Mobistar se fait hara-kiri

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L’opérateur supprime ses offres TV, Internet et téléphonie fixe pour les particuliers. Mobistar justifie cet étonnant retour en arrière par une régulation défaillante dans le secteur des télécoms.

Surprise ce matin dans le monde des télécoms. Mobistar, deuxième opérateur mobile du pays, a décidé de désinvestir complétement le marché fixe résidentiel. A partir du 22 mai, la filiale de France Télécom suspend la commercialisation de ses offres TV, Internet et téléphonie fixe à destination des particuliers. Les clients Mobistar TV qui le souhaitent seront transférés sur TéléSAT et TV Vlaanderen. D’après un communiqué de l’entreprise, Mobistar assurera “la continuité de ses services” à l’intention de ses clients existants à l’Internet et à la téléphonie fixe. Pour ce qui concerne les offres fixes, l’opérateur se concentrera désormais sur le marché des entreprises.

Cette décision s’inscrit dans un plan pluriannuel de réduction des coûts entamé par l’opérateur, qui espère économiser 50 millions d’euros chaque année à partir de 2014. L’opérateur fera des économies en achat de contenus télévisuels et devrait aussi se passer de certains collaborateurs. “Il y aura un petit impact sur l’emploi”, concède-t-on chez Mobistar.

“Un échec dans le triple play” Si elle se justifie par une politique de cost-cutting assez courante en temps de crise, l’annonce de ce désinvestissement stratégique est une vraie surprise. Chez Mobistar, on ne cherche pas de faux-fuyants : “C’est un échec de notre tentative de rentrer dans le marché du triple play, constate Mathieu Van Overstraeten, porte-parole de Mobistar. C’est aussi un échec de la régulation du marché fixe en Belgique”.

En ce qui concerne la première affirmation, on peut difficilement lui donner tort. Moins de trois ans après le lancement de son offre TV par satellite, l’opérateur met déjà la clé sous le paillasson. L’objectif de 50.000 clients n’a jamais été atteint. Pire : la base de clientèle a même progressivement fondu après des débuts déjà modestes. Aux dernières nouvelles, Mobistar TV compte 26.000 abonnés, soit un quart de moins qu’un an plus tôt.

Mais c’est l’ensemble de l’offre fixe de Mobistar qui a pris un véritable bouillon. L’entreprise compte encore à peine 70.000 lignes ADSL (-14,8 % sur un an) et 225.600 lignes téléphoniques fixes (-3,3 %), sachant que la grande majorité de ces lignes téléphoniques sont des lignes professionnelles. L’arrivée de Mobistar en 2010 sur le marché résidentiel du triple play (TV, Internet, téléphone fixe) est donc un ratage complet. Les chiffres de la concurrence sont particulièrement cruels : Belgacom compte 1,26 millions d’abonnés à un pack triple play. Telenet en totalise 878.000. VOO tourne autour des 200.000 clients, d’après les derniers chiffres que le câblo-opérateur a bien voulu livrer, et qui commencent à dater.

La faute à Belgacom ?

Qu’est-il arrivé à Mobistar ? Il faut tout d’abord rappeler que l’opérateur reste focalisé sur le mobile : cette activité représente 88 % de son chiffre d’affaires en 2012. La percée espérée sur le marché fixe était une manière de diversifier ses sources de revenus en cherchant de nouveaux axes de croissance. Mais lorsqu’il s’est lancé sur le marché du fixe, Mobistar est tombé sur un os, un gros : Belgacom. Pour proposer une offre Internet et téléphone fixe, Mobistar a été contraint de composer avec l’opérateur historique, seul détenteur du réseau ADSL en Belgique. “Les conditions techniques et financières ne nous ont pas permis d’être rentables”, avance-t-on chez Mobistar.

Au niveau technique, le problème se situe au moment de basculer de Belgacom vers Mobistar. Les opérateurs alternatifs comme Mobistar se sont souvent plaints d’une certaine mauvaise volonté de la part de Belgacom à transférer rapidement et efficacement les lignes vers son concurrent, lorsque le client demande à changer d’opérateur. Au niveau financier, Mobistar évoque un deal biaisé dès le départ. Mobistar doit payer Belgacom pour l’utilisation de son infrastructure. Mais la somme fixée par le régulateur (l’IBPT) serait insuffisante. D’après une source interne à Mobistar, “Le prix de gros que l’on paye à Belgacom est très proche du prix de détail de Belgacom.” Impossible dans ce cas de proposer une offre commerciale attractive, encore moins d’espérer dégager des marges. En résumé, Mobistar perdait de l’argent avec son offre fixe pour les particuliers.

La faute à l’IBPT ?

Derrière la décision de Mobistar, se cache aussi une attaque à destination du régulateur. L’IBPT est accusé de ne pas avoir mis sur pied un système suffisamment attractif pour les opérateurs alternatifs. Résultat : la part de marché des opérateurs alternatifs s’est réduite à seulement 7%, estime Mobistar.

“Nous ne comprenons pas bien cette affirmation. Elle ne correspond pas à la réalité”, répond Dirk Appelmans, porte-parole de l’IBPT. Le régulateur n’apporte cependant pas de chiffre pour contredire Mobistar. Mais il tient à s’expliquer sur le processus mis en oeuvre pour permettre aux opérateurs alternatifs de proposer des offres commerciales concurrentielles sur le marché fixe résidentiel. “Le dédoublement de la boucle locale, qui permet aux opérateurs alternatifs d’utiliser le réseau de Belgacom, existe depuis longtemps et a rencontré, au début, un grand succès”, avance Dirk Appelmans. Mais la situation a changé à partir du moment où Belgacom a lancé Belgacom TV et commercialisé ses packs multiple play. “Le succès des packs a marqué un recul des offres alternatives sur l’ADSL fixe”, poursuit le représentant de l’IBPT.

Alors que le marché se modifiait en profondeur, le régulateur estime ne pas être resté les bras ballants. Le processus d’ouverture du câble à la concurrence est lancé : il devrait aboutir à une décision définitive en octobre prochain. Les premières offres commerciales alternatives sont attendues environ six mois plus tard. Autre preuve que les choses bougent selon l’IBPT : Base a conclu un accord avec Belgacom afin de proposer une offre triple play alternative (Snow).

Pourtant, le constat est cinglant : la domination de Belgacom sur le marché de l’ADSL est aujourd’hui quasiment sans partage. Et ce n’est probablement pas Snow, la nouvelle offre triple play de Base (plutôt orientée low-cost), qui devrait changer grand-chose à cette situation.

Mobistar attend désormais l’ouverture du câble à la concurrence, pour éventuellement se relancer sur le marché du triple play. Mobistar devra alors composer avec les câblo-opérateurs VOO et Telenet, ce qui ne risque pas non plus d’être une sinécure. Mais l’entreprise fait confiance, cette fois, au processus mis en place par l’IBPT et qui devrait aboutir d’ici la fin de l’année à une libéralisation du câble. Il ne faudra cependant pas attendre une nouvelle offre commerciale de Mobistar avant un ou deux ans au moins.

En attendant, en termes d’image, Mobistar s’est offert une bien mauvaise publicité avec cet échec annoncé et assumé. Lorsque l’opérateur décidera de relancer une offre fixe, le consommateur risque d’avoir des doutes sur la pérennité de sa démarche.

Gilles Quoistiaux

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