Entreprises durables: valoriser les retours de produits

IKEA Mieux que le traditionnel "coin des bonnes affaires", à Mons, le Circular Hub propose des articles réparés. © PHOTO : PG
Nicolas Sohy Journaliste

Plutôt que de gaspiller les produits invendus ou défectueux, de plus en plus d’entreprises tentent de les récupérer, de les réparer et de les remettre sur le marché. Ce processus de “logistique inverse” demande certes un investissement de départ, mais permet à terme de réduire les coûts et les émissions de CO2.

Depuis 2019, Anne Peters, directrice manufacturing et supply chain chez IBA, mène avec brio la stratégie de logistique inverse de l’entreprise. Concrètement, elle rend possible le retour de produits ou des pièces détachées de son groupe, actif dans la fabrication d’accélérateurs de particules. Pour rappel, ces machines assemblées à Louvain-la-Neuve pour des hôpitaux ou des centres de protonthérapie servent à irradier et détruire les tumeurs d’une série de cancers difficiles à traiter par d’autres méthodes thérapeutiques. Une autre application est la stérilisation du matériel médical jetable, comme les seringues. “Le but est de réutiliser des composants ou des sous-ensembles de composants à travers une étape de reconditionnement”, précise Anne Peters.

Une étude de l’université de Cranfield a démontré que la logistique inversée permettait de réduire les coûts de 20 à 40% dans le secteur de la distribution.

Un accélérateur de particules tel que les assemble IBA coûte plusieurs millions d’euros et se vend avec une garantie de temps de fonctionnement. Si la machine tombe en panne prématurément, IBA doit la réparer. “On récupère donc les pièces à remplacer, on les répare le cas échéant afin de leur donner les mêmes qualités qu’une pièce neuve, puis on les réexpédie pour les réintégrer dans les accélérateurs de particules concernés. D’un point de vue strictement logistique, cette stratégie de reconditionnement nous permet d’être moins dépendants des pressions sur l’approvisionnement puisque IBA fait tourner ses propres composants à l’intérieur de l’entreprise.”

“Reconditionnés certifiés”

Les stratégies de logistique inverse (ou inversée) concernent différents cas de figure. Il y a, on l’a dit, le rappel de produits défectueux ou de pièces détachées, mais aussi le retour de produits en leasing, comme des imprimantes, ou le renvoi de produits en raison de l’insatisfaction du client. Cette solution est de plus en plus intégrée dans les grands groupes. Typiquement, c’est la stratégie menée par Apple qui commercialise des smartphones, des tablettes et des ordinateurs sous le label reconditionnés certifiés” sur son site web.

Les retours des produits sont considérés comme une contrainte à éviter à tout prix par les entreprises. Ils sont cependant bien souvent inévitables… Donc, plutôt que de voir le mauvais côté de la chose, on peut aussi voir le bon: il peut s’agir d’une véritable opportunité tant pour réaliser des économies d’échelles que pour la cause environnementale et l’image de marque. Tous les secteurs peuvent en profiter.

RESORTECS Cédric Vanhoeck a réussi à intégrer la logistique inversée dans le secteur de la
RESORTECS Cédric Vanhoeck a réussi à intégrer la logistique inversée dans le secteur de la “fast fashion”.

Cédric Vanhoeck, fondateur de la start-up Resortecs, a réussi à intégrer la logistique inversée dans le secteur de la mode, y compris dans la fast fashion. Parmi les premiers partenaires de Resortecs, on retrouve H&M, Tommy Hilfiger, Calvin Klein ou encore Decathlon. L’entrepreneur est parti d’un constat: chaque année, 34 millions de tonnes de textiles d’une valeur de 400 milliards d’euros sont gaspillées et produisent 1,2 milliard de tonnes de CO2. Sa solution? “Nous avons développé des fours industriels capables de désassembler des fils de coutures thermofusibles, de récupérer les fibres des vêtements désassemblés et, par la suite, de produire de nouveaux pantalons ou chemises via le recyclage”, répond-il. Le succès est déjà là. La start-up flamande a notamment été en finale de l’Entreprise Europe Network Award pour ses ambitions durables.

Grand pas pour la planète

Mesurer l’empreinte environnementale est cependant un exercice difficile. “Ce qui est certain, c’est qu’on génère moins de déchets”, intervient Anne Peters, sans avancer de chiffres. C’est évidemment différent de rapatrier une pièce provenant d’un hôpital parisien ou chinois. On tient donc compte du coût et de l’intérêt économique et environnemental de l’opération de logistique inverse. C’est pourquoi on refuse d’intégrer certaines pièces dans notre système.

Prenons un cas extrême: une vis. Si elle casse, on ne va pas la récupérer pour la réparer. L’emballage, le transport et la réparation rendraient l’empreinte environnementale négative et l’opération serait bien entendu inconséquente du point de vue économique.” Cédric Vanhoeck a, de son côté, joué le jeu des estimations: cette nouvelle technologie de désassemblage de textiles qui seraient normalement incinérés ou jetés parviendrait à réduire de 50% les émissions générées par l’industrie textile si elle était généralisée.

Le rôle du client

Le secteur du commerce de détail est historiquement le premier à avoir développé des stratégies de logistique inverse. Normal, car les législations de protection des consommateurs autorisent ces derniers à renvoyer leurs achats en cas d’insatisfaction. La reverse logistics peut cependant coûter cher aux entreprises qui cherchent des solutions. Parmi celles-ci: faire du client le premier acteur de la chaîne de retour.

Prenons deux exemples parmi d’autres. Il y a deux ans, Decathlon a adhéré à la Charte de l’industrie de la mode pour l’action climatique. L’enseigne a notamment embauché un leader “Enjeu Climat” en la personne d’Emilie Aubry. Parmi les opérations menées, on peut citer la revente de vélos reconditionnés en magasin ou la demande faite aux clients de certaines localisations de ramener les paires de chaussures de course qu’ils n’utilisent plus afin de les recycler.

Deuxième exemple: Ikea. Dans le magasin de Mons, l’enseigne suédoise a aménagé le premier Circular Hub du pays, où des techniciens travaillent à la réparation de matériel rapporté par des clients. Nathalie Van Edom, responsable de la durabilité chez Ikea Belgique, travaille à ces stratégies “visant à accroître la durée de vie de nos produits”. L’ambition est d’atteindre une baisse de 15% des émissions de CO2 d’ici 2030, notamment au niveau des matériaux utilisés. Ceux-ci représentent 38% de l’empreinte climatique d’Ikea. Certains parleront de green washing. Peut-être. Toujours est-il qu’il s’agit d’une méthode de logistique inversée innovante, où chacun prend ses responsabilités, de la clientèle aux dirigeants.

Des économies d’échelle

Sur le plan financier, IBA, dont la certification B Corp garantit les efforts environnementaux, a par contre sorti sa calculatrice: la différence entre l’utilisation des pièces neuves et celle des pièces reconditionnées équivalentes représente entre 2 et 4 millions d’euros de réduction des coûts par an. Pour arriver à ce résultat, Anne Peters considère toutes les dépenses liées à la chaîne de retour, des frais de transport aux frais de réparation.

Même constat chez Resortecs où l’on est parvenu à calculer que la réduction des coûts de production s’élevait à 1,25 euro par unité de vêtement produite par rapport à une production non durable.

D’autres expériences sont tout aussi encourageantes. Dans The handbook of reverse logistics: from returns management to the circular economy, Mike Bernon, professeur senior à l’université de Cranfield, démontre avec son équipe comment la logistique inverse permet d’augmenter la responsabilité sociale des entreprises et des consommateurs. Le chercheur a mené des ateliers avec une quarantaine d’entreprises du secteur de la distribution en Grande-Bretagne. Il a démontré dans une étude que la reverse logistics permettait de réduire les coûts de 20 à 40%. Et en 2014 déjà, Deloitte Belgique publiait un rapport sur le sujet, estimant de son côté qu’une bonne stratégie permettait de récupérer 32% de la valeur originale d’un produit et que ce gain croissait de façon exponentielle avec une augmentation des volumes.

Des contraintes à respecter

Bien entendu, le chemin pour arriver à de tels résultats n’est pas de tout repos. D’abord, il y a des contraintes législatives. Si les freins sont moins nombreux dans l’industrie textile où il est possible de récupérer les matières premières, ils le sont davantage dans les nouvelles technologies, par exemple. Les entreprises doivent donc embaucher ou consulter un juriste de confiance pour ne pas commettre d’erreur. “Si la pièce originale était destinée aux Etats-Unis et que son recondtionnement est également fait pour les Etats-Unis, alors la loi américaine prévaut, précise Didier Chaval, avocat spécialiste des pratiques du commerce. Par contre, c’est plus compliqué si l’on passe d’un pays à l’autre. Il faut connaître les législations en vigueur à chaque endroit . Si le consommateur est belge, c’est toujours le droit européen qui est applicable, y compris si le produit vient de l’étranger. Chez nous, un smartphone est neuf si on l’a simplement sorti de sa boîte. Par contre, s’il a été allumé ou s’il a été abîmé, il ne l’est plus. Le vendeur doit alors l’annoncer comme étant un produit reconditionné.”

Mais le défi est aussi organisationnel. IBA est un bon exemple car le groupe travaille avec des milliers de références et a des procédures normalisées. Voici comment cela fonctionne: les responsables de chaque site local (IBA est actif dans une quarantaine de pays) rassemblent les composants à remplacer et envoient une demande pour rapatriement à l’équipe Reverse logistics. Celle-ci prend la décision de l’accepter ou non. “Le rapatriement est refusé si l’impact environnemental est négatif ou si on ne pourra pas atteindre la qualité équivalente à une pièce neuve, précise Anne Peters. On peut aussi refuser le reconditionnement si ce n’est pas du tout rentable ou si la pièce a peu de chance d’être réutilisée. Les machines évoluent et certaines pièces peuvent devenir obsolètes et sous-performantes. Dans ce cas, la pièce suit le parcours normal d’un déchet.”

Se lancer dans cette voie demande donc inévitablement un investissement de départ mais, conclut Cédric Vanhoeck, “si certaines marques et entreprises sont au premier abord réticentes, quand on explique et qu’on donne les arguments financiers, environnementaux et sociétaux, elles comprennent toutes que c’est un pas vers l’avenir.”

Demandez dès le 8 novembre notre édition spéciale “Le guide de l’entreprise durable” via ce lien: www.trends-tendances.be/guide-durable

Entreprises durables: valoriser les retours de produits

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content