Service princier pour multimillionnaires

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A partir de 20 ou 30 millions d’euros, le service offert par le banquier privé change de dimension : exigeant et sophistiqué, le client a droit à une palette presque infinie de produits et services. Le sommet de la gestion sur mesure.

Gestion de fortune, banque privée, wealth management, gestion patrimoniale : autant d’appellations non contrôlées recouvrant une même activité. L’approche et l’étendue du service sont toutefois bien différentes suivant qu’on confie 250.000 ou 25 millions d’euros, qui s’en étonnera ? Tous les clients fortunés ne se font pas dérouler le tapis rouge. Certains s’obstinent à jouer les épargnants modestes, snobant le service haut de gamme pourtant dû à leur rang. Un banquier se souvient ainsi d’un client de la région de Courtrai. “Nous avons à plusieurs reprises proposé nos services de gestion de fortune à cet entrepreneur prospère, mais sans succès. Il s’obstinait à passer au coffre, avec une paire de ciseaux, pour découper ses coupons d’obligations et bons de caisse, tel un paisible retraité. Sauf qu’il en avait pour plus d’un milliard de francs belges à l’époque, soit 25 millions d’euros !”.

Même démarche de petit épargnant pour cet homme d’affaires belge très actif en Afrique, qui passe incognito dans son agence du sud de Bruxelles, alors qu’il y a déposé plus de 50 millions d’euros. Il y a plus fort encore. Un ancien gestionnaire, qui travaillait à l’époque dans une banque américaine ayant aujourd’hui quitté le paysage belge, évoque en souriant ce client très fortuné qui refusait obstinément de payer quoi que ce soit pour un service plus personnalisé. “Il n’avait donc droit à aucun traitement de faveur et passait au guichet, tel un client lambda. Cet homme figurait pourtant parmi les grandes fortunes du pays : je vous parle d’un patrimoine global de l’ordre du demi-milliard d’euros !”.

Ces fameux UHNW à 30 millions

Voilà qui ferait rêver BNP Paribas Fortis et UBS, deux des banques de la place proposant une offre spécifique à l’attention des personnes pouvant leur confier quelques dizaines de millions d’euros. Quel est le seuil d’entrée ? La segmentation est large et précise chez l’ancienne Fortis : à partir de 250.000 euros déposés à la banque, le client ressortit du private banking, un service qui bénéficie déjà d’implantations distinctes. La gestion dédiée aux patrimoines dépassant 4 millions d’euros est qualifiée de wealth management et ouvre la porte à des produits d’investissement et services plus spécifiques. Au-delà de 25 millions enfin, la palette s’élargit encore et se personnalise totalement, explique Xavier Declève, responsable de ce dernier segment. Cette clientèle peut faire appel à cinq juristes fiscalistes et quatre lending officers qui lui sont dédiés. Le crédit patrimonial fait partie des services offerts ici, comme chez UBS d’ailleurs, ce qui n’est pas le cas partout.

Chez UBS précisément, dont le profil est évidemment très différent, le seuil d’entrée est aujourd’hui fixéà un million d’euros, au lieu des 250.000 affichés quand la banque suisse a débarqué en Belgique. Elle y est maintenant implantée, en tant que banque de droit belge, tant à Bruxelles qu’à Anvers et Gand. Parmi ses quelque 70 collaborateurs figurent cinq juristes et fiscalistes, précise Jean-Marc Legrand, responsable des marchés et membre du comité de direction. Et qu’en est-il du service tout à fait haut de gamme ? L’usage international place la barre des ultra high net worth individuals (UHNW) à 30 millions d’euros, note Jean-Philippe Spalart, responsable de cette clientèle chez UBS Belgique. La banque ne confirme toutefois pas ce seuil, aussi vrai qu’un client n’est pas l’autre. En d’autres termes, et ici comme ailleurs, un client sophistiqué et actif dans ses placements fera plus facilement son entrée dans le saint des saints qu’un autre, qui cherche la structuration d’un patrimoine assez classique, voire passif. Le seuil des 25 millions d’euros évoqué ci-dessus pour BNP Paribas Fortis n’est du reste qu’un des trois critères pouvant être retenus, précise-t-on rue Royale, les autres étant l’existence d’un patrimoine mobilier global de 50 millions et un “potentiel considérable”.

Fortunés et… sophistiqués

Puisqu’on parle de sous, qu’en est-il du coût de la gestion de fortune à ce niveau ? Sur ce terrain plus délicat, parole à un autre banquier privé, anonyme pour la circonstance. Certaines maisons vont annuellement facturer 0,5 ou 0,6 % des actifs sous gestion, tandis que d’autres descendront à 0,3 ou 0,4 %. S’y ajoutent les droits de garde et autres frais. Dans une formule “tout compris”, on se situera plutôt à 0,8 ou 1 %. “Avec 1 %, le banquier gagne franchement bien sa vie, juge l’intéressé. Les tarifs sont évidemment dégressifs en fonction du montant des avoirs confiés, mais ils dépendent aussi de la relation, plus ou moins étroite, entre le banquier et son riche client. Le plus gros patrimoine n’est du reste pas nécessairement le plus rentable. Son détenteur a une grande capacité à négocier et met les banques en compétition. Personnellement, je préfère de loin 100 clients à un million d’euros qu’un gros compte à 100 millions !”.

Les ultra high net worth ne sont pas seulement des particuliers fortunés. Le plus souvent, ce sont aussi des investisseurs très sophistiqués qui, parfois, peuvent quasiment s’apparenter à des institutionnels, souligne-t-on chez UBS. Réflexion identique chez BNP Paribas Fortis : “Certains clients sont de véritables institutionnels, confirme Xavier Declève. Ils ont leurs propres spécialistes, avocats et fiscalistes notamment.” Des professionnels avec lesquels ils sont en relation étroite, voire même des employés à leur service exclusif. Certaines familles disposent de leur propre équipe de cinq ou même 10 personnes, confirme-t-on chez UBS. Petit paradoxe donc : les gens fortunés font appel à leur banquier privé pour toute une série de services, fiscaux et juridiques notamment, en plus de ce qui est proposé au client lambda de l’agence. Quand on arrive un cran au-dessus par contre, ce serait l’inverse ? On en arriverait presque à ce demander si ces nababs ont encore vraiment besoin d’un banquier privé !

La vérité se situe évidemment entre les deux. D’abord, de tels clients restent plutôt l’exception. Ensuite, leur relation avec la banque n’est pas nécessairement moindre, mais différente. Des groupes comme BNP Paribas et UBS peuvent en effet leur offrir un spectre de services inaccessible en direct pour un particulier, même milliardaire en euros. “A partir d’un certain niveau de patrimoine, les clients font appel à d’autres départements de la maison, la banque d’affaires en particulier”, explique Jean-Philippe Spalart. Il ne s’agit plus d’acheter un actif coté sur un marché, mais de participer au rachat d’une entreprise par exemple, en compagnie de quelques autres gros investisseurs particuliers. Ou encore de figurer dans le tour de table d’un fonds de private equity. Et ceci en Belgique ou à l’autre bout du monde !

24 heures sur 24

“Certains clients peuvent même faire appel à notre salle des marchés”, complète Xavier Declève, qui observe plus de synergies qu’avant entre la banque privée et les activités de banque d’entreprise. Ceci vaut au niveau des véhicules de placement recherchés, parce que les gros investisseurs sont plus sophistiqués, mais aussi au niveau de l’identité des clients. La raison : les entrepreneurs s’enrichissent globalement plus vite que naguère et deviennent donc clients de la banque privée bien avant de revendre leur entreprise. “Nous travaillons beaucoup avec des chefs d’entreprise. Des patrons de PME bien sûr, mais aussi de grandes entreprises, et ceci plus qu’avant”.

Un exemple de service rendu qui combine sophistication internationale et disponibilité 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, chez UBS en l’occurrence : “Voici trois semaines, un client nous a signalé vouloir investir dans une société australienne, cotée à Sydney, explique Jean-Philippe Spalart. Quelques heures plus tard, en soirée, nous avions réuni les informations relatives à cette entreprise et, le lendemain matin, le client entrait en contact direct avec l’analyste spécialisé de la banque d’investissement d’UBS en Australie”. Un service quasiment unique au monde, juge Jean-Marc Legrand. “Ce qui fait la différence chez UBS, ajoute-t-il, c’est bien sûr que la gestion de fortune est le métier essentiel du groupe, puisqu’il représente 40 % de son activité. Mais c’est aussi la taille d’un groupe implanté partout dans le monde et offrant une expertise tous azimuts. Que penser de l’uranium ? Nous avons un avis sur la question et même une méthodologie d’investissement !”, précise- t-il avec un petit sourire.

De tels propos induisent inévitablement une réflexion à propos de… BNP Paribas Fortis : la banque n’a-t-elle pas beaucoup gagné avec son intégration au géant français ? La réponse est clairement positive, et sur plusieurs plans. Ainsi la clientèle de Français résidant en Belgique de BNP Paribas Belgique est-elle venue grossir les rangs de la nouvelle entité dans une mesure non négligeable. On a également maximisé les croisements entre départements, dans la tradition du groupe, souligne Xavier Declève. Ce sont les liens évoqués plus haut entre banque privée et banque d’entreprise, avec une envergure internationale nouvelle. Enfin, le département dédié aux clients-clés intègre aujourd’hui dans son offre plusieurs éléments qui débarquent en droite ligne d’outre-Quiévrain.

C’est le cas des conseils portant sur les oeuvres d’art. Ce domaine a toujours été un point fort de BNP Paribas, qui peut se targuer de deux spécialistes-maison. Le groupe français exerce également une activité de courtage immobilier dans le résidentiel de prestige, centrée sur Paris et la Côte d’Azur. “L’étendue de la clientèle autorise l’existence de ce département, souligne Xavier Declève. Sur ce créneau spécifique, vendeurs et acheteurs jugent souvent important que les transactions se réalisent discrètement, sans que le bien soit affiché sur la place publique.” Sur le terrain immobilier toujours, une autre offre spécifique est aujourd’hui proposée en Belgique. Distillée par la filiale Agrifrance, fondée en 1970 et centrée sur l’Hexagone, elle porte sur le foncier rural : domaines agricoles, vignobles, forêts et autres chasses.

Informer, réunir… et chouchouter

Le quatrième volet de l’offre de services de banque privée spécifiques à la clientèle très haut de gamme concerne la philanthropie, également marquée par la tradition française en la matière. “C’est généralement l’occasion de rencontrer la génération suivante”, souligne Xavier Declève. On touche dès lors ici à un autre pilier de la gestion de fortune : l’information, souvent déclinée sur le mode intergénérationnel. La banque organise pas mal de séminaires familiaux, en particulier destinés aux actionnaires d’une même entreprise, et ceci en Belgique comme en France. BNP Paribas Fortis a mis sur pied, l’an dernier, une Ladie’s Academy ayant proposé quatre après-midis d’exposés sur la finance.

Informer et, plus simplement, réunir se décline sur un mode très large dans la banque privée. Car autant une famille aisée n’aime pas être désignée comme telle à l’attention du grand public, autant elle apprécie de se retrouver en compagnie de ses pairs. Et d’élargir le cercle de ses connaissances à l’occasion d’un événement exclusif. Le défilé privé organisé avec la maison Natan a ainsi drainé quelque 500 personnes ! Tandis que BNP Paribas Fortis a lancé le Cercle de l’Orangerie pour labelliser ces initiatives, UBS affiche de son côté l’UBS Belgium Passion Club, explique Jean-Marc Legrand. “Il propose des contacts et visites exclusifs et traditionnellement inaccessibles avec des maisons comme Natan, Audemars Piguet, Rolls-Royce, Ferrari, la galerie Gladstone ou encore les champagnes Taittinger, qualifiées de passion suppliers.” S’y ajoutent bien entendu des conférences en petit comité, ou encore des initiations au golf… tout comme à la finance, à destination des nouvelles générations.

Le banquier anonyme cité plus haut confirme à quel point on peut chouchouter ses clients-clés. Qu’il s’appelle officiellement key client ou UHNW, le client-clé est celui qui fait appel à toute la palette des produits de la banque, à titres privé comme professionnel. Il s’agit typiquement du gros entrepreneur n’ayant pas encore revendu son affaire. “Il peut me réveiller à toute heure du jour et de la nuit, je lui répondrai, même si je suis à l’autre bout du monde. Je ne le ferai peut-être pas pour un ultra high plus classique, à qui j’enverrai un SMS lui conseillant de prendre contact avec un collaborateur.” C’est que la concurrence est féroce sur le créneau du client-clé, rentable et donc stratégique. “Lui, on va l’inviter à dîner dans l’hôtel de maître d’une grande maison de champagne à Reims. Ou à parcourir l’exposition d’un peintre, visite suivie d’un dîner gastronomique. Mieux que le seizième de finale à Roland Garros ou une visite de la Tefaf.”

Pas de concierge en Belgique

Au-delà de ces loisirs et de ce networking fort sympathiques, jusqu’où va le service proposé aux clients de très haut de gamme ? La location d’un yacht à Saint-Tropez ou d’un chalet à Mégève par exemple, des services qualifiés de conciergerie ? Cela fait partie des possibilités chez UBS, mais par l’entremise de l’UBS VIP Center basé à Zurich. En Belgique, la banque offre de nombreux conseils en matière d’oeuvres d’art et surtout au niveau immobilier, notamment aux expatriés. Ces derniers sont assez divers : si l’on évoque le plus souvent les exilés fiscaux français, on ne peut oublier leurs collègues néerlandais britanniques. S’y ajoute des expatriés plus classiques, résidant en Belgique pour raisons professionnelles. Eux aussi sont parfois fortunés !

Quoi qu’il en soit, cette clientèle a des besoins assez spécifiques. “Les Français nous demandent souvent de les aider dans le choix d’une école”, observe Xavier Declève. “Ces expatriés ont d’abord un besoin d’accueil, complète Jean-Marc Legrand. C’est pourquoi nous organisons des repas avec d’autres clients ou à la maison.” Au domicile privé ? “Oui, chez moi. Cela fait partie de la philosophie du groupe de considérer le client comme un ami. Sans oublier pour autant qui nous sommes par rapport à lui.” Le banquier haut de gamme reste au service de son client…

Guy Legrand, avec Sébastien Buron

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