Ekillibre révolutionne la cantine scolaire

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En quatre ans à peine, Ekillibre a fait souffler un vent nouveau dans les cantines scolaires. Chaque jour, plus de 20 traiteurs livrent 8.000 repas sains à 200 écoles en Wallonie et à Bruxelles. La start-up wallonne mise sur une alimentation équilibrée, des circuits courts et une accessibilité pour tous.

“En me retrouvant au cœur du système scolaire en tant que responsable financier, j’ai constaté des problèmes flagrants : la mauvaise qualité des repas proposés aux élèves et les prix élevés pratiqués par certains prestataires”, confie Benoît Leplae, fondateur d’Ekillibre. “Les jeunes se goinfraient le midi d’aliments ultra-transformés, de pizzas, de frites et consommaient beaucoup trop de viande et pas assez de légumes”, poursuit-il.

Ce constat effarant incite cet ingénieur commercial, reconverti dans l’enseignement après une carrière bancaire, à imaginer une alternative pour promouvoir une alimentation scolaire saine, savoureuse et locale. Un enjeu majeur de santé publique alors que chaque jour, près d’un écolier sur cinq en Fédération Wallonie-Bruxelles mange à la cantine, soit environ 100.000 enfants âgés de 3 à 12 ans.

La pandémie, une opportunité

La pandémie ayant contraint des milliers de traiteurs à cesser leur activité, Benoît Leplae y voit une opportunité. Pourquoi ne pas connecter ces professionnels avec les écoles ? “Je me suis rendu compte que dans chaque zone géographique, il y avait des dizaines de traiteurs qui n’avaient pas les moyens de gérer des commandes collectives. D’où l’idée de créer une plateforme logistique”, explique-t-il. En 2020, Ekillibre est lancé.

“Ekillibre fonctionne sur le principe ‘zéro coût, zéro gestion’ pour les écoles. Nous leur apportons de nombreux services comme la gestion des commandes, le traitement des factures directement avec les parents, la relation avec les traiteurs, le suivi sur le terrain”, détaille son fondateur. De leur côté, les traiteurs partenaires profitent d’un volume de commandes régulier tout au long de l’année scolaire.

“Au départ, j’ai tout lancé seul, après mes journées de travail, en mode ‘start-up dans mon garage’”, se remémore le trentenaire. La société, qui se compose aujourd’hui d’une petite dizaine de personnes, revêt également une dimension familiale. “Mon papa m’a vite rejoint pour s’occuper du démarchage commercial et des marchés publics. Mon épouse Julie joue aussi un rôle crucial en se rendant chaque jour dans les écoles. Ces retours du terrain sont précieux pour ajuster et améliorer notre offre en continu”, commente l’entrepreneur brainois.

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Un compromis entre la qualité et le prix

La start-up a mis sur pied un modèle à la fois démocratique et rentable pour les traiteurs, avec l’objectif de garantir un repas sain pour les écoliers au prix d’environ 4 euros. Et, la sauce prend. “Aujourd’hui, par rapport à des gros acteurs pour lesquels les écoles doivent aussi payer un cuisinier, nous restons compétitifs”, vante Benoît Leplae. “Nos prix standard pour une formule de repas chaud complet (potage, plat, dessert) vont de 3,95 euros pour un enfant de maternelle, à 4,95 euros pour un enfant de primaire, et 5,95 euros en secondaire. Cela reste tout à fait abordable comparé à des acteurs comme Sodexo.”

L’éventuelle augmentation de prix qu’ont dû pratiquer certains établissements a été assez bien acceptée. “En expliquant qu’il s’agit d’une nourriture plus saine et mieux réfléchie, on n’a pas eu de levée de boucliers. Les parents comprennent que payer ce prix-là pour un repas complet de ‘qualité traiteur’, c’est raisonnable. De toute façon, on ne peut pas faire moins, ni pour les traiteurs, ni pour nous, tout en dégageant une marge de 15%”, justifie Benoît Leplae.

Un cahier des charges strict

Un cahier des charges strict a été établi. Le modèle d’Ekillibre repose sur une approche à la fois nutritionnelle et logistique. Les repas doivent être préparés le jour même. Au-delà d’une nourriture saine, les traiteurs doivent proposer des plats savoureux et respecter les recommandations alimentaires reprises dans le cahier des charges de la Fédération Wallonie-Bruxelles, ainsi que les grammages préconisés par la Région wallonne en fonction de l’âge des élèves. “Chaque repas est conçu avec l’aide d’une diététicienne afin de respecter les recommandations de santé publique. Pas de sel ajouté, des portions équilibrées et des produits frais : c’est notre philosophie de base”, détaille Benoît Leplae.

Avec le risque que les plats ne plaisent pas toujours aux petites têtes blondes dont le palais est souvent habitué aux exhausteurs de goût…”Les premiers retours venaient surtout des personnes de service qui trouvaient parfois les plats fades, précise le gérant. Cela reflète l’habitude générale de consommer des aliments très salés. Pour les enfants, cela demande une adaptation. Certains sont réticents au début, mais avec le temps et une bonne communication, ils apprennent à apprécier les saveurs naturelles des ingrédients.” La preuve : après deux années de service au sein d’une école, le nombre de repas commandés augmente en moyenne de 15 à 25%.

Une mission éducative

Au fur et à mesure, les retours positifs affluent. “Les enfants apprécient les menus et les parents sont rassurés de savoir que leurs enfants mangent bien. C’est ce qui nous motive à continuer”, affirme Benoît Leplae, dont l’équipe ne se limite pas à fournir des repas. Des ateliers de sensibilisation sont aussi organisés dans les écoles pour éduquer les jeunes à de meilleures habitudes alimentaires.

Ekillibre se crée petit à petit une place de choix dans le secteur face à des mastodontes tels que Sodexo, Scolarest ou API Restauration. Avec dans la même cour de récré, TCO, un concurrent de poids. “TCO est une entreprise familiale présente depuis 30 ans. Leur idée initiale rejoint la nôtre : offrir de bons produits locaux. Mais à la différence qu’ils sont devenus une grande cuisine centrale, livrant entre 10.000 et 15.000 repas par jour. Nous misons plutôt sur des repas préparés en petites quantités, avec une logistique locale. Les plats parcourent rarement plus de 25 minutes de trajet”, commente le responsable d’Ekillibre.

Un label propre

Ekillibre a pris le parti de ne pas proposer de repas labellisés bios. “Nous ne faisons pas de bio. Ce n’est pas notre objectif. Le vrai bio, je n’ai rien contre, mais beaucoup de ces produits ne respectent pas toujours les méthodes préconisées et coûtent plus cher. Pour nous, la priorité est de garantir une qualité et un goût adaptés aux enfants tout en restant abordables.”

“Notre priorité est de garantir une qualité et un goût adaptés aux enfants tout en restant abordables.” – Benoît Leplae, fondateur d’Ekillibre

Et de pointer du doigt des fournisseurs qui mettent en avant le bio dans leurs menus sans réelle transparence. “Certains se fournissent en bio uniquement pour respecter des quotas exigés dans des marchés publics, mais pour le reste, ils continuent avec des produits standard.” Benoît Leplae dénonce un manque de pertinence : “Parfois, les critères des labels sont vraiment basiques, comme inclure deux fruits par semaine ou servir du poisson une fois par mois. Cela en devient presque risible.”

En Wallonie, les acteurs en lien avec les cuisines de collectivités qui s’engagent dans une démarche de durabilité peuvent obtenir le label Cantines Durables, grâce auquel ils peuvent bénéficier de formations. Le label Good Food est l’équivalent bruxellois. Les traiteurs partenaires d’Ekillibre pourraient obtenir sans difficulté les premiers niveaux de ces certifications, estime l’entrepreneur. Ce dernier envisage une autre manière de mettre en avant leur savoir-faire. “Un de nos projets pour 2025 est de développer un label propre avec des critères objectifs. Les traiteurs et les écoles pourraient être fiers de montrer qu’ils font partie de l’aventure.”

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Une “folle croissance”

La start-up, qui a débuté modestement avec un traiteur dans la région namuroise livrant 14 écoles, collabore aujourd’hui avec plus de 20 traiteurs et dessert près de 200 écoles, tous réseaux confondus, soit entre 15 et 20% du marché. Une progression à laquelle même son fondateur ne s’attendait pas. “Quand je me rends compte que nos 8.000 repas quotidiens pourraient nourrir tout Forest National, cela donne le vertige”, avoue-t-il.

La société connaît, selon ses propres dires, une croissance “assez folle”. Cette expansion rapide n’a pourtant pas été sans embûches. Début 2024, un des principaux traiteurs partenaires a mis fin à sa collaboration presque du jour au lendemain, ce qui a mis en péril l’approvisionnement de 1.000 repas. “Cela aurait pu être la fin d’Ekillibre, mais nous avons réussi à rebondir en diversifiant nos partenariats avec six nouveaux traiteurs.” Cette stratégie permet à l’entreprise de rester fidèle à son principe fondateur : préserver une production locale et humaine en circuit le plus court possible, loin des cuisines centrales industrielles.

L’objectif de la société pour 2025 est de doubler le nombre de traiteurs et d’étendre sa couverture territoriale. Si la Wallonie et Bruxelles – où elle a pu convaincre des établissements importants tels que l’Athénée Robert Catteau, le lycée Emile Jacqmain, le collège du Sacré Cœur de Mons, l’Inraci de Forest, ou encore le collège Jean XXIII – sont aujourd’hui les principaux partenaires, le nord de la France et la Flandre figurent parmi ses prochaines cibles. Le succès d’Ekillibre attire également l’attention d’autres collectivités. La société a été approchée par des maisons de repos, des crèches et des entreprises. “Mais nous préférons pour le moment nous focaliser sur les écoles et quelques crèches et éviter de nous disperser”, avance son patron.

“Nous répondons à un besoin sociétal crucial. Nourrir sainement nos enfants, c’est investir dans leur avenir.” – Benoît Leplae, fondateur d’Ekillibre

“Un besoin sociétal crucial”

Avec un chiffre d’affaires passé de 300.000 euros en 2020 à 2 millions d’euros en 2024, Ekillibre a été dès le début rentable, sans aucun apport d’argent propre ni levée de fonds. “Juste du capital humain”, ajoute son initiateur. La start-up s’impose désormais comme un acteur majeur de la cantine scolaire saine en Belgique. Mais, pour Benoît Leplae, l’aventure ne fait que commencer. “Nous répondons à un besoin sociétal crucial. Nourrir sainement nos enfants, c’est investir dans leur avenir”, plaide-t-il. La formule à succès a des chances d’être copiée. Le patron d’Ekillibre en est conscient. Il a déposé la marque et le concept dans toute l’Europe. La plateforme suscite déjà les convoitises. Des repreneurs potentiels se sont déjà manifestés, dont Benoît Leplae refuse (pour l’instant) les avances.

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