Un nouveau fournisseur d’énergie en difficulté: le début d’une longue série?
Après la faillite du Vlaamse Energieleverancier et de la société wallonne Energy2Business, c’est au tour du fournisseur flamand Watz de demander une protection temporaire à ses créanciers. Les experts n’excluent pas la faillite prochaine d’autres fournisseurs d’énergie en Belgique. Avis croisés des experts du secteur.
Ce lundi matin, on a appris que le fournisseur d’énergie Watz a demandé une protection temporaire contre ses créanciers. Watz n’est pas en faillite mais se déclare en difficultés financières. La société est la deuxième victime des prix élevés de l’énergie sur le marché. Tout comme Vlaamse Energieleverancier qui a été déclaré en faillite le 7 décembre, Watz ne dispose pas de sa propre production. En d’autres termes, ces entreprises doivent acheter toute l’électricité et le gaz.
“En raison de la hausse des prix de l’énergie, nous devons avancer d’énormes sommes d’argent, que nous ne récupérons que plus tard par le biais de nos factures finales“, a déclaré Gert Haubrechts, PDG de Watz, dans un communiqué de presse. “Nous devons avancer la différence entre le tarif social (un tarif plus favorable auquel 1 million de familles ont droit, nvdr) et le prix du marché. Cela représente plusieurs millions, que nous ne récupérerons auprès du gouvernement qu’en novembre 2022.”
Test Achats, l’organisation de défense des consommateurs, a demandé à six experts en énergie leurs prévisions pour l’avenir lors d’un débat. “Les prix futurs de l’électricité et du gaz sont la grande inconnue. Personne ne peut prédire comment ils évolueront“, déclare Ruben Baetens de la société 3 E.
Les fournisseurs d’énergie seront-ils plus nombreux à faire faillite à l’avenir ?
ALEX POLFLIET (Zero Emission Solutions) : “Nous ne sommes certainement pas à la fin de nos peines concernant les fournisseurs d’énergie. Or, le Vlaamse Energieleverancier avait investi massivement dans des tarifs fixes compétitifs, alors que d’autres acteurs avaient déjà abandonné les tarifs fixes. Néanmoins, des faillites pourraient encore suivre en Belgique. Je veux aussi mettre en garde contre les grands drames sociaux encore à venir. La plupart des familles ne ressentiront réellement l’effet de la hausse des prix de l’énergie que dans les mois à venir, dans le paiement de leur facture énergétique.”
Le gouvernement devrait-il mieux protéger les familles contre la hausse des prix de l’énergie ?
JORDI VAN PAMEL (Test Achats) : “Oui. Nous pensons que l’extension du tarif social aux personnes à revenu limité, qui est maintenant valable jusqu’au 31 mars, devrait être prolongé. Mais beaucoup de familles ne peuvent pas profiter de ce tarif réduit. C’est pourquoi nous plaidons pour une réduction de la TVA à 6 %, sur un taux d’énergie de base. Aujourd’hui, nous payons 21 % de TVA sur chaque élément de la facture d’électricité, y compris la plupart des prélèvements et des obligations de service public.”
RUBEN BAETENS (3E) : “Il semble logique de mettre à disposition un package énergétique de base, avec peu ou pas de taxes. En plus de ce package, des taux d’imposition progressifs pourraient alors s’appliquer. Se pose alors la question : faut-il qu’un tel package de base pour l’électricité et un autre pour le gaz naturel soient exempts de taxes ? Nous voulons toujours passer du gaz à l’électricité, et ce n’est pas la manière la plus facile de procéder.”
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KRIS BACHUS (HIVA-KU Leuven) : “Le soutien du gouvernement devrait principalement aller aux personnes qui en ont besoin. Il me semble préférable, par exemple, de donner aux 20 % des revenus les plus faibles un montant forfaitaire pour les aider à s’en sortir. Le gouvernement ne devrait pas distribuer de l’argent aux personnes qui ont une piscine chauffée dans leur jardin, par exemple. C’est de l’argent jeté par les fenêtres. Les plus hauts revenus bénéficient également d’une réduction de la TVA.”
POLFLIET : “Chaque subvention à la consommation d’énergie est une subvention de trop. Je n’ai pas non plus de formule miracle, avec tous les niveaux de pouvoir dans notre pays. Mais il faut chercher des moyens de rendre les maisons plus efficaces sur le plan énergétique. Nous devons tous utiliser moins d’énergie, et de bons incitants doivent être mis en place pour y parvenir.”
En Flandre, le gouvernement introduira bientôt une obligation de rénovation, jusqu’au label D. Une bonne chose ?
BAETENS : “Je pense que l’obligation de rénovation est bonne en soi. Mais la rénovation obligatoire jusqu’à l’étiquette D ne fera pas pression sur les prix des logements. Avec quelques astuces simples et l’installation de panneaux solaires, vous pouvez faire passer l’étiquette énergétique d’une maison de E ou F à E sans investissement ni gain énergétique important. L’objectif final doit être une maison bien isolée qui peut être chauffée avec une pompe à chaleur. Le gouvernement doit communiquer clairement sur cet objectif final, car la rénovation jusqu’à l’étiquette D est susceptible d’être une étape intermédiaire extrêmement inefficace, de sorte que les familles feraient mieux d’aller au-delà de D en une seule fois.”
En parlant de panneaux solaires, les citoyens ne sont plus aussi enclins à investir dans ces derniers, notamment dans le Nord du pays où le gouvernement flamand n’intervient plus dans cadre du compteur qui tourne à l’envers.
AELBRECHT : “Nous devons vraiment abandonner l’idée que tout investissement dans l’isolation ou l’énergie durable doit être rentabilisé en cinq, huit ou dix ans. Je ne comprends pas d’où vient cette fixation. Lorsque les gens installent une nouvelle cuisine ou une nouvelle salle de bains ou construisent une allée, personne ne se préoccupe du délai de retour sur investissement.
POLFLIET : “Je dois reconnaître ma culpabilité à cet égard. Moi aussi, j’ai longtemps insisté sur le délai de récupération des panneaux solaires et sur le fait que c’est un bon investissement, surtout en combinaison avec une pompe à chaleur. Alors que je pourrais aussi parler du confort de cette pompe à chaleur.”
En Belgique, les salaires suivent, avec un certain retard, les prix de l’indice santé. Les prix de l’électricité, du gaz et d’autres combustibles pèsent également de quelques pour cent dans cet indice.
VAN PAEMEL : “L’indexation successive des salaires devient progressivement inabordable pour les entreprises. En outre, l’indexation automatique ne compense pas suffisamment la hausse des prix de l’énergie. Une baisse de la TVA permet aux plus bas revenus, dont on sait que la facture énergétique pèse plus lourd dans le budget familial, de voir leur pouvoir d’achat augmenter. Les taxes, les prélèvements ou le financement de mécanismes de subvention n’ont pas leur place dans un projet de loi qui ne fait aucune distinction entre les personnes à hauts et à bas revenus. Il faut sortir de cette logique.”
Le gouvernement a également procédé à une réforme des taxes fédérales.
VAN PAEMEL : ” La réforme des taxes fédérales sur l’énergie en un seul droit d’accise et le gel des taxes au niveau de cette année est une bonne chose, même si l’impact sur les familles est minime. Pour une famille moyenne, la réforme représente une épargne d’environ 30 euros, ce qui est une goutte d’eau dans l’océan. À titre de comparaison : aux Pays-Bas, le cabinet a accordé une compensation de 400 euros pour une famille moyenne, via un crédit d’impôt supplémentaire et une réduction du taux d’imposition sur l’électricité en 2022.”
AELBRECHT : “Il faut considérer l’ensemble de la situation fiscale.”
BAETENS : “Il y a une interaction entre les subsides et les taxes. Aujourd’hui, nous avons des subventions pour compenser les prélèvements inefficaces. Je suis favorable à une taxe sur le CO2, qui peut être neutre sur le plan budgétaire, voire réduire les coûts. Avec une taxe efficace, on peut aussi se débarrasser de nombreuses subsides.”
AELBRECHT : “En Belgique, nous avons les taxes sur les salaires les plus élevées de toute l’Europe. C’est comme ça depuis dix ans. Tout le monde le sait. Il y a de temps en temps des défauts, dans la marge. Il n’y a pas de changement. Nous sommes les champions des réductions d’impôts mais chaque réduction doit être méritée. Nous devrions vraiment réfléchir à la manière de faire mieux fonctionner notre économie et notre société. Mais il y a peu d’intérêt politique à cela.”
BAETEN : “Beaucoup de gens se tournent vers le chauffage au bois ou aux pellets. C’est très bon marché. Il n’y a pas de taxes et le taux de TVA le plus bas s’applique. Mais la combustion du bois et des pellets est très polluante pour l’air.”
N’était-ce pas l’intention explicite de l’Europe – et par extension du reste du monde – de faire payer les émissions de CO2 et de rendre ainsi les combustibles fossiles plus chers ?
BACHUS : “Je tiens à souligner que pas un seul journaliste ne m’a appelé lorsque les prix de l’énergie étaient extrêmement bas l’année dernière. Nous devons également veiller à ce que l’énergie ne devienne pas trop bon marché. Cela ne signifie pas que les prix doivent augmenter à court terme, et nous devons faire la distinction entre l’électricité et le gaz. Pour la transition vers une énergie plus durable, il est important que les prix du gaz naturel ne baissent pas trop. Ces prix en Belgique sont parmi les plus bas d’Europe. Le rapport entre l’électricité et le gaz est erroné. Nous tenons maintenant un débat dans un contexte de prix élevés de l’énergie. Dans deux ans, les prix pourraient être à nouveau bas. Réduire simplement les impôts n’est pas une bonne idée. Nous devons parler des prix de l’énergie dans le contexte de la transition climatique. Les coûts de cette transition doivent être pris en compte.”
POLFLIET : “Les particuliers paient relativement peu pour le gaz naturel dans notre pays. Nettement moins qu’aux Pays-Bas. Et pourtant, un tiers de notre gaz naturel provient des Pays-Bas. C’est différent pour l’électricité. Les grandes entreprises paient l’électricité à peu près au même prix qu’aux Pays-Bas, en Allemagne et en France. Les petites entreprises paient plus. Ce n’est pas logique. Parce que nous sommes tous d’accord pour dire que nous devons électrifier davantage.
Les grandes entreprises, en particulier, bénéficient de remises et d’exemptions, afin de protéger leur position concurrentielle. Aux Pays-Bas, depuis 2020, les entreprises doivent contribuer davantage à la transition énergétique. La Belgique doit-elle suivre le mouvement ?
LORENZO VAN DE POL (Voka) : “On ne peut pas comparer la situation entre la Belgique et les Pays-Bas de manière univoque. Par exemple, les entreprises belges doivent déjà financer une augmentation des salaires d’environ 3,5 %, en raison de l’indexation automatique des salaires dans notre pays. Les entreprises voient également leurs coûts énergétiques augmenter, tout comme les ménages. La plupart des contrats prévoient une certaine indexation, ce qui signifie que la plupart des entreprises peuvent répercuter ces coûts plus élevés sur leurs clients. Les entreprises qui n’y parviennent pas sont en mauvaise posture. Si une entreprise opère au niveau international, avec des concurrents d’autres régions du monde qui n’ont pas vu les prix de l’énergie augmenter autant, elle doit arrêter sa production parce qu’elle ne peut plus être compétitive. Nous le voyons déjà. Aux Pays-Bas, ce sont aussi principalement les petites entreprises qui doivent payer plus, qui sont moins compétitives à l’internationale. En outre, il ne faut pas oublier qu’en termes absolus, les entreprises néerlandaises paient moins cher l’énergie que les entreprises belges.”
À quoi le gouvernement devrait-il accorder la plus grande priorité ?
POLFLIET : “Un déplacement des taxes, un déplacement des impôts, pour que l’électricité devienne moins chère que le gaz naturel.”
AELBRECHT : “Un transfert fiscal.”
BACHUS : “Un changement de taxe.”
BAETENS : “Pour dire autre chose. Supprimez l’obligation de rénovation jusqu’à l’étiquette D et remplacez-la par un objectif final.”
VAN DE POL : “Les gouvernements des différentes entités fédérées doivent bien travailler ensemble pour mener à bien la transition énergétique.”
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