Pourquoi Base se retire du marché de la TV

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L’opérateur mobile débranche Snow, son offre de télévision numérique. Voici pourquoi Base n’a pas réussi à percer sur un marché dominé par Proximus, Telenet et Voo.

Base se retire du marché de la télévision numérique. Snow, son offre de triple play (Internet, TV numérique, téléphone fixe) à prix plancher (39 euros pour l’offre de base) n’a pas atteint sa cible. Lancée en février 2013, elle n’a séduit que 35.000 clients. Ceux-ci pourront continuer à utiliser le service jusqu’en juin 2015, mais ils seront gentiment invités à migrer vers Scarlet, l’offre low-cost de Proximus, le grand concurrent (et néanmoins partenaire) de Base.

Comment expliquer cet échec ?

Des coûts fixes trop élevés. Développer une offre de télévision numérique, cela ne s’improvise pas. Et cela coûte cher. Il faut rémunérer les chaînes de télévision pour les intégrer sur le bouquet numérique, payer des droits aux studios pour bâtir une offre décente de vidéo à la demande, acheter des set-top-boxes, développer une infrastructure de télévision numérique “user friendly”, investir dans des serveurs pour supporter la consommation de bande passante, etc.

La télévision n’a jamais été le métier de Base, qui est depuis son lancement un pur opérateur mobile. Il a donc fallu démarrer de zéro en termes d’infrastructures mais aussi de compétences en interne. Pas évident quand on s’attaque à des mastodontes comme Proximus ou Telenet, qui ont peaufiné leur offre depuis des années.

C’est aussi la raison pour laquelle Base a sous-traité de nombreuses tâches, notamment à Alpha Networks, qui s’était déjà fait les dents (sans rencontrer un succès de foule) sur Billi, une offre de triple play low-cost. Mais que ce soit en interne ou en externe, ces développements coûtent cher. “Libérer du capital d’investissement pour percer sur le marché inaccessible de la télévision numérique n’est plus possible dans la conjoncture actuelle”, conclut Base dans son communiqué.

L’ensemble des investissements étant très lourd à supporter, Base comptait sur une adoption rapide des utilisateurs à une offre très agressive (pour le marché belge) en termes de prix. Mais l’adoption a été bien plus lente que prévu, notamment en raison de difficultés techniques.

Des difficultés techniques. Base ne possède pas de réseau fixe, contrairement à Proximus et aux câblo-opérateurs (Telenet, Voo, Numericable). Du coup, Base est dépendant de ses concurrents pour proposer une offre triple play comme celle de Snow.

A l’époque de son lancement, l’ouverture du câble à la concurrence était annoncée mais loin d’être concrétisée. Seule possibilité dès lors pour Base : se tourner vers Proximus/Belgacom et son réseau VDSL. Pour pouvoir proposer de la télévision numérique, Base a donc “loué” l’infrastructure de Belgacom, sans pouvoir maîtriser cette infrastructure.

Lors des installations des décodeurs chez les clients Snow, la coopération de Belgacom est donc indispensable. L’opérateur dominant du pays a-t-il joué le jeu ? Difficile à dire. Mais toujours est-il que les délais d’installation se sont rapidement allongés.

Officiellement, du côté de Base, on évoquait au début le succès de Snow auprès du public, provoquant un embouteillage au niveau des commandes. Vu le nombre de clients finalement convaincus par Snow, cette version semble avoir du plomb dans l’aile. Par comparaison, on sait que Mobistar s’est souvent plaint du peu d’entrain de Belgacom lorsqu’il s’agissait d’effectuer le transfert d’un client vers l’offre Internet que Mobistar avait développée.

Dépendre d’un réseau concurrent est en tout état de cause une situation complexe pour un opérateur challenger. D’autant que le consommateur belge reste très réticent à l’idée de passer à la concurrence.

Un consommateur belge très conservateur. Difficile de convaincre le consommateur belge de changer ses habitudes. Mobistar en sait quelque chose. Sa précédente offre de télévision numérique, retirée quelques mois après le lancement de Snow par Base, s’est heurtée à un certain conservatisme local. Il faut dire que Mobistar n’avait pas anticipé le rejet du consommateur pour son offre de télévision par satellite, qui impliquait l’installation d’une antenne parabolique disgracieuse.

Rien de tout cela avec la télévision numérique version Base. Mais à la simple idée de devoir prendre un rendez-vous avec un installateur, de changer de décodeur et d’habitudes de visionnage télévisuel, le consommateur s’est avéré extrêmement réticent.

Un sondage récent réalisé par l’IBPT, le régulateur du secteur télécoms, met en lumière cette réticence : à peine 16 % des personnes interrogées ont changé d’opérateur fixe au cours des trois dernières années. Par comparaison, 30 % des personnes interrogées ont changé d’opérateur mobile. Le double ! Il faut dire que changer d’opérateur mobile ne nécessite qu’un simple changement de carte SIM. Et que la loi télécom, qui permet de changer d’opérateur mobile après six mois sans frais, s’est avérée très efficace pour stimuler la concurrence sur le marché du mobile. Contrairement à la régulation du fixe, qui est jusqu’à présent un échec.

Un régulateur inefficace. Jusqu’à présent, tous les opérateurs alternatifs qui se sont lancés sur le marché du fixe en Belgique se sont cassé les dents. L’IBPT, le régulateur du secteur, doit se poser des questions.

Que ce soit sur l’Internet fixe ou la télévision fixe, on assiste à un match entre Proximus d’un côté, les câblos de l’autre, Telenet en tête. Proximus TV a plus de 1,5 million de clients. Telenet totalise 1,4 millions de clients à son offre de télévision digitale. Autant dire qu’avec 35.000 clients, Snow ne tient pas la comparaison.

Cette situation résulte d’une évolution du marché que l’IBPT n’a pas réussi à appréhender. Sous la pression principalement de Proximus et Telenet, le marché des télécoms fixes s’est consolidé autour des packs triple play (Internet, TV, téléphone fixe). Bénéficiant d’un monopole de fait sur les infrastructures, Proximus et les câblos ont fait main basse sur ce marché où la concurrence est finalement toute relative.

Cette évolution a permis aux grands acteurs de fixer les prix, et même de les augmenter chaque année. Même si certains clients de Telenet semblent aujourd’hui se rebeller, force est de constater qu’ils ne bénéficient pas d’une foule d’offres de rechange.

La régulation de l’offre fixe de Belgacom n’a donc rien donné : l’opérateur est toujours ultra-dominant sur le marché belge, tant du côté des particuliers que des entreprises. L’IBPT se tourne désormais vers le câble, qui est désormais ouvert à la concurrence. Mobistar est le seul opérateur à s’être montré intéressé. Mais l’implémentation de cette ouverture à la concurrence semble s’assimiler à un parcours du combattant pour Mobistar.

Ce mercredi, l’opérateur annonce qu’il lance une série de tests à destination de certains de ses clients dans la région de Charleroi. Mais Mobistar n’ose pas encore se prononcer sur une date de lancement commercial “prévu en 2015”. L’opérateur lance aussi un appel aux régulateurs pour qu’ils améliorent les conditions de prix de gros auxquels l’entreprise pourra “acheter” l’accès au câble avant de le revendre à ses clients : “Mobistar réitère et insiste auprès des régulateurs pour qu’ils améliorent rapidement ces conditions afin de permettre à un nouvel entrant d’entrer sur le marché de manière profitable et au bénéfice du consommateur.”

L’appel sera-t-il entendu ? Du côté de Base, on semble ne plus y croire du tout. Sur le blog de l’opérateur, le responsable corporate affairs de Base, Louis Tulkens, fustige le processus d’ouverture du câble, qui ne serait pas du tout attractif pour les challengers : “Vu les conditions tarifaires, le coût d’accès à ces réseaux est encore plus élevé pour les opérateurs alternatifs et une offre de télévision compétitive est rendue encore moins possible. (…) Il nous semble crucial que tant le monde politique que les régulateurs prennent leurs responsabilités et assument leurs choix politiques. On ne peut pas clamer vouloir un marché des télécommunications ouvert, diversifié, avec des prix compétitifs et, dans le même temps, rester inactif en regardant les opérateurs fixes alternatifs disparaître”, pointe Louis Tulkens (Base).

Vu le retrait de Base, le consommateur belge n’a plus qu’à espérer que Mobistar réussisse son pari et réinjecte un peu de concurrence dans le marché de la télévision numérique.

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