Pierre-Henri Thomas

Le remplacement des F16: un beau gâchis industriel

Pierre-Henri Thomas Journaliste

« Pas de travail pour les Belges ». L’envolée du patron de Dassault devant le Sénat français la semaine dernière nous rappelle que le remplacement de nos F16 a été un beau gâchis industriel.

« Je ne vois pas pourquoi je donnerais du travail aux Belges ». La charge la semaine dernière d’Éric Trappier, le patron de Dassault, contre les « pays F35 », ceux qui ont choisi d’acheter le chasseur américain, a fait du bruit.

Éric Trappier ne veut pas intégrer de partenaires industriels belges dans le programme franco-germano-espagnol d’avion de chasse du futur. Au-delà de leur aspect méprisant, les propos du patron français ont le mérite de nous rappeler que, dans ce dossier, la faute initiale repose sur nos gouvernements. Ceux de 2008-2014 et celui de 2018, qui ont fait les mauvais choix industriels dont nous payons aujourd’hui les conséquences, plus spécialement en Région wallonne, où l’industrie aéronautique est importante.

L’erreur initiale

On se plaint aujourd’hui des compensations presqu’inexistantes de l’achat du F35 américain, alors que l’achat du F16 avait permis de soutenir le développement d’une industrie aéronautique en Wallonie (Sabca, Safran Aero Booster…). Mais nous sommes responsables de cette absence de retour. Vous vous rappelez la fameuse phrase d’Emile de Girardin, l’inventeur de la presse moderne : « Gouverner, c’est prévoir » ? On oublie souvent qu’elle se poursuit par : « et ne rien prévoir, c’est courir à sa perte ».

Nous avons décidé d’acheter en 2018 des F35 alors que la quasi-totalité des compensations avaient déjà été négociées par Lockheed, le fabricant du F35, avec les pays plus rapides que nous dans leurs décisions. Si nous avions voulu vraiment bénéficier de retombées importantes, nous aurions dû nous positionner dès 2008-2013. Mais à l’époque, sous la direction de Pieter De Crem (CD&V), l’armée subissait une cure d’amaigrissement qui réduisait les investissements à portion congrue, au point où le staff de l’armée s’était fendu d’une note très critique soulignant à la fois la multiplication des missions, la réduction des budgets et l’absence d’investissement.

A l’époque, d’autres pays ont fait le choix d’investir et donc de devenir partenaires du programme F35. Le Royaume-Uni est même devenu partenaire de premier niveau. Les Pays-Bas et l’Italie ont embrayé et sont des partenaires de deuxième niveau. L’Australie, la Norvège, le Danemark et le Canada sont partenaires de troisième niveau (la Turquie l’était aussi, mais elle en a été exclue par la suite parce qu’elle avait acheté des missiles russes). Si, comme certains l’affirment, la Force aérienne avait déjà fait le choix du F35 dès 2013, il aurait alors été judicieux d’en tirer les conséquences et d’entrer dans le partenariat économique.

La N-VA anti-Rafale

Alors oui, bien sûr, l’envolée d’Éric Trappier est teintée d’hypocrisie. Dassault n’avait pas participé en 2017 à l’appel d’offre pour le renouvellement de nos chasseurs. Jugeant l’offre « trop contraignante », la France avait proposé, en dehors des délais, un partenariat plus large, avec des retombées sur papier de 20 milliards d’euros. Il pouvait y avoir des doutes sur la proposition française. Mais certains, dont le Premier ministre Charles Michel, l’estimaient recevable.

Elle avait cependant été balayée d’un revers de la main par le ministre N-VA de l’époque, Steven Vandeput qui trouvait l’offre française « trop belle pour être vraie »(sic). Idéologie, quand tu nous tiens.

D’ailleurs, dans ce dossier, c’est le patron de la N-VA qui, enfilant la combinaison de Top Gun, avait donné le ton : « L’avion de combat français Rafale n’est pas un bon plan, il n’est pas suffisamment performant pour notre défense. La prolongation des F-16 est exclue également», avait-il dit. On ne peut s’empêcher de penser que s’il s’était agi d’un partenariat alléchant pour le port d’Anvers, sans doute la N-VA aurait-elle tenu un autre discours. Mais la N-VA, même au gouvernement fédéral, ne se souciait pas beaucoup de l’aéronautique wallonne. A sa décharge, le gouvernement wallon non plus qui, en 2018 était empêtré dans une crise politique, après la décision du CDH de quitter le fédéral.

Un futur hypothéqué

On savait aussi, en prenant le choix du F35 au détriment du Rafale français et de l’Eurofighter développé par un consortium européen, que notre industrie allait être mal positionnée pour intégrer le chantier du chasseur européen de nouvelle génération. A l’automne 2018, alors que la décision d’acheter des F35 n’avait pas encore été prise, le patron de Dassault avait été clair. Interrogé par un confrère du Soir, Éric Trappier avait déclaré : « Nous travaillerons en priorité avec les pays avec lesquels on partage une vision commune. Si la Belgique ne nous choisit pas, elle part dans une autre direction ».

Certains diront : oui, mais l’Allemagne fait partie de ce programme d’avion du futur alors qu’elle a acheté des F35. On répondra que, d’une part, l’Allemagne a plus de poids que la Belgique et que, d’autre part, Berlin a été assez finaud pour intégrer d’abord le programme de nouveau chasseur européen et n’acheter des F35 qu’ensuite….

Résumons donc : par incurie, nous ne nous sommes pas positionnés pour bénéficier des retombées du programme F35. Par idéologie anti-française, nous avons refusé d’envisager le partenariat avec Dassault. Et par manque de clairvoyance, nous sommes bien mal partis pour participer au programme du prochain chasseur européen. Mais ce n’est pas grave. Cela ne concerne surtout que l’industrie wallonne.

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