera ?
Fin novembre, Donald Trump a fait savoir via les réseaux sociaux qu’il signerait de nombreux décrets présidentiels le 20 janvier. La première décision consisterait à imposer des droits de douane de 25% sur tous les produits en provenance du Mexique et du Canada. Une autre décision consisterait en une taxe supplémentaire de 10% sur toutes les importations en provenance de Chine.
“Il s’agit d’une tactique de négociation de la part de Donald Trump, indique Koen De Leus, économiste en chef de BNP Paribas Fortis. Trump menace du pire pour pouvoir ensuite adoucir les droits de douane à la table des négociations. Il va examiner au niveau européen ce que nous exportons le plus vers les États-Unis et imposer des taxes plus élevées jusqu’à ce qu’il obtienne ce qu’il veut. Ne regardez pas non plus aveuglément ces droits de douane à l’importation. Il a d’autres moyens d’entraver le commerce.”
“Oubliez l’atterrissage en douceur”
Véronique Goossens, économiste en chef de Belfius, est la plus optimiste de tous les économistes en ce qui concerne l’économie américaine. “Nous prévoyons une croissance de 2,7% en 2025, soit la même qu’en 2024. Une guerre commerciale mondiale ferait chuter ce chiffre à 1,7%, mais nous n’y croyons pas. Trump menace de conclure des accords. C’est une personne transactionnelle, qui est plus intelligente que nous ne le pensons et qui prend en compte les entreprises de sa circonscription.”
Peter Vanden Houte s’attend toujours à une croissance de 2% aux États-Unis d’ici 2025. “Le FMI a élaboré un scénario dans lequel il estime que l’impact négatif sur les États-Unis sera plus important que sur l’Europe. Cela me surprendrait beaucoup. Les États-Unis sont une économie moins ouverte, plus autosuffisante en matières premières, que la zone euro.”
En outre, Donald Trump pourrait atténuer l’impact des droits de douane en accordant des réductions d’impôts aux Américains.
Koen De Leus est à peu près sur la même longueur d’onde que Peter Vanden Houte. Il s’attend à une baisse de la croissance américaine, de 2,7% en 2024 à 2,1% en 2025. Mais cela reste un bon taux de croissance. “Oubliez l’atterrissage en douceur. L’économie américaine sera alimentée, peut-être même en surchauffe.” Mais tous les économistes s’accordent à dire que la banque centrale américaine (Fed) freinera à nouveau les hausses de taux d’intérêt si l’économie américaine s’accélère trop.
“Trump menace de conclure des accords. C’est une personne transactionnelle, qui tient compte des entreprises de sa circonscription.” – Véronique Goossens (Belfius)
Réduction des impôts
The Guardian ne prévoit qu’une croissance de 1,7 % en 2025 pour l’économie américaine. Principalement parce que Trump a besoin que le Congrès américain réduise les impôts. Par exemple, Donald Trump a promis pendant la campagne électorale de ne plus imposer les heures supplémentaires, les pourboires et les prestations de retraite.
Florence Pisani estime que ces réductions d’impôts pourraient stimuler la croissance de 1 point de pourcentage. L’expulsion d’un million d’immigrés clandestins annoncée par Trump deviendrait également un processus plus progressif. La perte de cette main-d’œuvre bon marché amputerait la croissance de 0,2 point de pourcentage en 2025, selon Florence Pisani.
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“La récession aux États-Unis a été annoncée 10 fois, mais l’économie américaine continue de croître, poursuit Peter Vanden Houte. Les entreprises américaines ont un avantage concurrentiel car elles peuvent se restructurer et innover plus facilement que les entreprises européennes. Le secteur des technologies de l’information représente 10% de l’économie américaine pour seulement 5% de l’économie européenne.”
L’Europe en danger
L’entrée en récession de la zone euro dépend en grande partie des consommateurs. Les gouvernements n’y contribueront pas. “L’Allemagne pourrait être en mesure de dépenser un peu plus d’argent, mais beaucoup d’autres pays ont atteint leurs limites, indique Peter Vanden Houte. La Belgique, la France, l’Italie, la Hongrie, Malte, la Pologne et la Slovaquie ont déjà des déficits budgétaires excessifs.
“L’expert d’ING Belgique estime que l’économie européenne se redressera d’ici à 2025, grâce à une consommation accrue. “Le vieillissement de la population crée un marché du travail tendu, accompagné de hausses de salaires qui augmentent le pouvoir d’achat des consommateurs. Mais tous les jours, on entend parler d’entreprises qui réduisent leurs effectifs et se restructurent, ce qui mine la confiance. Il se pourrait donc bien que les Européens épargnent davantage et dépensent moins, en fin de compte. Toutefois, je ne m’attends pas à une hausse gigantesque du chômage.”
Hans Dewachter s’attendait également à ce que les consommateurs européens dépensent davantage, mais nous épargnons trop et la confiance des ménages et des entreprises est au plus bas. “La demande interne est faible”, fait-il remarquer. Véronique Goossens voit des points positifs dans les ventes au détail, qui s’améliorent discrètement. Peter Vanden Houte table sur une croissance de 0,6% dans la zone euro. Hans Dewachter et Véronique Goossens visent pour l’instant une croissance de 0,7%. Les prévisions de Koen De Leus sont également inférieures à 1%.
“La récession américaine a été annoncée 10 fois, mais l’économie américaine continue de croître.” – Peter Vanden Houte (ING Belgique)
Incertitude vs investissements
Si l’économie mondiale croît d’un point de pourcentage de moins que prévu au cours de l’année à venir, l’Europe sera au bord de la récession, selon les économistes de Candriam . “En Europe, la croissance est déjà extrêmement faible. L’incertitude freine les investissements et la politique européenne est trop faible pour répondre aux tarifs commerciaux plus élevés de Trump”, estime de son côté Florence Pisani. Alors que les économistes considèrent que la Fed ralentira l’économie américaine, ils pensent que la Banque centrale européenne (BCE) viendra à la rescousse de l’économie européenne en réduisant les taux d’intérêt.
“L’Europe est maîtresse de son destin, assure Koen De Leus. Il y a trop peu de pression pour réformer parce que nous sommes encore trop bien lotis. L’ancien président de la BCE, Mario Draghi, a consigné dans un rapport ce que les États membres de l’Union européenne doivent faire pour relever les grands défis. Qui prendra l’Europe en main ? La paralysie politique en France et en Allemagne est un problème.”
Trop de règles
The Guardian estime que la déréglementation est une nécessité urgente en Europe. “L’Europe doit réduire et simplifier les règles pour les entreprises. Si les charges administratives pesant sur les entreprises sont réduites, davantage de ressources seront libérées pour l’investissement. Les entreprises américaines réussissent beaucoup plus rapidement. Par exemple, à transformer les nouveautés en matière d’intelligence artificielle en applications qui augmentent la productivité. L’Europe devrait encourager davantage ce type d’innovation.”
“Le cadre réglementaire est en effet allé trop loin, reconnaît Peter Vanden Houte. L’énergie est plus chère que dans le reste du monde. Nous avions l’habitude de dire qu’un dollar fort était bon pour la compétitivité des entreprises européennes. Aujourd’hui, un dollar fort peut parfois nuire à la compétitivité parce qu’il rend l’énergie encore plus chère. L’Europe est confrontée à un certain nombre de problèmes structurels qu’il convient de résoudre.”
Faut-il donc jouer à fond la carte des actions américaines ? “Il existe un très grand écart de rentabilité entre les entreprises américaines et européennes, mais cela se reflète également dans les prix des actions, déclare Peter Vanden Houte. La prime de risque pour acheter des actions américaines est très faible. Les actions européennes sont très bon marché, mais il y a une raison à cela.” L’Europe pourrait surprendre positivement, si les dirigeants politiques se redressent ou si les consommateurs retrouvent leur sang-froid.
L’Asie aussi dans le camp des perdants
La Chine a des problèmes plus importants que Trump, estime Peter Vanden Houte. “La consommation chinoise reste très faible, car toute l’épargne des Chinois se trouve dans l’immobilier, explique-t-il. Le président Xi Jinping a prévenu que les maisons étaient faites pour être habitées et non pour la spéculation. Il a forcé les banques à fermer le robinet du crédit. Les sociétés immobilières ont connu des difficultés et le pays est désormais rempli de maisons inachevées. La crise immobilière s’éternise et la confiance des consommateurs est plus faible que pendant les périodes de blocage. À contrecœur, le gouvernement chinois a commencé à allouer des fonds pour stabiliser le marché, mais ces incitations sont encore insuffisantes.”
Hans Dewachter estime également que le gouvernement chinois n’a pas fait assez pour relancer l’économie. “La Chine n’atteindra pas la norme de croissance de 5% dans les années à venir. La croissance continuera à s’éroder. La population diminue, le rattrapage technologique est terminé et les fruits à portée de main de l’économie chinoise ont été cueillis.”
Le seul moyen de pallier l’insuffisance de la demande intérieure était d’exporter, ce qui est en train d’être freiné. “Le commerce chinois a été partiellement détourné des États-Unis vers l’Europe. L’Union européenne ne permettra pas aux Chinois de vendre leurs produits ici à des prix de dumping au détriment des producteurs européens”, affirme Hans Dewachter.
Avant même les résultats de leurs élections, il était clair que les États-Unis étaient dans le camp des gagnants et l’Europe et la Chine dans celui des perdants. Pour Peter Vanden Houte, Donald Trump n’est donc ni plus ni moins qu’un “catalyseur”.
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