Mark Hunyadi (UCLouvain) : “Le métavers de Mark Zuckerberg est une pure arnaque de communication”
Mark Hunyadi est éthicien et professeur à l’Institut supérieur de Philosophie à l’UCLouvain. Il nous donne sa vision critique du métavers, ce nouvel univers virtuel proposé par Meta, la maison-mère de Facebook.
Vous êtes très critique envers ce nouvel univers virtuel, le métavers, proposé par Mark Zuckerberg
Ce n’est pas le métavers en tant que progrès technique qui m’ennuie, mais c’est surtout le métavers tel que le propose Zuckerberg. Un parallèle peut être fait avec Internet né comme une merveilleuse utopie communicationnelle qui en a gardé des traces avec des sites collaboratifs, ouverts, créatifs,… Mais globalement, il a été transformé en immense supermarché. Internet a été privatisé essentiellement par Google et consorts. Je le déplore. Je crains que pour le métavers on assiste à la même chose.
Mark Zuckerberg a plutôt intérêt, vu qu’il a beaucoup de problèmes dans le monde réel (les enquêtes antitrust, la modération de contenus très laxiste et ambiguë, son manque de respect de la vie privée) à faire diversion dans le monde virtuel.
Lire aussi: Nous sommes déjà dans le métavers
En disant aussi, il y a quelques années, que l’intelligence artificielle allait régler le problème des fake news, il a émis lui-même une fake news. Le problème des faits est qu’ils peuvent être vrais en eux-mêmes mais n’ont pas de relation causale entre eux. Il est impossible pour une IA de mettre en évidence la fausseté de cette corrélation.
Vous parlez carrément de “roublardise” et d'”escroquerie” de la part de Mark Zuckerberg”, expliquez-nous
Son coup de force en lançant son métavers est de nous imposer un nouveau narratif. Comble de la roublardise et de l’escroquerie, il change le nom de Facebook, en Meta qui veut dire “au-delà” en grec. Il fait comme s’il était LE seul dépositaire du métavers et qu’il allait faire un pas de géant dans cet univers immersif. C’est une pure arnaque de communication. C’est une supercherie de faire croire qu’il a inventé quelque chose qui existe depuis 20 ans déjà dans l’univers du jeu avec, par exemple, “Second Life”.
C’est une supercherie de faire croire que Zuckerberg a inventé quelque chose qui existe depuis 20 ans déjà dans l’univers du jeu avec, par exemple, “Second Life”.
Outre l’immense opération de marketing, le danger serait que les utilisateurs adhèrent inconsciemment à cette vision qui pour Zuckerberg est une immense entreprise commerciale, même s’il la présente dans sa vidéo d’annonce comme un “instrument de liberté” et un espace où l’on ressentira vraiment les choses. Sur cette plateforme, les utilisateurs vont surtout dépenser leur argent. Le business model est clair pour les publicitaires et les vendeurs de services : ils y investissent 1 dollar et en gagnent 3.
Au niveau éthique, quels sont les dangers de ce nouvel univers virtuel ?
D’un point de vue purement éthique, si ce projet de métavers est réalisable, il pose des problèmes importants et des questions fondamentales sur la condition humaine. La première question à se poser est la suivante : un métavers, mais pourquoi faire, à part avoir un but commercial ?
En tant qu’être humain, le métavers nous est présenté comme étant l’avenir de notre manière d’être dans le monde. Qu’est-ce que cela induit sur le long terme ? Le numérique a marqué une réelle révolution qui s’est notamment traduite par une substitution progressive de toutes nos relations naturelles avec le monde par des relations techniques. Avec le métavers, un pas supplémentaire est encore franchi, on élimine le monde, on le remplace par un monde virtuel. C’est le paradigme de l’immersion dans un monde créé de toutes pièces où l’on pourra vivre de nombreuses expériences. La confrontation au monde réel est supprimée. C’est un réel danger. La neurobiologie contemporaine a montré que les connexions dans le cerveau se font justement grâce à ce frottement à la réalité, aux essais-erreurs. Si ces confrontations disparaissent, cela aura des impacts à long terme sur ce que nous sommes en tant qu’être humain.
Le métavers est une invention potentiellement géniale, mais ne cédez pas aux sirènes de Facebook, ne vous laissez pas piéger!”
Voyez-vous quand même certains avantages à ce métavers ?
Je suis sûr que le métavers est rempli de possibilités à découvrir. Il sera par exemple possible d’y apprendre de la musique ou de réaliser des opérations chirurgicales à distance. L’important est que l’utilisateur puisse inventer et découvrir librement ces expériences. Mais, à partir du moment où il rentre dans l’univers tel que le souhaite Zuckerberg, il devient un cobaye de ce dernier, il est phagocyté par son système et ne peut pas résister à son algorithme.
Lire aussi: Le métavers n’aura pas lieu
Vous gardez espoir que ce nouveau monde virtuel n’ait pas de succès ?
Il y aura certainement un effet de fascination et de curiosité de la part des utilisateurs. J’espère me tromper, mais nous n’allons peut-être pas aimer remplacer tous nos plaisirs et même nos déceptions par des effets virtuels, à l’aide d’un casque et de gants. C’est mon espoir que ce métavers monopolisé par Méta ne soit pas réalisable, ce besoin de confrontation au monde, de se toucher, de partager, … sera bien plus fort.
Déconseilleriez-vous d’aller dans le métavers ?
Le narratif de Meta est bien plus avancé que la réalité. On est encore tôt dans sa mise en oeuvre concrète. Alors que Zuckerberg est très pressé d’imposer son narratif, nous avons encore le temps de nous préparer et de prévenir de ses potentiels dangers. En tant que lanceur d’alerte, on peut envoyer un message de prévention: “Le métavers est une invention potentiellement géniale, mais ne cédez pas aux sirènes de Facebook, ne vous laissez pas piéger!” Ce que je pense, c’est qu’il y a plein de métavers possibles, et qu’il faut travailler à les pluraliser.
Lire aussi: La Meta-claque de l’ex-Facebook
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici