Paul Vacca

Le silence assourdissant de la voiture électrique

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Les constructeurs de véhicules électriques cherchent aujourd’hui à “resalir” le silence trop pur des voitures électriques pour retrouver l’expérience de la voiture thermique.

Lorsque les premiers compact-discs sont sortis, il y a tout juste 40 ans, certains amateurs de musique classique furent décontenancés. Ils trouvaient le son numérique d’une grande pureté mais trop propre et comme en apesanteur. Il manquait cette chaleur et ce liant qui caractérisent le son analogique et certains en vinrent même à regretter le souffle et jusqu’aux petits craquements de leurs pressages vinyle. Les fabricants se sont alors employés à “resalir” le son trop pur qui abreuvaient les sillons des CD.

On assiste à un phénomène comparable avec la voiture électrique. Par rapport à son ancêtre, la voiture thermique, elle ne se contente pas seulement de ne pas émettre de carbone en roulant, elle réduit aussi la pollution sonore en étant quasi silencieuse à petite vitesse. Si ce dernier point est un avantage indéniable (pouvant à terme rendre nos métropoles moins bruyantes), il comporte néanmoins un défaut de taille. En n’émettant pas de bruit, les véhicules électriques deviennent des prédateurs silencieux. Car si le bruit des véhicules thermiques constitue une nuisance, il possède l’immense vertu de se signaler aux autres.

Un enjeu de sécurité dans les villes d’autant plus crucial que de plus en plus de non-automobilistes – piétons ou cyclistes – se déplacent en téléphonant, en consultant leur smartphone ou en écoutant de la musique. C’est pourquoi les constructeurs de véhicules électriques cherchent aujourd’hui, comme les fabricants de CD en leur temps, à “resalir” le silence trop pur des voitures électriques pour retrouver l’expérience de la voiture thermique (analogique, pourrait-on dire).

Mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne s’agit pas d’une mince affaire. Car le son émis par les voitures ne constitue pas un simple signal sonore comme une sonnerie de téléphone ou le signal pour mettre sa ceinture de sécurité. C’est en réalité un signal complexe, multidimensionnel qui nous renseigne non seulement sur la présence d’un véhicule, mais sur sa direction, sur sa vitesse, s’il est train d’accélérer ou de décélérer, s’il avance ou s’il recule… Bref, notre cerveau, entraîné par une bonne centaine d’années de pratique de la voiture à combustion, décrypte toutes ces informations formant une sorte de filet protectif sonore. Ainsi, certains plaident aujourd’hui pour imposer aux nouveaux véhicules un niveau sonore minimum comme on imposait aux anciens un seuil maximal.

Or, rendre les véhicules électriques plus bruyants n’a rien de naturel. C’est même un véritable casse-tête. Quel niveau sonore adopter pour qu’il soit suffisamment audible sans abasourdir? Faut-il imiter le son des voitures thermiques – par ce que l’on appelle “skeuomorphisme”, à savoir la reproduction virtuelle d’un son réel, comme certaines sonneries de téléphone qui reprennent le “dring” des vieux téléphones? Faut-il au contraire défricher de nouveaux territoires sonores spécifiques pour créer une nouvelle grammaire sonore comme dans Blade Runner, par exemple? Avec un nouveau défi pour chaque fabricant automobile: celui de pouvoir se créer sa propre signature sonore – comme Harley-Davidson a pu le faire avec ses motos – devenant un nouvel identifiant de sa marque et de ses modèles.

Mais au-delà de l’enjeu de design sonore qui se pose à chaque fabricant en particulier, le casse-tête risque vite de devenir collectif. Comment tous ces sons de styles différents vont-ils cohabiter à l’échelle des villes? La symphonie du nouveau monde pourrait très bien être cacophonique. Et le silence des voitures électriques assourdissant.

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