Christophe De Caevel
Wallonie: “Aucune région n’a réussi sa reconversion industrielle sans avoir réformé son agence pour l’emploi”
L’action des structures d’accompagnement à l’autocréation d’emploi injecte dans l’économie wallonne ce qui lui a souvent manqué: une dose d’esprit d’entreprendre.
Pour évoquer l’audace entrepreneuriale en Wallonie, nous pourrions vous parler des innombrables levées de fonds des biotechs (1,2 milliard depuis le début de l’année) ou de l’étonnant investissement de Solarec (125 millions) qui vient d’inaugurer une usine de production de mozzarella à Baudour. Nous préférons toutefois nous attarder sur une petite société de 11 personnes qui s’appelle BeLodge. Elle réalise dans ses ateliers de Marche-en-Famenne des structures modulaires sur mesure qui peuvent servir d’atelier, de chambre d’hôte, de cabinet médical ou tout simplement d’extension de maison.
Si on vous en parle, c’est parce que BeLodge vient d’être désignée “starter de l’année” par les 12 structures d’accompagnement à l’autocréation d’emploi (SAACE) de Wallonie. Ces dernières ont encadré l’an dernier 2.000 personnes, essentiellement des demandeurs d’emploi, ce qui a conduit 450 d’entre elles à lancer leur activité indépendante. “Notre but n’est pas que la personne crée à tout prix son entreprise, a expliqué Eve Jumel, directrice de Crea-Job, lors de la remise du prix. Nous lui donnons la chance de pouvoir le faire, d’aller au bout de son idée. Ce parcours permet de développer des compétences et de favoriser ensuite l’insertion sur le marché du travail, même sans créer son entreprise.” L’action de ces SAACE injecte dans l’économie wallonne ce qui lui a souvent manqué: une dose d’esprit d’entreprendre.
Sans ce dynamisme, les meilleures idées se retrouvent vite engluées dans le marasme des procédures administrativo-politiques. C’est, peu ou prou, ce qu’il est advenu des multiples plans, stratégies et financements européens qui ont tenté de redresser la Wallonie au fil des 30 dernières années. Ils partaient généralement sur de bonnes bases, comme celle du remaillage du tissu au travers des pôles de compétitivité, chargés de réunir grandes entreprises, PME et universités autour de projets innovants. Les mesures intéressantes n’ont pourtant jamais réussi à libérer leur plein potentiel tant elles étaient plombées par le fonctionnement du système décisionnel. Et cela ne change pas vraiment: nous vous narrons dans notre dossier sur l’économie régionale comment, cette année encore, les jeux politiciens ont réussi à saper l’élan du plan Get Up Wallonia!
Là où les choses deviennent vraiment inquiétantes, c’est quand un ministre-président semble constater ces manquements mais ne parvient pas à les dépasser pour enclencher la vitesse supérieure. Il admet en quelque sorte son impuissance face à l’inertie d’un système qui, effectivement, risque d’amener un jour la Wallonie dans une situation comparable à celle de la Grèce de 2010.
Ce “système” est-il plus fort que les êtres humains qui tentent de le diriger? Il existe en tout cas un décalage entre les compétences individuelles de nombre de dirigeants wallons (nous songeons notamment à ceux qui ont très bien repositionné les outils économiques régionaux comme la SRIW, la Sogepa, Noshaq…) et la défaillance collective de la superstructure wallonne. Regardez, par exemple, l’évolution du Forem. Cela fait 20 ans qu’on ne parle que d’activation et d’accompagnement individualisé, et le Parlement wallon vient seulement de voter la réforme qui devrait enfin implémenter le coaching des demandeurs d’emplois dès le premier jour de leur inscription. Cela aurait pourtant dû figurer parmi les grandes priorités puisque comme le rappelle l’économiste Didier Paquot, aucun pays, aucune région n’a réussi sa reconversion industrielle sans avoir d’abord réformé le fonctionnement de son agence pour l’emploi. Bonne nouvelle: la réforme du Forem inclut l’intensification de partenariats avec les structures d’accompagnement à l’autocréation d’emploi, le salut viendra peut-être de là.
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