La reprise quand on a réorienté ses activités: les cas de Lhoist, Dardenne, Newtree Impact, Good Move et Mozzeno

Arthur et Nicolas Lhoist: "Nous avons décidé d'accentuer le travail en famille en créant des passerelles entre nos différents business." © Isopix/ Frédéric Sierakowski

“Ne jamais gaspiller une bonne crise.” De nombreuses entreprises ont pris le conseil de Winston Churchill à la lettre et, à l’occasion de cette bataille contre le virus, ont changé leur fusil d’épaule.

La rédaction de Trends-Tendances consacre son numéro de la semaine à la reprise.

Découvrez ici l’entiereté du dossier:

La crise ébranle. Mais parfois, elle donne aussi l’occasion de partir dans une autre direction. Parfois même, elle permet d’accélérer un projet que l’on avait derrière la tête depuis longtemps. L’entreprise bruxelloise NewTree, spécialisée dans le chocolat et le café bio, équitable et issu de procédés de production neutre en carbone, avait développé avant la crise cinq bars offrant de la petite restauration, deux à San Francisco, deux en France, et NewTree venait d’en ouvrir un à Bruxelles. Mais le Covid a chamboulé son plan de développement, forçant l’entreprise à arrêter ses activités américaines, au moment même où elle avait décidé de leur donner un coup d’accélérateur, et à mettre en veilleuse ses activités européennes.

La vision de départ dans la création de NewTree était de créer une marque ombrelle avec une diversification transversale dans d’autres produits.”

Benoît de Bruyn, CEO de NewTree Impact

NewTree a donc décidé ces derniers mois de se réorienter et, finalement, de monter en puissance en levant des capitaux pour devenir un holding. La société, cotée sur le marché Access d’Euronext, va garder sa participation dans son activité historique mais va également prendre des participations dans d’autres entreprises actives dans le secteur alimentaire et partageant la même philosophie. “Oui, c’est une réorientation, mais c’est finalement la poursuite de nos fondamentaux, explique Benoît de Bruyn, le CEO de NewTree. Je suis un fervent passionné de nature depuis que je suis tout petit. Je rêve de vouloir contribuer à une meilleure planète. J’en ai fait mes études, je suis devenu ingénieur en biochimie, avec une spécialisation en génie civil environnemental. Et la vision de départ dans la création de NewTree état de créer une marque ombrelle avec une diversification transversale dans d’autres produits.”

Cette première entreprise dans le chocolat l’a passionné, son développement lui a pris beaucoup de temps, mais cette idée de développement transversal et d’ouverture à d’autres projets ne l’avait pas quitté. “Les statuts de NewTree constitués en 2001 prévoyaient d’ailleurs déjà cette possibilité, poursuit Benoît de Bruyn. La crise a donc été un accélérateur d’ambition!”

Une réorientation qui a été acceptée immédiatement par les actionnaires. “En mars 2020, se souvient Benoît de Bruyn, j’ai dû dire au management qui devait partir aux Etats-Unis pour piloter l’ouverture d’un troisième café, alors que leurs valises étaient prêtes: ‘vous ne partez plus, car cette crise va mal se passer’. Un mois plus tard, je convoque un conseil d’administration pour proposer de fermer cette activité, ce qui a été difficile, financièrement et humainement. Mais au même moment, on a vu que cette crise allait changer notre secteur d’activité de manière très profonde, et je me suis dit que je ne pouvais plus attendre et qu’il fallait se réinventer. Nous avions un business écoresponsable et j’ai proposé au conseil: pourquoi ne pas en avoir plusieurs? J’ai eu la chance d’avoir des actionnaires solidaires qui ont dit oui tout de suite.”

Benoît de Bruyn, CEO de NewTree Impact
Benoît de Bruyn, CEO de NewTree Impact© PG

Pendant la deuxième partie de l’an dernier, le CEO de NewTree travaille donc sur le projet: où investir, avec qui, avec quelle équipe. Son ambitieuse stratégie, acceptée fin 2020, s’accompagne d’un changement de nom (on dira désormais NewTree Impact). NewTree Impact devient donc un holding avec, comme première participation, son activité historique dans le chocolat et le café. Mais aussi l’envie d’accompagner le développement d’entreprises actives dans trois domaines spécifiques: la technologie agricole, la technologie alimentaire et la gestion des déchets alimentaires. “Des secteurs que l’on connaît bien, observe le CEO de NewTree Impact. Dans notre conseil d’administration, nous avons quatre personnes de très haut niveau dans l’alimentaire mondial. Udaiyan Jatar, qui a été vice- président global innovation chez Coca-Cola et qui, à un moment, a créé sa propre société de conseil dans le changement durable, est par exemple un administrateur qui m’a très fort inspiré.”

NewTree Impact est désormais dans sa phase de financement afin de lever rapidement une dizaine de millions d’euros. L’opération se fait en deux étapes. La première est quasiment bouclée. Les actionnaires existants vont lever entre 1 et 1,5 million. Puis, dans un second temps, la société ira chercher environ 8 millions d’euros auprès d’investisseurs institutionnels, de petites entreprises ou de family offices. “Nous nous sommes donné les six prochains mois pour avoir ces 10 millions de puissance de frappe, confie Benoît de Bruyn. Et je n’ai même pas encore commencé que les dossiers passionnants à proposer aux actionnaires affluent.”

Deux investissements ont déjà été approuvés: dans l’aquaculture et les succédanés végétaux de protéine animales. “Nous sommes sur un troisième, ajoute Benoît de Bruyn. C’est le début d’une grande aventure.”

Ensemble, on est plus forts

L’histoire des frères Lhoist est un peu différente. Ici, la crise a dévoilé les possibilités d’un partenariat qui n’avait pas été envisagé avant. Il y a deux devises qui se télescopent dans leur nouvelle aventure entrepreneuriale: la très belge L’union fait la force et la plus nietzschéenne Ce qui ne me tue pas me rend plus fort. Actifs dans l’horeca et l’événementiel, les frères Arthur et Nicolas Lhoist évoluaient jusqu’ici de manière autonome dans leur business respectif: le premier à la tête des restaurants Tero ; le second aux commandes des sociétés People First et Knokke Out, spécialisées dans le team building et l’organisation de loisirs.

Avec le coronavirus, les deux frères ont été quelque peu bousculés dans leurs affaires et même s’ils n’ont pas perdu pied, ils ont choisi de se réinventer et de fusionner leurs activités dans un nouveau groupe coupole. “C’est l’un des effets bénéfiques du Covid, témoigne Nicolas Lhoist. Cette crise nous a permis de prendre du recul et de tout repenser sur un plan stratégique. Nous avons décidé d’accentuer le travail en famille en créant des passerelles entre nos différents business.”

Si le nom du nouveau groupe n’a pas encore été choisi (l’agence de pub Air y travaille), la transformation a toutefois été enclenchée et bientôt, les standards sains des restaurants Tero (alimentés par leur ferme bio de Rabanisse) gagneront l’offre des événements cornaqués par People First et Knokke Out. Mais ce sont surtout les projets à venir qui donneront toute son envergure au nouveau groupe des frères Lhoist. Ambitieux, les deux trentenaires ont déjà planifié l’ouverture de trois nouveaux espaces horeca au printemps 2022: un logement haut de gamme de 30 chambres près de Cadzand en Zélande, un autre gîte de standing de 27 chambres à Herbeumont dans le Luxembourg belge et un troisième restaurant Tero à Bruxelles, assorti d’un hôtel de 11 chambres, d’un centre de yoga et de salles de séminaires. Viendront ensuite deux nouveaux chantiers fin 2022: un gîte de 25 chambres de luxe à Spa-Francorchamps et un écolodge dans la région de Dinant qui, comme les autres lieux, seront aussi bien ouverts aux entreprises qu’aux particuliers.

Avec ces cinq projets immobiliers, les frères Lhoist – qui emploient ensemble une centaine de personnes aujourd’hui – espèrent engager à terme 50 nouveaux collaborateurs. “Nous allons investir dans le tissu économique belge et, en ces temps de Covid, cela fait beaucoup de bien, se réjouit Arthur Lhoist. Le signal est très bon pour le secteur, mais surtout pour nos équipes car cela donne beaucoup d’espoir et de perspectives dans un monde qui en manque pour l’instant.”

Portée par un chiffre d’affaires annuel de quelque 20 millions d’euros en consolidé (avant le Covid), la nouvelle structure des deux frères vise une forte expansion dans les années à venir. Un sacré pari placé sous le signe de l’audace, du développement durable, de l’union fraternelle et, il est vrai, d’un certain Nietzsche aussi.

Agilité, le maître-mot

Autre exemple d’entreprise qui a su faire preuve d’agilité durant la crise: Mozzeno. Depuis sa naissance en 2017, la start-up est devenue aujourd’hui la première plateforme belge de financement collaboratif qui permet à des particuliers de financer indirectement les projets d’autres particuliers (frais d’études, rénovation d’un appartement).

Une ascension que la crise n’a absolument pas remise en cause. Non seulement Mozzeno a réussi à lever 3 millions d’euros juste après la première vague en vue d’accélérer son développement, mais en plus elle a annoncé en ce début d’année un partenariat avec la plateforme Vroom.be pour permettre aux particuliers de financer leurs véhicules d’occasion avec des prêts collaboratifs. “Nous avons pu atteindre les objectifs que nous nous étions fixés sur base d’une stratégie établie avant le Covid, situe Xavier Laoureux, cofondateur de Mozzeno. Par ailleurs, le marché du crédit à la consommation s’est contracté mais notre modèle digital nous a avantagés par rapport aux acteurs peu digitalisés.”

Xavier Laoureux, cofondateur de Mozzeno
Xavier Laoureux, cofondateur de Mozzeno© PG

L’an dernier, la fintech a ainsi enregistré une croissance de 60% du nombre de projets financés pour un montant total de plus de 11 millions d’euros. Surtout, poursuit Xavier Laoureux, “nous nous sommes rendu compte que nous pouvions proposer à d’autres ce que nous utilisions déjà pour nous-mêmes, à savoir un système de signature digitale des contrats de prêt livré clé sur porte en marque blanche. C’est un peu la même idée que celle d’Amazon qui propose à d’autres ses services de cloud.” Résultat des courses: deux acteurs du crédit à la consommation (style Cofidis) utilisent désormais une solution de signature digitale développée par Mozzeno Services, société soeur de Mozzeno.

Le marché du crédit à la consommation s’est contracté mais notre modèle digital nous a avantagés par rapport aux acteurs peu digitalisés.”

Xavier Laoureux, cofondateur de Mozzeno

“Nombre d’entre eux utilisent encore beaucoup de papier et disposent de lourdes infrastructures informatiques. Notre solution permet, sans nécessiter aucune intégration, de préparer automatiquement l’ensemble des documents nécessaires à la signature d’un contrat à l’origine en papier de manière digitale. Il y a un réel potentiel de développement, nous y croyons très fort”, complète Xavier Laoureux.

Jeunes pousses

La crise peut parfois même déboucher sur la nécessité de se réinventer complètement, comme en témoigne Good Move, le projet porté par deux jeunes entrepreneurs wallons Brieuc Debois et Lucas Vandierendonck.

Good Move existe depuis quatre ans. “Nous produisions au départ des jus de fruits et légumes bios pressés à froid, explique Brieuc Debois. La majeure partie de nos clients étaient des restaurants et cantines d’entreprise ou d’institution”. Mais l’arrivée du Covid signifie l’arrêt des commandes. Good Move perd 70% de ses ventes, décide d’arrêter une production qui n’était plus rentable et se retrouve proche de la faillite. “Nous avons alors pris du recul et nous nous sommes interrogés sur l’avenir de l’entreprise, que nous ne voulions pas abandonner”, explique Brieux Debois. Le duo injecte l’intégralité de ses revenus du droit passerelle dans Good Move pour la maintenir à flot et entre dans une phase de profonde réflexion.

“Nous avions la chance, poursuit Brieuc Debois, que Lucas, mon associé et ami, se soit intéressé à l’agriculture verticale, une agriculture qui présente des avantages écologiques consistants: la suppression de toute utilisation de pesticide, fongicide, herbicide, la diminution de la quantité d’eau et de la surface utilisées. Nous sommes au printemps 2020, et il me dit un jour qu’il va commencer à faire des tests de micropousses chez lui. C’était le moment de son anniversaire, je lui offre des graines. Les micropousses grandissent et Lucas me dit alors que leur goût est excellent et que c’est un produit extraordinaire. Pourquoi ne pas tenter un test et les commercialiser? Je me dis oui, on ne sait jamais…”

Lucas Vandierendonck et Brieuc Debois, fondateurs de Good Move
Lucas Vandierendonck et Brieuc Debois, fondateurs de Good Move “Nous tablions au départ sur 150.000 euros, mais face à l’intérêt, nous avons finalement récolté 232.000 euros auprès de neuf investisseurs.”© PG

Le duo planche sur le projet, réalise un design pour le packaging, des supports visuels, des tests sur diverses variétés et en parle au responsable du magasin D’Ici, à Namur, qui avait été le premier à accueillir les jus Good Move. Ils aiment le produit. Reste à remettre l’entreprise sur pied. Pour cela, Brieuc Debois et Lucas Vandierendonck sont aidés par un programme de coaching et par le réseau Entreprendre. Eric Maes, le cofondateur de Père Olive les encourage et les conseille. Le duo prospecte, va voir des investisseurs et la mayonnaise prend tellement qu’ils récoltent davantage d’argent que prévu auprès des business angels, alors que ceux-ci n’avaient jamais montré d’enthousiasme pour soutenir les jus de Good Move. “Nous tablions au départ sur 150.000 euros, mais face à l’intérêt, nous avons finalement récolté 232.000 euros auprès de neuf investisseurs”, explique Brieux Debois. Une somme qui va servir à agrandir la production et doper sa force de vente.

Aujourd’hui, les jeunes pousses de Good Move sont distribuées dans 37 points de vente et l’entreprise produit 600 à 700 raviers par semaine. “Cela commence à décoller, se réjouit Brieuc Debois. Nous cherchons désormais un entrepôt de 200 à 500 mètres carrés pour nous permettre d’augmenter la production. La cave de Lucas où se trouve actuellement la production est devenue bien trop petite”.

Maintenir la compétence

En région liégeoise, l’entreprise Dardenne fournit le fabricant de réacteurs Safran. Mais avec l’industrie aéronautique à l’arrêt, ce spécialiste de l’usinage de pièces mécaniques se tourne vers l’hydrogène, le secteur médical ou celui des vélos électriques.

Dans une industrie aussi spécialisée que l’aviation, la réorientation n’est pas toujours facile. C’est néanmoins la politique poursuivie par l’entreprise Dardenne, basée à Heure-Le-Romain, au nord de Liège. “Nous usinons des pièces pour plusieurs entreprises qui fournissent Airbus et Boeing”, explique Nicolas Baijot, CEO de l’entreprise.

La production d’avions n’est pas totalement à l’arrêt mais les stocks des constructeurs et de leurs sous-traitants sont pleins. “Même si le trafic aérien reprend, nous serons les derniers à augmenter la production.” Dardenne est un fournisseur de deuxième ligne qui approvisionne des sous-traitants d’Airbus et Boeing, en l’occurrence Safran Aero Booster (ex-Techspace Aero). L’association mondiale des compagnies aériennes, l’Iata, parle de 2024, au mieux, pour un retour du trafic au niveau de 2019. Le point positif pour Dardenne est qu’il produit des pièces pour des moteurs plus propres et que les aides publiques apportées aux compagnies aériennes sont souvent subordonnées à l’usage d’avions utilisant ce type de moteur.

Nous proposons nos services à d’autres secteurs, en phase avec les thèmes du plan de relance économique, par exemple l’énergie, le secteur médical ou bio-médical, d’autres modes de transport, etc.”

Nicolas Baijot, CEO de Dardenne

Dardenne, qui occupe 30 personnes, fabrique surtout des pièces montées sur des réacteurs CFM International Leap produits par Safran, que l’on retrouve sur les nouveaux monocouloirs Airbus A320 et les Boeing 737 Max. Mais alors que la suspension de la production du Boeing 737 Max à la fin 2019 avait déjà affecté l’entreprise, les cadences se sont effondrées avec l’arrivée de la pandémie. “Avant la crise du Covid, nous avions plutôt des problèmes de croissance, il fallait investir dans des machines, recruter, précise Nicolas Baijot. Aujourd’hui, notre souci, et celui de mes confrères du secteur, est de maintenir les compétences très pointues que nous avons développées. Nous avons accusé un recul de 45% de l’activité l’an dernier et ça continue. Nous attendons de manière urgente les retombées du plan de relance économique Get up Wallonia.”

Nicolas Baijot travaille donc à diversifier l’activité pour adoucir le sort de l’entreprise qui était entrée en bonne santé dans la crise et, à terme, réduire sa dépendance à l’aéronautique. “Il y a des pièces mécaniques dans toutes les machines ou équipements, souligne-t-il. Dès lors, les équipements et les techniciens qualifiés que nous employons peuvent fabriquer des pièces pour n’importe quel autre secteur. Nous proposons nos services à d’autres secteurs, en phase avec les thèmes du plan de relance économique, par exemple l’énergie (hydrogène vert), le secteur médical ou bio-médical, d’autres modes de transport (ferroviaire, mobilité douce, etc.)”, comme les vélos à assistance électrique, secteur qui connaît une croissance importante, que la pandémie ne ralentit pas.

Il y aussi le secteur spatial. “Nous le fournissons déjà, ajoute Nicolas Baijot, mais les volumes potentiels sont faibles.” Son souci est de maintenir le savoir-faire industriel qui a été développé. “La compétence industrielle remonte à la FN d’Herstal, qui travaillait avec de nombreux sous-traitants dans la région liégeoise, et s’est prolongée avec l’aérien. Ce serait dramatique que cela soit perdu.”

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