Pieter Timmermans (FEB) : “Certains, surtout au PS et chez Ecolo, minimisent la crise actuelle”

Pieter Timmermans, administrateur délégué de la FEB. © Belga
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Le “patron des patrons” souligne que s’il n’on ne prend pas rapidement des mesures face aux coûts de l’énergie et à l’indexation automatique des salaires, on le payera cher plus tard. “On veut que les entreprises absorbent ne choc, mais elles ne pourront pas le faire.”

Pieter Timmermans, administrateur délégué de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), est inquiet depuis le début de cette année 2022 et ne cesse de tirer la sonnette d’alarme au sujet de la détérioration du contexte économique. Il s’en explique longuement pour Trends tendances en évoquant le bilan des ministres PS, qui détiennent l’essentiel des portefeuilles économiques du gouvernement De Croo.

Le principaux postes socio-économiques du gouvernement fédéral sont occupés par des ministres PS – Pierre-Yves Dermagne, Karine Lalieux, Thomas Dermine – si l’on excepte David Clarinval. La deuxième partie de la législature, après la crise du Covid, serait fondamentale, disait-on. Quel est votre bilan à ce sujet ?

Personne au sein du gouvernement imaginé que celui-ci ne s’occuperait que des crises, du début jusqu’à la fin. Il y avait bien sûr la crise du Covid, mais on pensait que ce serait fini après un an ou un an et demi, avant de pouvoir mener de vraies réformes. Elle a duré plus longtemps. Puis, la guerre en Ukraine est arrivée avec tout ce que cela induit.

Ce sont deux crises très différentes. Le Covid, on savait très bien ce à quoi on pouvait s’attendre : il y avait un virus, on avait besoin de vaccins et il fallait sauver notre système de soins de santé. L’ennemi était bien connu et, puisqu’il s’agit de notre santé, tous les niveaux de pouvoirs, toutes les entreprises et toute la population étaient derrière cet objectif. Tout le monde a, dès lors, soutenu des mesures drastiques pour faire en sorte que ce virus n’ait plus de chance de se propager, pour que l’on puisse vivre normalement.

Avec la guerre en Ukraine, on a un autre type de crise, c’est-à-dire un choc économique externe avec un appauvrissement général de notre société. Et nous ne pouvons rien y faire. Les prix de l’énergie, nous n’avons aucun prise là-dessus. Cela induit des approches différentes dans la façon de gérer cette crise.

Certains prédisent, dont nous sommes, président que l’on risque de se retrouve dans une situation similaire à celle des années 1970, avec la nécessité de prendre des mesures dès à présent pour éviter d’autres beaucoup plus drastiques, plus tard.

D’autres, surtout du côté du PS et d’Ecolo, prétendaient qu’il n’y a pas de problème, puis affirment aujourd’hui qu’il est minimal et temporaire, en estimant que les entreprises peuvent absorber le choc. Mais les entreprises ne pourront pas absorber le choc, elles se tourneront vers l’Etat, qui se tournera vers les contribuables. On va générer plus de dette et renvoyer la facture à la prochaine génération.

Ce n’est pas une bonne nouvelle que le PS soit aux manettes ?

Cette situation-là est contraire que certains au PS voudraient faire. Ils sont confrontés à une crise économique qu’ils veulent à tout prix nier. Ils savent pourtant très bien ce qui va arriver, que ce soit un blocage salarial ou autre – Elio Di Rupo l’a fait en 1996 après le Plan global -, mais ils veulent l’éviter à tout prix. Le résultat, c’est qu’il y a, aujourd’hui, un stand still.

Il y a, tout de même, des mesures pour compenser les effets de l’inflation, non ?

Oui, d’accord mais c’est à très court terme, pour protéger les gens qui sont les plus touchés. En soi, pas de problème ! Mais pour pouvoir le financer à terme et éviter que ce choc externe ne provoque un appauvrissement plus général de notre société, il faut prendre des mesures plus drastiques, plus structurelles et plus difficiles.

Nous sommes en train de trouver tous les arguments possibles et imaginables pour dire : ce n’est pas nécessaire, attendons, ne faisons rien. Mais le boomerang va nous revenir en pleine figure dans un certain temps.

Les salaires augmentent de 10% à cause de l’indexation, les coûts de l’énergie augmentent de 20 ou 25% et les matières premières montent aussi, cela démontre que la spirale joue pleinement. D’ici la fin de l’année, les coûts moyens pour les entreprises seront de 20 à 25% : aucune entreprise ne peut absorber une hausse de cette ampleur.

Les ministres Dermagne et Lalieux, qui comptaient encore prendre des mesures pour faire plaisir aux travailleurs ou aux pensionnés, devront se contenter de mesures de correction sociale.

Il n’y a pas encore eu, par ailleurs, un débat sur la façon dont on pourra arriver à un taux d’emploi de 80%. Ce n’est pas avec le job’s deal que l’on y arrivera. Cela a pris trois ou quatre mois avant que l’on dispose de textes, la concertation est désormais en cours, mais ce n’est pas avec cinq jours de formation que l’on arrivera à ce taux de 80%.

David Clarinval affirmait il y a peu à Trends que les initiatives en matière de flexibilité seraient des opérations pilotes…

Voilà, il n’y a pas encore de réforme structurelle du marché du travail.

Il y a une exception que je veux souligner, c’est tout ce qui concerne la mobilité interrégionale : la collaboration entre le fédéral et les Régions fonctionne, le Forem travaille davantage avec le VDAB. Là, il y a un début de réforme, même si on pourrait aller encore plus loin.

Pour le reste… Nous avons accompagné le roi et les quatre ministres compétents au Danemark pour étudier le modèle danois. Je ne vois rien du tout qui découle de cela. Chez nous, il y a une forteresse avec des murs très élevés entre ceux qui travaillent, qui sont contents, et ceux qui sont hors du marché du travail. Au Danemark, il y a des murs très bas, on peut sortir facilement du marché du travail pour y revenir. Là-bas, la formation a un autre statut alors qu’ici, on se réjouit de cinq jours de formation. Mais à quoi cela sert d’envoyer chaque année un chauffeur cinq jours pour apprendre à conduire son camion ?

Ce sont des demi-mesures, selon vous ?

Ce sont des mesures symboliques qui n’auront pas d’impact sur le marché du travail. Il me manque de vraies mesures pour atteindre les 80% de taux d’emploi.

Pierre-Yves Dermagne se félicite d’un taux d’emploi de 71,6% en mars….

Cela a un peu progressé, c’est vrai, mais avec tout ce qu’on est en train de vivre, dont l’explosion des coûts salariaux, je m’inquiète pour la suite. A la fin de la législature, dans deux ans, nous serons en pleine crise.

En ce qui concerne notre compétitivité, ce qui compte pour moi, c’est la comparaison absolue des coûts. Chez nous, une heure de travail, c’est à peu près 40 euros. Chez nos voisins, c’est en moyenne 35 ! Le différentiel est passée de 16% en 2014 à 10% en 2019 et va remonter à nouveau vers 14-15%. Ce que l’on a gagné durant la législature précédente, on est en train de le reperdre.

Certains font remarquer que l’on a quand même bien soutenu les entreprises pendant la crise du coronavirus, elles ne doivent pas se plaindre. C’est vrai, mais il s’agit d’un soutien “one shot” tandis que l’on a besoin de mesures structurelles, sur les pensions par exemple.

La poursuite de la réforme des pensions est à l’arrêt ?

Karine Lalieux, ministre des Pensions, a eu une rencontre avec les partenaires sociaux, du moins avec nous – je suppose qu’elle en a eu davantage avec les syndicats. Je lui ai dit qu’il fallait comparer le système des pensions à un arbre : il y a le tronc et les différentes branches. Elle travaille à renforcer les branches, mais quand le tronc commun est faible, l’arbre risque de tomber. Elle m’a répondu que c’était son objectif, mais elle ne met pas en oeuvre de réformes pour y arriver. Ce qu’elle propose, ce sont des mesures de correction sociale, pas une réforme.

Le risque, c’est qu’elle va perdre le soutien de la classe moyenne parce qu’elle est hyper solidaire en terme de pensions. Elle paye en Belgique des cotisations sur des salaires déplafonnés, mais la pension, par contre, est plafonnée. Que vous gagnez 3000 euros par mois ou 10 000 euros par mois, votre pension restera plafonnée à un montant d’environ 3000 euros par mois. En d’autres termes, le taux de remplacement pour la classe moyenne est très faible : 50% de votre dernier salaire parfois moins.

On a essayé de développer le deuxième pilier, que l’on voulait démocratiser dans le passé, mais on parle désormais de le taxer : on va de nouveau toucher la classe moyenne. Et troisièmement, les périodes assimilées vaudraient un tiers des droits de la pension. C’est la solidarisation des coûts payés à nouveau par la classe moyenne de ce pays. Mais où est la vraie réforme ?

Cela ne bouge pas, depuis que la ministre a dû revoir sa copie ?

Comme je l’ai dit, j’ai l’impression qu’elle ne travaille pas au tronc de l’arbre pour le renforcer, mais qu’elle se contente de quelques réformettes. Les mesures annoncées, à mes yeux, ce ne sont pas des réformes. Ce sont des dépenses supplémentaires garanties, soi-disant financées par le taux d’emploi de 80%.

Cet argument d’un taux d’emploi de 80% a déjà été utilisé au moins à cinq ou six reprises par ce gouvernement pour justifier certaines mesures. Alors qu’on en est loin. Pour y arriver, il faut de vraies réformes : comme dans d’autres pays, il faut un marché du travail plus souple, plus flexible ou, comme au Danemark, une formation optimale.

Le fait que le PS dispose de tous les leviers et soit sous la pression du PTB, est-ce cela qui freine ? Le vice-premier PS, Pierre-Yves Dermagne, est pourtant quelqu’un de pragmatique…

Le problème, c’est surtout que les partis se regardent en chiens de faïence. Ils ont peur de prendre un risque, avec une vision à long terme, de crainte d’être immédiatement attaqués par l’opposition.

Or, à mes yeux, ils ne devraient pas avoir peur. Les gouvernements qui, par le passé, ont pris des mesures assez courageuses n’ont jamais été punis lors des élections. Je me souviens du gouvernement Di Rupo – Dehaene dans les années 1990 avec des mesures assez compliquées ou du gouvernement Di Rupo de 2010 à 2014 : ils n’ont pas perdu les élections.

Quand on explique à la population pourquoi on fait des choses, pour éviter de renvoyer la facture à la future génération, en concertation avec les partenaires sociaux et un soutien des entreprises, cela passe. C’est pourquoi j’ai plaidé pour des réformes : quand il y a un choc externe qui s’impose à notre pays, tout le monde doit faire un effort.

Nous avons eu la semaine passée un Comité stratégique de la FEB avec une soixantaine de chefs d’entreprises, de toutes tailles et de toutes régions : ils ont très peur au vu de ce qui risque de se passer, avec la poursuite de l’inflation, l’indexation des salaires, une augmentation du chômage temporaire… Ceux qui veulent à tout prix préserver l’indexation automatique des salaires raisonnent à très court terme : ils sont convaincus qu’ils sont en train de protéger le pouvoir d’achat, mais ils sont en réalité en train de le détruire. Quand on perd son emploi à moyen terme, la perte de pouvoir d’achat est bien plus importante.

Je suis contre un saut d’index parce que c’est brutal et asocial, je suis davantage pour un effet retard de l’effet indexation comme cela a été décidé au Luxembourg, où l’on n’indexerait qu’une fois par an. C’est une logique préventive. Mais comme toujours en Belgique, on nie, on minimalisme et on agit trop tard quand on est le dos contre le mur. Je suis contre un saut d’index, mais ce sera sans doute le seul moyen de défendre notre économie en 2023-24.

Le plan de relance coordonné par Thomas Dermine reste-t-il un élément important de soutien de l’économie ?

C’est très important et Thomas Dermine a fait un travail remarquable l’année passée. Mais il faut désormais l’exécuter. Si l’on veut vraiment que cela avance, il faut que les projets avancent, que les permis soient octroyés… J’espère vraiment que l’on va passer à la vitesse supérieure.

Cela ne risque-t-il pas d’être perturbé par la crise ?

C’est un risque aussi, mais d’un autre côté, il y de l’argent disponible de l’Europe, qui n’est libéré que si des projets concrets se concrétisent.

Le plus important à mes yeux, ce sont les investissements dans la transition énergétique. C’est un appel que je lance à tout le monde : on annonce plus d’éoliennes sur la mer du Nord, très bien, c’est important, mais il faut aussi que cette électricité puisse être acheminée de la mer vers l’intérieur du pays. Or, ces projets de câble se heurtent à de nombreux problèmes de permis en Flandre occidentale ou dans le Hainaut. Il y a des investisseurs qui sont prêts à faire des investissements, encore faut-il que cela suive.

Nous avons besoin d’une coordination interfédérale. Je pense que Thomas Dermine pourrait jouer un rôle plus important à cet égard. Il a bien préparé ce plan avec le Premier ministre et les ministres-présidents, il s’agit désormais de concrétiser l’essai dans un contexte qui n’est pas facile avec la situation budgétaire compliquée, l’impact des inondations en Wallonie, la guerre en Ukraine… Oui, il devra convaincre et faire le lien entre tous les niveaux de pouvoir.

Thomas Dermine est-il le PS qui passe le mieux en Flandre ?

Oui et non. Oui parce que ses domaines sont populaires et peu conflictuels : annoncer des investissements, c’est toujours positif. Non parce qu’il a quand même fait des déclarations en Flandre où, quand on lit entre les lignes, il évoquait des impôts supplémentaires. Il a affirmé que Joe Biden était un socialiste, mais le taux d’imposition aux Etats-Unis est autour des 30% contre 50% chez nous…

J’ai surtout l’impression que Thomas Dermine se dit : au fond, mon temps viendra un jour, je ne vais pas me brûler les ailes aujourd’hui. Il est assez malin pour se concentrer sur son plan de relance.

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