Fin de l’étalement urbain: quels impacts pour la Wallonie?

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La Wallonie devrait disposer d’une nouvelle stratégie territoriale d’ici peu. Septante-cinq pour cent des nouveaux logements construits d’ici 2050 devront l’être dans les centres. Lancement des opérations en 2030. De quoi inquiéter les grands propriétaires fonciers qui possèdent des terrains en périphérie. D’autant que les moins-values ne seront pas indemnisées.

Un sérieux coup de frein pour l’étalement urbain. Et donc un sérieux coup d’accélérateur pour la concentration de l’habitat dans les centres urbains et ruraux. La Wallonie se donne enfin les moyens de ses ambitions pour lutter contre l’urbanisation effrénée de son territoire. Si les constructions en rase campagne se sont multipliées ces 50 dernières années, défigurant en grande partie – et durablement – le territoire wallon, l’idée de stopper l’hémorragie et de sauver ce qui peut encore l’être reste encore dans le champ des possibilités.

On le sait, une trajectoire visant à arrêter l’artificialisation des sols en 2050 a été définie par l’Europe. Le gouvernement wallon s’est inscrit dans cette voie. Après deux ans de discussions, il vient de réviser deux de ses principaux outils d’aménagement du territoire, le Code du développement territorial (CoDT) et le Schéma de développement du territoire (SDT). La réforme du premier a été adoptée en deuxième lecture. Il suit maintenant sa trajectoire administrative classique. Le second est à l’enquête publique jusqu’au 14 juillet. L’idée est de les adopter avant mai 2024.

Recentrer les logements

Ces deux textes sont loin d’être anodins. Ils vont clairement définir la localisation de toutes les nouvelles constructions dans les prochaines décennies. Tant les citoyens que les promoteurs ou les pouvoirs publics sont donc concernés. Et cela touche tant l’habitat que le commerce ou les activités économiques. Bref, une nouvelle stratégie de développement territoriale va se mettre en place pour la Wallonie.

Quand on lit cette brique de 272 pages qu’est le SDT, un leitmotiv ressort principalement: l’idée de concentrer les activités et les habitations dans les centres. Et ce en reconstruisant “la ville sur la ville” pour diminuer l’artificialisation des sols. Rien de bien neuf, on en parle depuis une dizaine d’années. Sauf que la manière d’y parvenir est désormais déterminée. Un chiffre permet d’ailleurs de bien mieux comprendre les enjeux: 75% du développement résidentiel devra être concentré dans les centres, qu’ils soient ruraux ou urbains, d’ici 2050, Et, passé cette date, il ne sera plus possible d’urbaniser des terrains qui ne l’ont pas encore été.

“Cette réforme encourage la rénovation plutôt que l’immobilier neuf.”

D’ici là, la situation ne sera pas – comme l’avancent certains – noire ou blanche. Contrairement à ce qui a été décidé en Flandre, tous les terrains qui étaient constructibles au plan de secteur le resteront. Une astuce qui permet d’éviter à la Wallonie de payer des milliards de moins-value aux propriétaires lésés (elle ne les avait de toute façon pas en caisse). Le SDT réduit par contre sérieusement la densité en dehors des centralités de chaque commune. Y construire des immeubles à appartements y sera bien plus compliqué. On pourra toutefois, dans certains cas, encore y retrouver des maisons de 10 ares par exemple.

Ce concept de centralités – une nouveauté – est aujourd’hui au centre des interrogations. Il vise à orienter en priorité les futurs projets dans un périmètre précis qui concentre les logements et offre une proximité aux services et équipements. En clair, il vise les lieux les mieux équipés et desservis en transports en commun. Les communes seront à la manœuvre pour les mettre en œuvre puisqu’elles définiront leur périmètre via des schémas de développement communaux ou pluri-communaux. Elles disposeront d’un délai de cinq ans pour les définir.

Ce timing s’annonce toutefois particulièrement serré même si les communes pourront se baser sur le travail de l’Iweps, l’Institut wallon de la statistique, qui a déjà déterminé tous les périmètres selon une série de critères, estime Fleur Lambert, juriste au sein du cabinet HSP. A elles ensuite d’affiner les contours précis.” Si les communes ne font rien ou ne parviennent pas à tenir le délai de cinq ans, les centralités seront déterminées d’office par la Région wallonne. De quoi perdre la main sur la manière dont sera densifié son territoire.

“Les communes ont le loisir de déterminer le nombre de logements qu’elles veulent encore voir construire sur leur territoire et les zones qu’elles veulent préserver, précisait Michel Dachelet, inspecteur général du SPW Territoire, lors d’une présentation du SDT. Elles pourraient subir certaines pressions de la part des promoteurs immobiliers. Mais je pense que ces derniers sont plutôt un atout qu’un problème. Ils vont permettre de déployer notre stratégie territoriale en respectant nos nouvelles règles.”

Des moins-values à éviter

Dans le milieu immobilier, personne n’est bien évidemment tombé de sa chaise en lisant les grands objectifs du SDT. Ils sont connus de longue date. La définition des centralités que l’on retrouvera dans chaque commune et les densités qui les accompagnent sont par contre une autre histoire. “Nous avons d’ailleurs récemment conseillé à chaque promoteur de bien vérifier si leurs terrains sont situés dans les périmètres des centralités, lance Katrien Kempe, la nouvelle administratrice en charge de Bruxelles et de la Wallonie à l’Upsi, l’Union professionnelle du secteur immobilier. Si ce n’est pas le cas, cela peut s’avérer problématique d’autant qu’il n’y a pas de mesures compensatoires. Pour certains, un grand travail de lobbying va devoir débuter au niveau communal…”

KATRIEN KEMPE (UPSI) “Pour certains, un grand travail de lobbying va devoir débuter au niveau communal…”
Katrien Kempe (UPSI) © PG

Tous les acteurs immobiliers passent donc pour le moment en revue leurs terrains. Avec parfois quelques surprises à la clé. “Nous sommes en effet en train de faire un screening complet, explique Eric Schartz, CEO d’Immobel Home. D’autant que nous sommes particulièrement concernés vu que nous sommes l’un des plus grands propriétaires fonciers de Wallonie, si pas le plus important.”

Un constat partagé par Sébastien Ladouce, directeur du développement pour Thomas & Piron Home, l’autre grand propriétaire foncier wallon: “Il s’agit d’un travail de longue haleine car nous possédons près de 4.000 terrains en Wallonie, rien que chez T&P Home. Tous, loin de là, ne sont pas situés dans les périmètres des centres. Certains sont situés en partie dans le périmètre et en dehors, ce qui suscite certaines interrogations. Si nous ne pouvons les développer comme nous le souhaitions, ces terrains vont subir d’importantes moins-values, ce qui va dévaloriser notre patrimoine. Cela pourrait nous pousser à accélérer l’urbanisation de ces sites. Le gouvernement a en tout cas été astucieux en mettant en place un mécanisme qui évite les indemnisations.”

“Va-t-on assister au blocage de tous les projets ou à une course à la construction ?”

Précisons que les périmètres des centralités qui sont proposés actuellement sont indicatifs et peuvent être amendés. Les édiles communaux pourront donc décider d’intégrer ou non un terrain qui est en partie situé dans une centralité. “Nous avions déjà anticipé certaines de ces mesures en vendant depuis 2020 les terrains qui nous paraissaient moins stratégiques vu qu’ils étaient situés dans des zones périurbaines, pointe Eric Schartz. D’une manière générale, les promoteurs qui ont acheté avant le covid et au prix fort des terrains en zone périurbaine seront clairement en difficulté.”

Le texte n’en est pour l’heure qu’au stade de projet. Pour certains juristes, il semble d’ailleurs encore rester quelques éléments à éclaircir. “La mise en œuvre des centralités pose question, note Katrien Kempe. La période transitoire de cinq ans interpelle également. Que va-t-il se passer? Va-t-on assister au blocage de tous les projets, à une course à la construction ou bien les lignes directrices définies dans le SDT seront-elles déjà d’application?”

Les derniers lotissements de maisons

On l’a compris, contrairement à certaines idées qui circulent parfois, cette nouvelle stratégie territoriale n’empêchera pas les propriétaires fonciers d’encore construire des maisons. Elles sont néanmoins en sursis. Les rêves de quatre façades se poursuivront jusqu’en 2050. Après, c’en sera fini. Sauf à se lancer dans des opérations de démolition/reconstruction. Précisons toutefois qu’il s’agit de cas spécifiques vu que la construction de maisons neuves est passée depuis une dizaine d’années entre les mains des promoteurs et non plus des particuliers. Un business en voie de disparition pour ceux qui n’ont pas beaucoup de foncier.

ERIC SCHARTZ (IMMOBEL HOME) “Les promoteurs qui ont acheté avant le covid et au prix fort des terrains en zone périurbaine seront clairement en difficulté.”
Eric Schartz © PG

“Nous n’aménageons pratiquement plus que des grands ensembles de deux ou trois façades, précise Eric Schartz. L’attrait pour les maisons reste très présent. Il faut se rendre compte que beaucoup de gens aspirent encore à habiter dans une maison en périphérie de la ville, à proximité d’espaces verts. Et cela ne va pas diminuer tout de suite.”

Enfin, parmi les autres craintes entendues régulièrement auprès du secteur immobilier, celles de voir le prix du foncier augmenter et donc de rendre le logement (encore) moins abordable. “J’ai quelques craintes sur l’accessibilité au logement neuf qui pourrait être plus compliqué auparavant avec cette réforme, relève Hugues Kempeneers, directeur d’Embuild Wallonie. Je crains aussi que nous assistions à une course à l’urbanisation pour les terrains mal situés dès que les centralités seront définies.”

Un son de cloche partagé par Aubry Lefebvre, administrateur délégué de Thomas & Piron Bâtiment: “Théoriquement, il devrait y avoir moins de terrains intéressants à urbaniser. La concurrence va donc augmenter car les promoteurs qui concentraient leurs activités en dehors des centres vont devoir se réorienter. Cela signifie que le prix du foncier va augmenter et donc que le prix de vente sera plus élevé. Je crains très fort ce scénario. Avec ces différentes mesures de concentration de l’habitat, on ne fait en fait que réduire le terrain de jeu de promoteurs. Et ce d’année en d’année. Je crains aussi la réaction des politiciens locaux. Rien ne dit qu’ils vont valider aisément ce texte. L’idée régionale est d’accentuer la concentration de l’habitat. Mais si les bourgmestres n’en veulent pas, nous ne pourrons pas densifier davantage dans les centres. Et on ne pourra pas non plus construire en dehors des centralités. Il y aura donc une double peine. Cette réforme encourage la rénovation plutôt que l’immobilier neuf.”

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