Comment appréhender la menace chinoise et éviter que le Green Deal ne nuise aux constructeurs
automobiles européens ?

Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Drôle de situation : la Commission européenne enquête 
sur les voitures électriques chinoises, trop bon marché à son goût. 
Les constructeurs européens ne soutiennent guère la démarche publiquement. 
Ils préfèrent multiplier les accords de coopération avec des marques chinoises.

En moins de 10 ans, la météo a changé entre la Chine et l’Union européenne, au sujet des voitures. En mai 2006, le distributeur automobile Cardoen avait organisé un salon de la voiture chinoise à son siège, à Anvers, pour mesurer l’intérêt des particuliers belges pour ces véhicules. Ce fut un échec. Ces voitures, très bon marché – 5.499 euros pour les moins chères – étaient jugées vieillottes, voire dangereuses. Quelques crash tests menés par l’ADAC, le Touring allemand, montraient d’ailleurs qu’elles tenaient mal le choc en cas d’accident.

En 2006, le salon de la voiture chinoise organisé par Cardoen avait été un échec. © PG

Aujourd’hui, avec l’électri­fication, les voitures chinoises sont devenues synonyme de technologie avancée, de batteries performantes. Elles n’ont rien à envier aux européennes, elles-mêmes équipées souvent d’accumulateurs d’origine ou de conception chinoise. Elles affichent souvent cinq étoiles aux crash tests de l’Euro NCAP.

Ce n’est pas encore un raz- de-marée, la part des marques chinoises peine à dépasser les 3% dans les immatriculations en 2023 et début 2024, mais c’est un début.

Premier exportateur mondial

Tel est le résultat du développement accéléré de la Chine, qui en a fait le premier marché automobile mondial, et d’une politique de soutien aux véhicules mûs par de nouvelles énergies développées depuis 2001. Le pays, qui n’exportait quasi aucune voiture, est devenu premier exportateur mondial, dépassant le Japon et l’Allemagne.

Pour les Chinois, le marché européen est une aubaine, surtout que celui des Etats-Unis leur est quasi fermé. Le président Biden veut y augmenter les droits d’importation de 25% à 100%.

Sur notre continent, la pression réglementaire encourage les autos électriques. La vente de voitures neuves diesels ou à essence y sera en effet interdite à partir de 2035, et les zones de basses émissions bannissent progressivement les voitures les plus polluantes. A Bruxelles, les diesels seront bannis dès 2030, les véhicules à essence en 2035.

Tout cela inquiète la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Elle a lancé en octobre 2023 une enquête sur les subsides perçus par les constructeurs chinois, afin de déterminer si leur ampleur ne porte pas atteinte aux cons­tructeurs européens. Cela pourrait mener à une hausse des droits de douane, fixés actuellement à 10%. Il s’agit d’éviter le précédent des panneaux solaires, les pro­ducteurs chinois ayant quasiment évincé les Européens sur le Vieux Continent.

Une procédure inhabituelle

La procédure est singulière. Habituellement, la Commission ouvre une enquête suite à la plainte d’entreprises. “Elle s’est saisie ex officio, ce qui n’est pas l’appro­che courante, relève Gonzague Vannoorenberghe, professeur de commerce international à l’Ecole des sciences économiques de l’UCLouvain.

“Il faut prouver qu’il y a un dommage pour des entreprises européennes, continue Gonzague Vannoorenberghe. Ce qui, dans ce cas, n’est pas simple, car il s’agit ici d’un marché globalement en croissance.” Les règles qui s’appliquent sont celles de l’OMC, qui précise un cadre pour définir les aides excessives pouvant faire l’objet de mesures compensatoires. La Commission prendra une décision en novembre, et pourra décider des mesures conservatoires à partir de juillet.

Se tirer une balle dans le pied

Les constructeurs européens se montrent plutôt discrets et ne soutiennent pas publiquement la Commission. Et pour cause : ils sont parfois très présents en Chine et ne tiennent pas à mettre en péril cette activité. Le groupe VW y vend plus de 3 millions d’autos à travers des joint-ventures. C’est le premier marché pour Mercedes. Tous craignent des mesures de rétorsion.

“Vous pouvez vite vous tirer une balle dans le pied”, a déclaré Oliver Zipse, le CEO de BMW, en marge de l’annonce des derniers résultats trimestriels. Il reconnaît que BMW et d’autres constructeurs européens ont aussi “des dépendances bilatérales non seulement à l’égard du produit final, mais aussi du côté des composants et des matières premières”. La Chine contrôle une bonne part de la production des batteries et de la transformation des matières premières utiles pour les véhicules électriques européens.

“Il faut prouver qu’il y a un dommage pour des entreprises européennes. Ce qui, dans ce cas, n’est pas simple, car il s’agit ici d’un marché globalement en croissance.” – Gonzague Vannoorenberghe (UCLouvain)

Les règles de l’OMC interdisent les rétorsions explicites à des mesures compensatoires. Mais la Chine a déjà montré sa capacité à riposter sans le dire aux mesures qui l’embarrassent.

Les autres constructeurs européens moins présents en Chine, comme Stellantis ou Renault, sont tout aussi prudents. Carlos Tavares, CEO de Stellantis, naguère très critique sur la Chine où il ne vend presque rien, se dit à présent opposé à l’enquête européenne. “Comme nous devons faire face à des problèmes globaux, nous devons adopter une mentalité globale. Nous ne soutenons pas un monde fragmenté. Nous aimons la compétition. Lancer une enquête n’est pas la meilleure façon d’aborder ces questions”, a-t-il dit en octobre dernier. Précision : il a livré ce commentaire en Chine, en marge de l’annonce d’une prise de participation de 21% dans le constructeur chinois Leapmotor.

Stellantis mise sur Leapmotor

De toute évidence, les constructeurs européens préfèrent des accords de collaboration à une confrontation incertaine. Des voitures Leapmotor pas chères seront bientôt construites en Pologne, dans une usine du groupe européen, à travers une joint-venture entre Stellantis et le constructeur chinois. Deux modèles seront vendus en Belgique à partir de septembre, à moins de 20.000 euros.

Deux modèles issus de la joint-venture entre Stellantis et Leapmotor et assemblés en Pologne seront vendus en Belgique à partir de septembre. © PG

Ces constructeurs utilisent ou vont quasi tous utiliser la Chine pour produire des voitures électriques. Le groupe BMW y fabrique notamment les SUV iX3 et la Mini Aceman, construite sur une plateforme conçue avec le chinois GreatWall. Smart, dont Mercedes et le chinois Geely sont coactionnaires, y produit ses nouvelles électriques qui arrivent sur le marché (smart #1 et smart #3). Même le groupe Renault, peu actif en Chine, y construit la petite Dacia Spring, pour la proposer à un prix attractif en Europe (à partir de 16.990 euros).

L’imbrication entre constructeurs européens et chinois rend délicat tout bras de fer commercial avec Pékin. La Commission joue peut-être le bad cop pour encourager les partenaires économiques et politiques chinois à construire des alliances ou des accords de partenariats pour fournir l’Europe en préservant les constructeurs européens. Pour pousser aussi les Chinois à ouvrir des usines en Europe…

“Les Chinois planifient, les Européens réglementent”

Le rapport de force s’inverse. Hier, les Européens pouvaient entrer en Chine, forts de leur technologie, et Pékin leur imposait de conclure des joint-ventures avec des cons­tructeurs locaux. Aujourd’hui, ce sont les constructeurs de voitures électriques chinois qui sont cour­tisés pour leur technologie et signent des accords avec des Européens. Volkswagen a signé un accord avec Xpeng pour développer des voitures électriques destinées au marché chinois.

De toute évidence, les cons­tructeurs européens préfèrent des accords de colla­boration à une confron­tation incertaine.

Le cas le plus étonnant est celui de Geely, qui a racheté Volvo et Lotus et détient la moitié des parts de Smart. Il produit différentes marques, dont Polestar, qui vend des véhicules électriques aux allures de Volvo, fabriqués en Chine. Il a conclu un accord avec Renault pour la fabrication de moteurs à carburant, à travers la société Horse. Le CEO de Renault, Luca de Meo, a une certaine admiration pour la manière dont Daniel Li, CEO du groupe Geely, a su développer un groupe à cheval entre la Chine et l’Europe, en partageant des plateformes et en multipliant les marques et les concepts. Il a publié une lettre ouverte en mars dernier pour demander un sursaut de l’industrie européenne. Il n’y parle pas de mesures contre les importations chinoises, mais plutôt de la nécessité de projets de coopération entre constructeurs pour construire des petites autos électriques ou des voitures basées sur du software. “Comme en Chine, les composants cachés pourraient devenir communs aux constructeurs”, écrit-il. Il y souhaite moins de réglementation, en résumant : “les Américains stimulent, les Chinois planifient, les Européens réglementent”.

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