Economiquement, la Belgique est entre les mains du parti socialiste francophone

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Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Les socialistes, qui défendent les postes socioéconomiques clés au sein du gouvernement fédéral, défendent leurs marques. Mais les libéraux et le patronat font la grimace.

Economiquement, la Belgique est entre les mains du parti socialiste francophone, suspendue à son bon vouloir et inquiète au sujet de sa capacité à agir, tant le parti se gauchise en raison de la pression du PTB. Au sein de la Vivaldi fédérale, le PS gère en effet la plupart des dossiers qui y sont liés: économie, travail, pensions, relance… Seules les classes moyennes et les indépendants ont été dévolus au MR dans le cadre de l’accord gouvernemental d’octobre 2020. Pour le parti de Paul Magnette, c’est la possibilité de peser sur les politiques menées, mais aussi d’éviter de nouvelles “casses sociales” après une législature suédoise dominée par la droite.

Deux ans et demi plus tard, alors que la crise du covid a enfin cessé de perturber (définitivement?) la dynamique nationale, on attendait une montée en puissance des ministres socialistes, dans la perspective d’un projet de coalition “positif pour la Belgique”. C’était sans compter avec l’inflation ou la guerre en Ukraine… Le PS défend pourtant son bilan dans ce contexte sensible. Les libéraux et le patronat, eux, fustigent le manque de réformes ambitieuses.

Un Etat “protecteur, stratège et régulateur”: oui, mais…

Longuement interrogé par Trends-Tendances, le vice-Premier ministre socialiste, Pierre-Yves Dermagne, détenteur des portefeuilles de l’Economie et de l’Emploi, défend la touche apportée par son parti. “La marque socialiste, insiste-t-il, c’est un Etat qui protège, d’abord, avec des mécanismes de sécurité sociale et des services publics qui sont là pour aider les citoyens et les entreprises quand ils en ont besoin, comme ce fut le cas pendant la crise du covid. Un Etat stratège aussi: c’est le coeur du plan de relance avec des soutiens en matière de transition environnementale et énergétique. Et un Etat qui régule: c’est essentiel, on le voit aujourd’hui en matière énergétique. La question du PTB, je ne l’élude pas. Mais la meilleure manière d’y répondre, c’est en travaillant sur le terrain. Le PTB s’agite, au PS on préfère agir.”

Le PTB s’agite, au PS on préfère agir.

Pierre-Yves Dermagne (PS)

Dans les rangs libéraux, on fait grise mine: cela ne va pas assez loin, pas assez vite. “Le bilan du PS dans ses matières socioéconomiques gérées au fédéral n’est franchement pas terrible, grimace Georges-Louis Bouchez, président du MR. On se réjouit d’un taux d’emploi à 71,6% comme on se réjouit en Wallonie d’un taux de 65%, mais c’est largement insatisfaisant. Je ne comprends pas ce besoin qu’ont les politiques de s’auto-féliciter alors que l’objectif est encore si lointain. Le taux d’emploi de 80% est indispensable parce qu’il conditionne beaucoup d’autres réformes.” Il ajoute: “Le problème, c’est que ce faisant, le PS perd sur les deux tableaux. Les réformistes qui existent encore en leur sein sont déçus et les vrais gauchistes s’en vont quand même parce que ce sera toujours trop pour eux. C’est l’erreur stratégique commise par Paul Magnette”.

Au sein du patronat aussi, on émet des réserves et on s’inquiète pour l’après-covid. “Avec la guerre en Ukraine, nous faisons face à un autre type de crise, un choc économique externe avec un appauvrissement général de notre société, souligne Pieter Timmermans, administrateur délégué de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB). Certains, dont nous sommes, mettent en garde contre un retour aux années 1970 avec la nécessité de prendre des mesures dès à présent pour éviter de devoir en prendre d’autres plus tard, beaucoup plus drastiques. D’autres, surtout du côté du PS et d’Ecolo, prétendaient d’abord qu’il n’y avait pas de problème, puis affirment aujourd’hui qu’il est minimal et temporaire en estimant que les entreprises peuvent absorber le choc. Mais les entreprises ne pourront pas l’absorber, elles se tourneront vers l’Etat, qui se tournera lui-même vers les contribuables. On va générer plus de dette et renvoyer la facture à la prochaine génération.”

Voilà la deuxième partie de la législature pimentée. Alors que ce devait être le moment d’agir.

La crise du coronavirus et le début de législature ont perturbé la volonté réformatrice de la Vivaldi fédérale. Mais elles ont suscité une réaction assez unanime de la classe politique et une reconnaissance des acteurs économiques. “Nous avons eu une gestion de crise très socialiste ou sociale-démocrate, se félicite Pierre-Yves Dermagne. Avec une intervention massive de l’Etat en soutien de l’économie. On a vu l’importance, la valeur ajoutée, le côté essentiel d’un Etat fort, de services publics forts, d’une sécurité sociale stable…”

Emploi: “Les chiffres sont meilleurs” mais…

Le vice-Premier rappelle que le PS a engrangé aussi des avancées importantes, dont l’augmentation des allocations les plus basses, et insiste: “On ne remise pas par devers nous les grandes réformes”. C’est à ce sujet que son parti sera jugé

En matière d’emploi, Pierre-Yves Dermagne se félicite: “Les chiffres sont meilleurs qu’avant la crise du coronavirus. Cela veut dire que les tendances lourdes sont bonnes et c’est le cas dans les trois Régions. Ce dont je me réjouis car c’est un élément de stabilité du pays“. Il rappelle que le jobs deal conclu en mars, non sans tensions entre partenaires, était un jalon important: il prévoit davantage de flexibilité pour le travail de nuit et balise la nécessité de davantage de formations. “C’est un paquet équilibré en termes de souplesse et de prise en compte d’éléments de la vie en société”, dit le PS.

Je suis contre un saut d’index parce que c’est brutal et asocial, je suis davantage pour un effet retard de l’indexation.” Pieter Timmermans (FEB)

“On se réjouit des avancées mais il n’y a rien de très clair dans l’accord conclu, regrette Georges-Louis Bouchez (MR). Pour le travail de nuit, on reste sur des phases test. Tout cela est trop peu volontariste. En général, trop de mécanismes ne donnent pas envie d’aller bosser. Il y a plein de choses que l’on pourrait faire, mais le PS bloque. En ce qui concerne l’accompagnement des demandeurs d’emploi et les métiers en pénurie, ils disent qu’ils ne feront rien parce que cela leur coûterait trop cher.” “Il n’y a pas encore eu de véritable débat sur la façon dont on pourra arriver à un taux d’emploi de 80%, appuie Pieter Timmermans (FEB). Et ce n’est pas avec le jobs deal que l’on y arrivera.”

“Ce jobs deal prévoit l’évaluation des mécanismes, rétorque Pierre- Yves Dermagne. On devrait d’ailleurs le faire systématiquement. Par ailleurs, pour poursuivre l’objectif d’un taux d’emploi à 80%, l’accord de gouvernement prévoit des mesures en matière de travail, mais aussi des mesures fiscales que nous avons déjà entamées, le plan de relance et d’investissements. C’est une responsabilité collective de l’ensemble du gouvernement, partagée avec les Régions et les Communautés. Des mesures viennent d’être prises, en Wallonie, pour l’accompagnement des chômeurs. Et je me réjouis de la collaboration qui s’accentue entre les organismes régionaux.” Bref, cela avance. Mais pas assez vite pour tout le monde.

Indexation: ce tabou PS, qui irrite le patronat

La crise engendrée par la surchauffe post-covid, les ruptures de chaînes d’approvisionnement, l’explosion des coûts de l’énergie…: tout cela préoccupe, il est vrai. “Cette seconde crise me fait un peu plus peur que la pandémie sur le plan économique parce qu’elle est d’une autre nature, beaucoup plus asymétrique dans ses effets, reconnaît Pierre-Yves Dermagne. Avec le coronavirus, je dirai cyniquement que l’Europe et l’Occident ont été touchés plus ou moins de la même manière, il n’y a pas eu trop de concurrence ou de ‘profiteurs de crises’. La difficulté, ici, c’est que les pays sont ou seront impactés différemment.”

Selon le vice-Premier PS, c’est la question énergétique qui doit être embrassée d’urgence, avec le conflit ukrainien qui menace. “Si on devait aller demain vers des sanctions plus dures en matière énergétique, gaz et pétrole, on sait que l’Allemagne sera durement impactée et que la Belgique le sera par ricochet parce que nous sommes fort dépendants de l’économie allemande. Il y a la nécessité d’une approche européenne par rapport à l’énergie. Je me réjouis que le Premier ministre ait plaidé pour une régulation du marché. C’était encore totalement inimaginable il y a quelques mois. On se rend compte que les recettes néolibérales ne fonctionnent pas ou plus, avec des aberrations en matière de calcul des prix.”

A l’entendre, c’est cela le principal point de préoccupation. L’indexation automatique des salaires? “La Banque nationale, dans sa dernière analyse, souligne que nous ne sommes pas aujourd’hui dans une spirale salaires-prix.”

Pieter Timmermans s’inquiète de cette analyse: “Les chefs d’entreprise ont très peur, vu ce qui risque de se passer, avec la poursuite de l’inflation, l’indexation des salaires… Ceux qui veulent à tout prix préserver cette indexation automatique des salaires raisonnent à très court terme: ils sont convaincus qu’ils sont en train de protéger le pouvoir d’achat mais ils sont en réalité en train de le détruire. Quand on perd son emploi à moyen terme, la perte de pouvoir d’achat est bien plus importante. Je suis contre un saut d’index parce que c’est brutal et asocial, je suis davantage pour un effet retard de l’indexation comme cela a été décidé au Luxembourg. C’est une logique préventive. Mais comme toujours en Belgique, on nie, on minimalise et on agit trop tard quand on est le dos contre le mur.”

“L’indexation automatique des salaires est une mesure de soutien au pouvoir d’achat et on a vu l’importance de la consommation des ménages lors de la reprise forte au sortir de la première vague du covid, tacle Pierre-Yves Dermagne. Ce serait une erreur économique, une faute politique et pour le PS, c’est totalement impensable.”

Un “manque de courage” général

Le gouvernement De Croo, avec le PS à la manoeuvre, n’est-il pas assez réformateur? Le patron des patrons dénonce encore l’absence de volonté de réformer les pensions en profondeur. Le président du MR regrette un manque d’action face à ce nouveau fléau national que constituent les malades de longue durée, plus nombreux que les chômeurs. Les socialistes précisent que la concertation se termine sur les pensions et que le travail est en cours sur le second dossier: “On a lancé le processus avec les partenaires sociaux suite à la première conférence annuelle sur l’emploi. Nous voulons avoir un réel monitoring des causes d’incapacité. C’est un travail à mener tout au long de la carrière”.

Pour la FEB, on manque de courage politique sur la plupart des dossiers. “Le problème, c’est surtout que les partis se regardent en chiens de faïence, souligne Pieter Timmermans. Ils ont peur de prendre des risques, avec une vision à long terme. Or, les gouvernements qui, par le passé, ont pris des mesures assez courageuses, n’ont jamais été punis lors des élections. Je me souviens du gouvernement Di Rupo- Dehaene dans les années 1990 avec des mesures assez compliquées ou du gouvernement Di Rupo de 2010 à 2014: ils n’ont pas perdu les élections.”

En 2024, ce sera un test d’envergure pour l’avenir de la Belgique. Le PS aura-t-il généré assez d’avancées pour lui permettre de le passer sans dégâts? “Nous n’avons pas à avoir honte de ce que nous réalisons, conclut Pierre-Yves Dermagne. Même si, bien sûr, je préférerais être en majorité absolue avec nos amis de Vooruit.”

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