Une coalition “melting-pot” pour gérer l’avenir du pays

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Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

La Vivaldi semble difficile à reconduire. Une tripartie classique avec la N-VA tiendrait la corde au fédéral. Avec des nuances dans les Régions. Une certitude: l’éclatement du paysage politique compliquera la donne. Alors que les défis nécessitent une grande union, on risque le chaos.

Faites vos jeux, rien ne va plus. Le 9 juin, vous déposerez votre bulletin dans l’urne pour une triple élection – fédérale, régionale et européenne – décisive. Les sondages qui se succèdent depuis des mois résonnent comme des signaux d’alerte: les extrêmes (Vlaams Belang et PTB) devraient progresser, l’abstention sera importante et l’éparpillement des voix risque de provoquer une gueule de bois post-électorale.

A quels scénarios peut-on s’attendre? Les deux principaux protagonistes avancent leurs cartes. Paul Magnette, président du PS, affirmait, devant les abonnés du Soir, avoir “deux ou trois scénarios en tête” et estimait que “cela pourrait aller vite”. Bart De Wever, président de la N-VA, ne verrait, lui, pas d’un mauvais œil une majorité arithmétique pour son parti et le Vlaams Belang. Non pas pour gouverner ensemble, mais parce que dans ce cas, “la N-VA serait incontournable”.

“C’est la dernière opportunité pour les partis démocratiques de montrer qu’ils peuvent prendre les problèmes à bras-le-corps d’ici le bicentenaire de la Belgique en 2030 et freiner les partis extrémistes”, insiste Carl Devos, politologue à l’UGent. “Ce qui semble certain, c’est que l’on devrait avoir besoin d’un grand nombre de partis pour former les majorités, souligne Emilie Van Haute, professeur de scien­ces politiques à l’ULB. Avec le risque d’avoir une coalition ‘melting-pot’ au fédéral.”

“C’est la dernière opportunité pour les partis démocratiques de montrer qu’ils peuvent prendre les problèmes à bras-le-corps d’ici le bicentenaire de la Belgique en 2030 et freiner les partis extrémistes.” – Carl Devos (UGent)

Quant à une formation rapide, “c’est plutôt contre-intuitif, constate Benjamin Biard, poli­tologue au Centre de recherche et d’information socio-politique (Crisp), car les élections com­munales d’octobre empêcheront certains partis de poser des choix courageux”.

Voici un aperçu des scénarios les plus plausibles.

L’Olivier et la Vivaldi fédérale difficiles

La Vivaldi fédérale pourrait-elle être reconduite? Cela ne doit pas être exclu a priori, dans une version XXL à huit partis, les Engagés de Maxime Prévot venant renforcer la configuration actuelle (socialistes, libéraux, écologistes et CD&V). Le Premier ministre sortant, Alexander De Croo (Open Vld), s’y était déclaré favorable, et la perspective a même été évoquée dans un débat télévisé avec Paul Magnette. Mais les tensions inter­nes et… les sondages ont refroidi les ardeurs au sujet de ce scénario, surtout au nord du pays.

“Le rêve éveillé de Paul Magnette serait certainement de planter un Olivier PS-Ecolo-Engagés en Wallonie, analyse Carl Devos. Et au fédéral, son scénario privilégié serait une Vivaldi 2, mais cela ris­que d’être compliqué. Car le problème, c’est qu’en Flandre, il n’y a plus beaucoup d’appétit au sein de l’Open Vld ou du cd&v pour une reconduction de cette coalition qui fut chaotique. En outre, on ne veut globalement plus de Groen pour des raisons liées à la question énergétique, mais aussi à leur position dans les questions internationales dont le conflit israélo-palestinien.”

“Sur le plan idéologique et programmatique, l’analyse du test électoral de la RTBF a démontré que les partis les plus proches sont le PS, Ecolo et le PTB, constate Emilie Van Haute. Mais il est pratiquement exclu de voir le PTB participer au pouvoir, tant il exige des ruptures et ne semble pas prêt au compromis. Un Olivier, dans ce cas, serait la formule la plus cohérente. Pour le PS, c’est le plus évident. Mais il reste à savoir si cela sera mathématiquement possible et si les Engagés accepteront d’y entrer.”

En outre, ajoute-t-elle, “le score du PS à tous les niveaux de pouvoir reste une inconnue, on sent une grande fébrilité en son sein et ce n’est pas toujours bon signe”.

“Si l’on en croit les derniers sonda­ges, et nous avons également fait des projections au Crisp qui en atteste, une Vivaldi 2 ne serait pas reconductible”, appuie Benjamin Biard. En ce qui concerne les Engagés, tout dépendra du rapport de forces et de la dynamique générale: pour les troupes de Maxime Prévot, la coalition idéale serait une tripartite classique (avec le PS et le MR), au sein duquel ils peuvent incarner le centre. “Si Maxime Prévot est sincère, il ne peut aller qu’avec nous”, plaide le président du MR. Sur l’économie, la formation ou l’énergie, le bleu pâle des Engagés est proche du bleu roi, c’est vrai. Mais sur la santé, la fiscalité ou l’environnement, il est proche du PS et d’Ecolo.

Match nul, balle au centre.

Tripartie classique avec la N-VA, et coalitions miroirs

“La moins mauvaise formule pour Bart De Wever, et c’est ce à quoi l’on s’attend en Flandre, ce serait une tripartite classique entre socia­listes, libéraux et chrétiens-­démocrates, à laquelle on ajouterait la N-VA, avance Carl Devos. Cela pourrait fonctionner également au fédéral aux côté d’une tripartite francophone classique avec le PS, le MR et les Engagés.”

“Le gros problème sera de voir comment Paul Magnette pourrait défendre une coalition avec l’Open Vld et la N-VA, alors qu’il a toujours défendu une coalition la plus progressiste possible, précise le politologue gantois. Ce serait un scénario horrible pour lui. Mais avec un peu de window-dressing, cela pourrait passer.”

“Cela pourrait être un scénario plausible”, acquiescent Benjamin Biard et Emilie Van Haute. “La seule difficulté, c’est que je ne vois pas le PS aller au pouvoir avec la N-VA rapidement après les élections, ajoute le politologue du Crisp. Je ne pense pas que ce soit impossible pour le PS et la N-VA de gouverner ensemble: d’ailleurs, Paul Magnette et Bart De Wever avaient déjà été loin dans les discussions en 2020. Mais le socialiste n’ira sans doute qu’après avoir tout essayé, pour montrer à sa base que cela bloque et qu’il faut prendre des responsabilités. Par ailleurs, le fait d’être le seul parti de gauche dans une coalition, avec Ecolo et le PTB, ne serait pas confortable pour lui.”

Le personnage le plus important, dans tous les cas de figure, risque bien d’être Maxime Prévot. Si le PS et Ecolo s’entendent en vue d’un Olivier, mais qu’il refuse, il pourrait ouvrir la voie d’une tripartite en Wallonie et à un gouvernement avec la N-VA au fédéral.

LE PERSONNAGE, le plus important, dans tous les cas de figure, risque bien d’être Maxime Prévot. © BELGA

“Le fait d’avoir un gouvernement ayant une assise importante sera important parce qu’il s’agira, lors de la prochaine législature de réaliser des économies pour maintenir le cap budgétaire et de mener à bien des réformes importantes en matière de fiscalité, d’emploi et de pensions”, complète Carl Devos, pour privilégier cette large coalition. Même si elle est, partiellement, contre-nature.

Sans les extrêmes et sans orientation claire

“Ce qui est sûr, c’est qu’il y a des scénarios qui ne sont pas probables du tout au fédéral, souligne Benjamin Biard. Le premier est celui qui associerait le PTB parce que lui-même est frileux à l’idée d’y participer et que certains partis refusent catégoriquement de collaborer avec lui. Le deuxième, c’est une participation du Vlaams Belang en raison du cordon sanitaire. Quand on évacue cela, on voit que la N-VA, le PS et le MR sont difficilement contournables au vu de la fragmentation partisane.”

La traduction de cela, c’est aussi l’impossibilité d’espérer une coalition fédérale à l’orientation plus claire. “Soit il faudra associer la N-VA, soit il faudra réunir tous les autres partis”, acquiesce le politologue du Crisp.

Au-delà de cela, “l’asymétrie entre les différents niveaux de pouvoir pourrait devenir une nouvelle normalité”, souligne Emilie Van Haute. “Il y a une polarisation du débat, à droite en Flandre et à gauche en Wallonie, tandis que la situation à Bruxelles reste spécifique. Cela pourrait générer des majorités différentes dans les Régions et Communautés. Si les partis terminant en tête sont différents, cela pour­rait engendrer des dynamiques différentes. Même si, au niveau francophone, je sens plutôt la volonté de mettre en place des majorités similaires aux différents niveaux.”

“Si l’on en croit les derniers sondages, une Vivaldi 2 ne serait pas reconductible.” – Benjamin Biard (Crisp)

“Aucun parti ne devrait être incontournable en Wallonie au lendemain des élections, présage Benjamin Biard. C’est une donne dont ils sont conscients. On sent que le MR aimerait s’allier avec les Engagés, mais ces derniers ont déjà dit qu’ils ne s’opposeraient pas à des majorités différentes selon les niveaux de pouvoir. Maxime Prévot laisse ouverte la porte à tout. Et l’Olivier est privilégié par le PS, on l’a dit.”

Du côté francophone, la coalition “FGTB” réunissant PS, Ecolo et PTB tentent certains, notamment dans les rangs syndicaux. “Mais je pense qu’elle sera compliquée à mettre en œuvre, analyse Emilie Van Haute. Le PTB avance des ruptures radicales et on voit qu’il a du mal à envisager des compromis. Si c’est à prendre ou à laisser, ce n’est pas comme cela qu’on négocie. Je vois mal la confiance s’instaurer entre PS et PTB. Mais je n’exclurais pas qu’il se passe quelque chose au niveau communal.”

Le risque Vlaams Belang

En Flandre, l’extrême droite est-elle forcément exclue?

“Si la N-VA et le Vlaams Belang réussissent à réunir ensemble plus de la moitié des sièges au parlement flamand, la tentation sera grande au sein d’une partie de la N-VA pour gouverner ensemble, estime Benjamin Biard. Cela serait une source de blocage généralisée. Plusieurs partis francophones ont rappelé qu’ils ne gouverneraient pas avec le Vlaams Belang, ni avec un parti qui gouvernerait avec le Vlaams Belang à un autre niveau de pouvoir. En tout état de cause, la N-VA aura sans doute intérêt à faire traîner la formation du gouvernement fédéral pour ne pas décevoir une frange de son électorat dans la perspective des élections communales.”

L’exemple des Pays-Bas, où l’extrême droite de Geert Wilders participera au pouvoir, risque-t-elle de servir d’inspiration? “Il n’a pas fallu attendre les Pays-Bas, rétorque le politologue du Crisp. C’est déjà le cas, ou ce fut le cas, en Estonie, en Italie, en Hongrie, en Finlande, en Suède, en Autriche… Ce fut d’ailleurs déjà le cas aux Pays-Bas auparavant. La tendance, en Europe, est plutôt à l’ouverture à l’extrême droite. En Flandre, il me semble toutefois que les freins sont plus nombreux, même si certains sont tentés de les confronter au pouvoir pour les abîmer.”

“Ce qui est sûr, c’est que la N-VA risque d’utiliser une possible collaboration avec le Vlaams Belang comme moyen de pression sur le fédéral”, souligne Emilie Van Haute. Pour forcer l’institutionnel.

Une septième réforme de l’Etat

BART DE WEVER.
“La moins mauvaise formule pour lui, ce serait une tripartite classique entre socialistes, libéraux et chrétiens-démocrates”, estime Carl Devos. © Belga

La pression sera forte, en effet, pour qu’une septième réforme de l’Etat soit négociée.

“En 2014, la N-VA avait accepté une première fois d’aller au pouvoir fédéral en laissant le communautaire de côté, rappelle la professeure de l’ULB. Ce sera difficile de vendre cela une deuxième fois à ses électeurs, a fortiori s’il s’agit de gouverner avec le PS. Or, par ailleurs, le PS a une aile régionaliste assez forte, il pourrait être ouvert à des transferts de compétences.”

La Vivaldi sortante a adopté une liste ambitieuse d’articles de la Constitution à réviser, mais tous nos interlocuteurs rappellent qu’une majorité des deux tiers ne sera pas évidente à trouver. Sauf si le PTB ou le Vlaams Belang votent ou s’abstiennent à la carte. “Une majorité des deux tiers imposerait d’être encore plus ambitieux dans le rassemblement des forces, dit Benjamin Biard. Ce peut être au sein du gouvernement, mais aussi comme en 2011, un soutien spécifique hors de la majorité. Une certitude: pour y arriver, il faudra du temps.”

Carl Devos évoque un autre cas de figure: “Bart De Wever parle de la possibilité d’une formule extra-légale. Il pourrait s’agir de confier certaines compétences de façon bicéphale, de façon à ce qu’elles soient également exercées par des ministres flamand, wallon et bruxellois. C’est politiquement envisageable, mais cela pourrait poser problème devant la Cour constitutionnelle en raison d’une rupture de l’égalité de traitement. Ce serait une façon de mettre en place une forme de confédéralisme tout en disant que ‘ceci n’est pas du confédéralisme’.”

Sur le plan budgétaire aussi, on pourrait faire preuve de créativité: “On pourrait imaginer que la Flandre accomplisse davantage d’effort pour diminuer la dette belge, prolonge le politologue gantois. Ce ne serait pas un refinancement des entités francophones, ni un transfert en tant que tel, mais une contribution relâchant la pression budgétaire. Ce serait une manière créative de gérer cette question de façon transitoire.”

Magnette Premier ministre?

Il reste une question subsidiaire, qui peut influer sur ce qui précède: qui pourrait occuper le poste de Premier ministre? “Je ne crois pas que De Wever soit réellement demandeur, contrairement à ce qu’il affirme, souligne Carl Devos. Il sait que sa candidature ne serait guère appréciée, certainement du côté francophone. Son souhait profond consister à rester bourgmestre d’Anvers.” Fondamentalement, le nationaliste flamand ne trouve guère “romantique ” le Seize.

Paul Magnette.

Pour Paul Magnette, le moment pourrait être venu. “Le président du PS a l’occasion de démontrer qu’il peut être un homme d’Etat, souligne le politologue gantois. Il pourrait se présenter comme le sauveur de la Belgique. S’il refuse, on pourrait toujours rappeler Elio Di Rupo. A 73 ans, certains affirment qu’il serait trop âgé, mais regardez ce qui se passe aux Etats-Unis… La Flandre a pu constater avec Elio Di Rupo qu’un socialiste francophone pouvait être un Premier ministre fort, il l’a été davantage que Charles Michel ou Alexander De Croo.”

On pourrait imaginer aussi le représentant d’un parti moins dominant, comme Sammy Mahdi (président du CD&V) Vincent Van Peteghem (CD&V), Maxime Prévot, voire… de nouveau un libéral. Les derniers gouvernements ont souvent été dirigés par des personnalités libérales n’émanant pas du premier parti de la coalition, que ce soit dans le cas de Charles Michel, Sophie Wilmès ou Alexander De Croo.

“Les ambitions personnelles sont claires pour certaines personnes, analyse Benjamin Biard. Je pense surtout à Paul Magnette et Bart De Wever, c’est désormais moins le cas pour Conner Rousseau, ancien président de Vooruit, après ses dérapages racistes. Mais il convient de conjuguer cela avec la volonté de défendre son programme. Le poste de Premier ministre est celui d’un chef d’orchestre qui doit rassembler les différents partis et trouver des compromis. On a vu lors de cette législature combien cela a pu coûter des points au parti du Premier ministre, Alexander De Croo.”

“L’analyse en Flandre, c’est également qu’il faut la présence des présidents de partis au sein de la coalition, afin d’éviter qu’ils ne la torpillent en permanence de l’extérieur, conclut Carl Devos. Le prochain gouvernement fera face à un défi énorme pour tenter de mener à bien les réformes socio-économiques et sauver la Belgique en vue de 2030. Il reste encore six ans pour mener à bien ce projet. C’est le moment de prouver que cela est possible.”

L’enjeu n’est pas mince. La prochaine législature promet du sang et des larmes. Mais le casting pour mener à bien la tâche promet d’être délicat à mettre en place.

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