La reprise, ça se prépare: regards croisés
Ce sera dans six mois, dans un an ou dans deux ans. Mais un jour, c’est sûr, l’économie repartira. Comment saisir les opportunités de cette reprise? Comment anticiper les évolutions du marché? Comment éviter la surchauffe d’un redémarrage trop brutal? Comment mobiliser son personnel? Une vingtaine de patrons et de patronnes de PME belges apportent leurs témoignages.
La rédaction de Trends-Tendances consacre son numéro de la semaine à la reprise.
Découvrez ici l’entiereté du dossier:
- La reprise, ça se prépare : regards croisés
- La reprise après un long arrêt forcé : les cas de Luc Petit, Delsart et The Wolf
- La reprise après avoir investi pour répondre à la crise sanitaire : les cas AMB Ecosteryl et Deltrian
- La reprise quand on crée sa boîte en 2020: les start-up dans les starting-blocks
- La reprise avec un nouveau CEO: le cas OncoDNA
- La reprise quand les chiffres ont explosé avec le Covid : le cas Dutra
- La reprise après avoir racheté un concurrent : le cas Lasea
- La reprise après une IPO sur le Nasdaq : le cas iTeos Therapeutics
- La reprise quand on a réorienté ses activités : les cas de Lhoist, Dardenne, Newtree Impact, Good Move et Mozzeno
- La reprise après une PRJ : le cas du Pain Quotidien
- La reprise avec une nouvelle usine : le cas Exam Packaging
- La reprise quand on a transformé son business model : le cas de la boucherie Côte à l’os à Péruwelz
- La reprise quand on a revu sa stratégie d’exportation : le cas de Kiomed
La reprise, ce ne sera pas une simple pression sur un bouton “on/off”. L’économie n’est d’ailleurs pas à l’arrêt. La plupart des secteurs ont pu continuer à travailler, même si c’était parfois à un rythme réduit, depuis le premier confinement en mars dernier. Le dernier rapport de la Banque nationale confirme en outre que l’effondrement économique était moins grave que prévu, grâce notamment au flot de dépenses publiques (droit passerelle, chômage temporaire, report de paiement, primes régionales, etc.).
Ce flot ne sera toutefois pas éternel. Son tarissement est l’un des premiers points d’écueil pour la reprise, pointés par l’administrateur délégué de l’Union wallonne des entreprises Olivier de Wasseige. “Les entreprises ont brûlé leur fonds de roulement pour traverser la crise, explique-t-il. Ont-elles aujourd’hui encore les moyens d’acheter des pièces et des matériaux nécessaires à la fabrication de leurs produits? Peuvent-elles se permettre de payer leurs fournisseurs avant d’être payées par leurs clients? C’est un point d’attention fondamental pour la reprise et j’espère que les banques et les outils publics joueront leur rôle durant cette période.”
Avant que cela ne reparte, le patron des patrons wallons invite ses troupes à bien tirer les leçons de l’année écoulée. “On ne peut plus imaginer un business sans prévoir ce qui arriverait en cas de reconfinement, dit-il. Il y a un an, nous avons tous été surpris. Maintenant, nous devons anticiper et, au besoin pivoter vers des secteurs ou des zones géographiques moins exposées.” Olivier de Wasseige suggère aux entreprises de prospecter en ce sens et, tant qu’à faire, à scruter aussi les plans de relance des pays voisins qui peuvent offrir de belles opportunités pour nos entreprises les plus innovantes.
On ne peut plus imaginer un business sans prévoir ce qui arriverait en cas de reconfinement.”
Olivier de Wasseige, administrateur délégué de l’Union wallonne des entreprises
Agile jusque dans le statut social
Ça, c’est pour un redémarrage “normal”. Mais ce redémarrage ne sera vraisemblablement pas normal. Les entreprises qui sont passées du jour au lendemain de 0 à 80 voire 100% de télétravail ne reviendront pas à la case départ. Cela implique de nouvelles méthodes de management, comme l’explique le CEO d’OncoDNA dans notre dossier, mais aussi sans doute une refonte de la législation sur ce télétravail. “Quelles sont les attentes des collaborateurs? Quels sont les impacts fiscaux et organisationnels de ce télétravail? Les entreprises doivent y réfléchir sérieusement et anticiper les futures législations”, estime Olivier de Wasseige.
Et cela d’autant plus que d’autres évolutions risquent, selon lui, d’impacter les relations de travail. D’une part, les secteurs les moins exposés au confinement vont aspirer une partie de la main-d’oeuvre, à la recherche d’un emploi plus sûr dans un monde où, dit-on, il faudra apprendre à vivre avec les pandémies. D’autre part, à force d’être poussés à jongler avec différents statuts et différents emplois partiels, une partie des jeunes diplômés ont appris à apprécier les bons côtés de cette situation. “Dans les entreprises, on constate de plus en plus que les jeunes n’ont pas envie de dépendre d’un seul employeur, confie le patron wallon. Ils aiment pouvoir travailler un jour ou deux par semaine comme indépendants, pour d’autres clients, peut-être même dans d’autres fonctions. Nous devons réfléchir à une agilité des statuts pour répondre à leurs attentes. Cela pourrait, par exemple, ouvrir des portes intéressantes pour la mobilité entre l’entreprise et l’enseignement.”
Poussés dans le dos par les consommateurs
Pour attirer et retenir les talents, les entreprises devront sans doute affirmer un peu plus qu’avant leurs valeurs sociétales et environnementales. “La recherche de ‘sens’ était bien là chez les jeunes, commente Marie-Laure Moreau, managing partner Wallonie chez EY. Mais ça s’est accentué avec le télétravail: quand vous êtes seul devant votre écran pendant des heures, vous devez être convaincu du ‘sens’ de ce que vous faites. Je pense qu’il y aura une pression des collaborateurs, mais aussi des consommateurs et globalement de la société, pour que les entreprises adoptent des modes de production plus écologiques. Et en fin de compte, cela boostera l’esprit d’entreprendre.”
Si les collaborateurs ne seront plus tout à fait les mêmes, les clients ne seront plus tout à fait les mêmes non plus. Les entreprises qui auront bien anticipé les nouvelles tendances du marché prendront alors une longueur d’avance. “Après une crise d’une telle longueur – cela dure depuis bientôt un an et ce n’est pas encore terminé -, on ne reviendra pas à la normale, il y aura de vrais changements de comportement, pointe Marie-Laure Moreau. Les gens sont plus attentifs à la provenance des produits, à la manière dont ils sont fabriqués. Cette tendance préexistait, elle a été renforcée.” “Les entreprises vont parfois être poussées dans le dos par leurs clients, qui ont de nouvelles exigences, renchérit Olivier de Wasseige. Des jeunes conscientisés aux enjeux climatiques sont prêts, par exemple, à payer un peu plus cher pour une livraison à vélo plutôt qu’en voiture.” Il se réjouit aussi d’avoir vu émerger une forme d’e-commerce local – ce qui semblait presque impensable il y a un an – avec le système des click&collect. Il permet de concilier certaines facilités de l’e-commerce avec l’aspiration croissante aux circuits courts et au soutien du commerce local. “Cela apporte une nouvelle dimension importante à tout le secteur commercial”, résume le CEO de l’Union wallonne des entreprises.
On ne reviendra pas à la normale, il y aura de vrais changements de comportement.”
Marie-Laure Moreau, managing partner Wallonie chez EY
Marie-Laure Moreau conseille aux dirigeants d’entreprise d’observer attentivement l‘évolution du comportement de leurs clients, en exploitant au mieux toutes les sources de données disponibles. “Ne devrait-on pas aller davantage vers des business models basés sur la location (services rendus) plutôt que sur la livraison d’un produit? , interroge-t-elle. Ce modèle ne serait-il pas plus rentable tout en étant plus soucieux de l’environnement? Fini l’obsolescence programmée, fini le gaspillage des matières. Quand un objet est cassé, on le répare, on l’upgrade et le consommateur a toujours la dernière version de la machine ou du produit qu’il utilise.” Pour ces entreprises, notamment technologiques, habituées à de permanentes remises à niveau de leurs produits, ce serait un véritable chamboulement du business model. La consultante d’EY aime citer à ce propos cette fameuse phrase de Charles Darwin: “Les espèces qui survivent ne sont pas les plus fortes, ni les plus intelligentes, mais celles qui s’adaptent le mieux au changement”. Les mois qui viennent nous diront peut-être si cette phrase s’applique aussi aux entreprises.
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