Les familles à l’origine de What’s Cooking Group: “Malgré leur fortune, ils sont restés très simples”

Terbeke

Après un siècle d’activité, les familles Coopman et Van der Pluym quittent le monde de la charcuterie. Portrait d’une famille fortement enracinée à Lievegem, en Flandre-Orientale, mais dont les ramifications s’étendent jusqu’en Italie et en Suisse.

Le 25 mars n’est pas seulement le jour où le groupe Van Hool a annoncé sa faillite : à l’autre bout de la Flandre, une entreprise saine diffusait elle aussi un message surprenant. What’s Cooking Group, l’entreprise cotée en Bourse souvent mieux connue sous son ancien nom de Ter Beke, mettait en vente sa division charcuterie. Ce pôle, spécialisé dans la charcuterie fine, a réalisé l’an passé un chiffre d’affaires de 464 millions d’euros, soit 56 % du chiffre d’affai­res consolidé ; avec un montant de 21 millions d’euros, toutefois, il n’a contribué qu’à hauteur de 42 % à l’Ebitda. La division suivante par ordre d’importance – les plats préparés – est plus rentable.

Cette mise à l’étalage était inattendue. L’entreprise est aux mains de deux familles, qui détiennent ensemble les deux tiers des actions, versées dans la Fondation Coovan. La famille Coopman est titulaire de la majorité des titres. Fin 2023, elle détenait, par le biais du holding familial Famcoo Invest, près de 43 % des actions, contre 32,7 % à la fin de 2010.

Le deuxième grand nom, au sein de la Fondation Coovan, est celui d’Eddy Van der Pluym. Ce natif d’Anvers est arrivé en 2006, à la suite de la reprise par Ter Beke de sa boucherie Pluma, pour laquelle il avait été payé en partie en actions. Via European Food Investment Company, son holding basé au Luxembourg, l’homme détenait fin 2023 24 % de What’s Cooking Group.

Qui est Eddy Van der Pluym ?

En 2006, Ter Beke rachète la boucherie Pluma, à Wommelgem. En plus de faire de l’entreprise le leader du marché, cette acquisition dote – à l’issue de négociations qui ont tout de même duré près de 10 ans – la Fondation Coovan d’un actionnaire supplémentaire : Eddy Van der Pluym (66 ans), descendant de la troisième génération d’une boucherie créée à Anvers peu après la Seconde Guerre mondiale. “Après la reprise, Eddy a été nommé président exécutif de la division produits carnés, relate Luc De Bruyckere. Il sait tout des processus de production de la viande ; aujourd’hui, c’est normal, mais ça ne l’était pas à l’époque.”
Rapidement, Eddy Van der Pluym se retire de l’opérationnel. Cet ancien marathonien et passionné de course automobile vit en Suisse, au bord du lac Majeur. Au terme de l’exercice 2022, European Food Investment Company SARL, son holding luxembourgeois, affichait un bilan de 37 millions d’euros, un montant principalement constitué de la participation dans What’s Cooking Group, à quoi s’ajoute un patrimoine immobilier anversois. Eddy Van der Pluym a investi dans le projet Napoleonsky, un complexe immobilier dans le quartier de l’Eilandje, avec vue sur le musée MAS ; il y possède toujours un appartement.
D’après Trends Business Information, il n’a plus qu’un seul mandat en Belgique : celui qu’il exerce chez What’s Cooking Group. Il a au fil des ans restitué les mandats qu’il détenait au sein des organisations patronales Fevia et VOKA et de Flanders’ Food, entre autres. Un portrait publié dans Trends à l’occasion de la fusion de Ter Beke et de Pluma le décrit comme le grand timonier de l’expansion de Flanders’ Food, une ASBL qui se consacre à l’innovation au sein de l’industrie agroalimentaire.

L’accord parfait

Le berceau de What’s Cooking Group et de la famille Coopman est Waarschoot, qui fait partie de l’entité de Lievegem depuis 2019. Dans les années 1930, Francies et Marie Coopman-Gabriël transforment l’ancienne brasserie De Schepper en l’Abattoir de chevaux Frans Coopman. Mais c’est surtout à leur fils Daniël que le commerce alimentaire doit son essor.

‘‘Danny était garçon boucher. Il est pour ainsi dire tombé dans le métier quand il était petit. Il a commencé à travailler à 14 ans et sept ans plus tard, il rachetait l’entreprise de son père’’, relate Luc De Bruyckere. Entré dans la société en 1971, le Manager néerlandophone de l’Année 1986 y a passé 41 ans. Il en a été CEO jusqu’en 2006, puis président du conseil d’administration jusqu’en 2012. ‘‘L’épouse de Danny, Edith De Baedts, est licenciée en économie, poursuit-il. La combinaison était parfaite. Danny était responsable de la production, Edith a été directrice financière pendant de nombreuses années.’’

Daniël et Edith étaient des travailleurs acharnés. ‘‘Mon entretien d’embauche s’est déroulé à 9h du matin, se souvient Luc De Bruyckere ; le couple prenait alors son deuxième petit-­déjeuner. Pendant des années, il s’est levé à 4h-4h30. En plus d’élever cinq enfants et d’exercer son métier de directrice financière chez Ter Beke, Edith était échevine à Waarschoot.’’

Luc De Bruyckere, ex-CEO et Eddy Van Der Pluym © BELGA

Quand Luc De Bruyckere est arrivé, l’entreprise comptait 30 salariés. Elle est cotée en Bourse depuis 1986. Aujourd’hui, What’s Cooking Group, qui emploie 2.500 personnes environ, est un acteur de premier plan dans plusieurs pays européens. ‘‘Pourtant, malgré leur fortune, Danny et Edith sont toujours restés très simples, rapporte Luc De Bruyckere. Géographiquement, ils ont toujours misé sur le local. A chaque acquisition, ils se demandaient si l’entreprise n’était pas déjà assez grande. D’où la devise de Daniël : ‘Une heure est une heure. Un franc est un franc. Et un kilo est un kilo.’ Peut-on parler d’un man­que d’ambition ? Non. Ils ne rêvaient pas de conquérir le monde ; s’ils se développaient, ils voulaient que ce soit bien fait. Et en s’entourant des compétences nécessaires. Danny savait déléguer et faire confiance à ses collaborateurs.’’

“Danny, fils de boucher, et Edith, économiste, étaient parfaitement assortis.” – Luc De Bruyckere, ex-CEO

Une nuit parmi les salamis

Le soin maniaque de Daniël Coopman est légendaire. La rumeur veut qu’il ait passé un week-end dans la chambre de maturation, parmi les salamis, pour observer le processus de près. ‘‘Cette histoire est comique, mais inexacte, rétorque Luc De Bruyckere. En fait, comme il s’occupait des produits, il se demandait pourquoi les salamis n’évoluaient pas toujours correctement – il voulait savoir quelle bactérie pouvait en provoquer la décoloration. Un salami sous le bras, il s’est donc rendu à l’université de Gand, pour y consulter un professeur au jargon duquel il n’a rien compris. Il a alors confié le poste de directeur de production à Paul Van Hecke qui, lui, a pu lui expliquer comment faire mûrir les salamis. Danny a toujours voulu être très proche de ses produits.’’

Terbeke

Avec le décès, en 2017, de Daniël Coopman, a disparu ‘‘un véritable charcutier’’, ‘‘une légende vivante de l’industrie flamande de la boucherie’’, ont estimé les médias. Edith De Baedts, son épouse, vit toujours dans la maison de Lievegem, commune où quatre des cinq enfants résident également. ‘‘Ils sont restés dans la région. C’est dans leurs gènes’’, commente Luc De Bruyckere.

La génération suivante a, on l’a vu, versé sa participation détenue dans What’s Cooking Group dans le holding Famcoo Invest, dont elle fait, en compagnie d’Edith, partie du conseil d’administration. Jo Pauwels a remplacé son épouse Ann Coopman au sein du conseil. L’ingénieur a travaillé des années dans la robotique et l’automatisation flexible pour l’industrie automobile et manufacturière. En 2019, il a été administrateur délégué de la filiale belgo-néerlandaise du groupe suisse ABB.

Ann Coopman est décédée en 2019. Comme sa mère et son grand-père avant elle, elle s’était engagée en politique. En 1995, elle a été nommée échevine CD&V de Waarschoot, commune dont elle a ensuite été bourgmestre de 2009 à fin 2018. Elle aurait pu devenir échevine de Lievegem, mais la maladie en a voulu autrement. ‘‘J’ai perdu ma mère en politique’’, avait alors tristement commenté Kim Martens, l’actuel bourgmestre (CD&V). Au-delà des querelles de partis, Ann Coopman avait su se faire apprécier pour son action dans la commune.

Les enfants

De la génération d’Ann, seule Dominique Coopman ne vit pas à Lievegem. Cette ingénieure agronome et ingénieure industrielle a suivi son mari en Italie, où il dirige la succursale d’une société américaine. Dominique vit depuis des années à Castelletto Uzzone, entre Gênes et Turin.

Licenciée en économie, Katrien, sa sœur, travaille aujourd’hui essentiellement comme bénévole. Hilde Coopman est la seule à être active dans l’entreprise familiale, en qualité de juriste. ‘‘S’il y a si peu d’enfants dans le groupe, c’est parce qu’ils devaient décrocher un diplôme universitaire et acquérir cinq ans d’expérience dans une fonction de direction ailleurs, explique Luc De Bruyckere. Ce délai était si long qu’ils ont fini par rester là où ils étaient.’’

Il en va de même pour Frank Coopman, le seul fils. Ce docteur en médecine vétérinaire et spécialiste en biotechnologie moléculaire médicale détient toujours, selon Trends Business Information, le plus grand nombre de mandats. Les divers biens immobiliers dont la SA Holbimmo est propriétaire affichaient fin 2022 une valeur comptable de 1,6 million d’euros. Holbigenetics a son siège au domicile de Frank Coopman, où son épouse Annik Van de Mierop dirige un cabinet vétérinaire. Cette SA s’occupe notamment de l’analyse des ris­ques chez les animaux de compagnie. Son bilan, en fin d’exercice 2022, faisait état d’une perte reportée d’un million d’euros. Frank Coopman a procédé à plusieurs aug­mentations de capital ces dernières années.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content