La rémunération des CEO devient de plus en plus complexe

Alain Mouton Journaliste chez Trends  

Le salaire médian des PDG des entreprises du Bel-20 a encore augmenté entre 2021 et 2022, selon l’étude salariale de la Vlerick Business School. La composition des packages de rémunération devient également de plus en plus complexe.

La rémunération médiane du CEO d’une entreprise du Bel-20 est passée de 2,430 millions d’euros à 2,701 millions d’euros entre 2021 et 2022. Dans les petites entreprises Bel Mid et Bel Small, le package de rémunération du CEO n’a pratiquement pas changé, ou a légèrement diminué. Pour la Bel Mid, elle est passée de 908.115 euros en 2021 à 868.303 euros en 2022, pour la Bel Small de 587.482 euros à 579.692 euros.

C’est ce qui ressort de l’étude annuelle de l’Executive Remuneration Research Centre de la Vlerick Business School, dirigée par le professeur Xavier Baeten. Ce centre examine les politiques de rémunération des plus grandes sociétés cotées en bourse en Europe, y compris les sociétés belges. Pour Baeten il s’agit plus d’un retour à la normale après l’année 2020 qui a vu chuter la rémunération médiane des PDG des entreprises du Bel-20 à moins de 2 millions d’euros, que d’une réelle évolution.

Il existe de grandes différences entre les salaires les plus élevés des entreprises du Bel-20. Pour le quart le mieux payé (soit cinq PDG), la rémunération totale s’élevait à 5,3 millions d’euros l’année dernière. Pour les cinq PDG les moins bien payés, elle s’élevait à 1,3 million d’euros. La rémunération totale des PDG des plus grandes entreprises belges cotées en bourse est légèrement supérieure à celle de leurs homologues néerlandais (2,584 millions d’euros), mais reste nettement inférieure à celle de leurs homologues britanniques (4,1 millions d’euros).

L’Allemagne remporte la palme avec une rémunération médiane totale de 4,7 millions d’euros pour un PDG d’une grande entreprise cotée en bourse. “C’est frappant parce qu’en Allemagne, il y a la Mitbestimmung, ce qui signifie que les employés sont représentés au conseil de surveillance. Mais cela n’empêche apparemment pas les entreprises d’accorder des rémunérations relativement élevées”, explique Xavier Baeten.

Les stock-options restent très populaires

Comme à l’accoutumée, l’enquête examine également de plus près les composantes du paquet salarial, telles que le salaire de base, les primes à court terme (performance sur un an) et les incitants à long terme (Long Term Incentives ou LTI). En Belgique, il s’agit par exemple d’options sur actions. En outre, il existe ce que l’on appelle les “performance shares”. Le CEO reçoit alors des actions en fonction de la réalisation de certains objectifs.

Xavier Baeten note aussi quelque chose de plus surprenant. Pour les CEO d’une entreprise du Bel-20, le salaire de base médian a en moyenne légèrement augmenté, passant de 693.588 euros à 737.588 euros. Il en va de même pour les primes à court terme (de 557 900 euros à 682 905 euros). Les LTI, en revanche, ont, eux, diminué : de 2,1 millions à 1,4 million d’euros.

Les options sur actions sont déjà la forme la plus populaire d’incitation à long terme en Belgique. La moitié des sociétés cotées en bourse en accordent à leur PDG. “J’oserais presque dire que c’est dommage”, affirme M. Baeten. “Les études montrent que les stock-options donnent lieu à des comportements plus risqués. Les “performance shares” sont en hausse : 27 % des entreprises les incluront dans leur rémunération d’ici à 2021, contre 44 % aujourd’hui. Dans de nombreux cas, un objectif est fixé pour le cours de l’action d’ici trois ans.

Si cet objectif est atteint, le PDG reçoit un paquet d’actions. Il peut les monétiser après quelques années”. Une troisième forme de LTI est celle des “restricted stocks” : les entreprises donnent des actions au PDG à la condition qu’il ne puisse les monétiser qu’au bout d’un certain nombre d’années. Ces actions sont considérées comme un moyen de garder les cadres supérieurs à bord.

Les incitations à long terme sont remarquablement élevées dans les entreprises du Bel-20 : le ratio LTI/salaire de base peut atteindre 219 %. Dans le Bel Mid et le Bel Small, ce ratio est respectivement de 42 % et de 33 %. Baeten : “Beaucoup pensent que c’est normal, mais j’ai des doutes à ce sujet. Dans une entreprise Bel-20, le salaire de base est déjà plus élevé et le LTI l’est encore plus.

L’enquête montre que l’attribution de primes à court terme et de LTI est largement déterminée par la réalisation d’objectifs financiers tels que l’ebit, l’ebitda, le flux de trésorerie, la rentabilité relative et les chiffres de vente. Le critère le plus populaire pour les LTI (58 % des entreprises) est le rendement total pour l’actionnaire (Total shareholder return ou TSR). Il s’agit du montant total qu’un investisseur retire des actions d’une entreprise, en particulier de l’évolution du cours de l’action et du paiement des dividendes. “Nous constatons avec consternation que le TSR est l’indicateur clé pour déterminer la rémunération variable. Or selon les recherches, ce n’est pas le meilleur choix”, déclare M. Baeten, critique.

Critères ESG

Outre les critères financiers, les critères de durabilité jouent un rôle de plus en plus important dans la détermination de l’enveloppe de rémunération. Il s’agit d’atteindre les objectifs ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance). “Certaines entreprises restent vagues à ce sujet dans leur rapport de rémunération, d’autres sont très détaillées”, observe Xavier Baeten. “Les entreprises belges ne sont certainement pas à la pointe dans ce domaine. Nous examinons dans quelle mesure des mots tels que réduction du CO2, réduction de la consommation d’eau, diversité, sécurité, philanthropie, contrôle des droits de l’homme dans la gestion de la chaîne d’approvisionnement apparaissent”.

Pour les primes à court terme, seules 6 % des entreprises incluent des critères relatifs à l’environnement. Seules quatre entreprises font dépendre les primes à long terme de la réalisation d’objectifs environnementaux. “C’est là que les entreprises ont encore du chemin à faire. Dans zéro pour cent des cas, l’attention portée à la biodiversité et à la circularité fait partie des incitants salariaux. Ce qui ne nous empêche pas d’avoir des exemples inspirants en Belgique. Le plan de bonus de Barco est très concret à cet égard.”

Inquiet

L’enquête de la Vlerick Business School comporte une nouveauté : l’analyse de la complexité des packages salariaux. “Depuis l’année dernière, nous avons vu de plus en plus d’articles sur ce sujet dans la presse spécialisée. Les PDG eux-mêmes ont admis qu’il était parfois compliqué pour eux d’évaluer la valeur réelle de leur package salarial”, explique Marthe Van Hove de la Vlerick Business School. Ces recherches ont permis d’établir un score de complexité pour chaque entreprise. Chaque type de rémunération se voit attribuer une note. Il s’agit des classiques tels que le salaire de base, les primes, les incitants, mais aussi ce que l’on appelle dans le jargon bonus deferral. Cela signifie qu’une prime, par exemple, est payée à 40 % maintenant et les 60 % restants dans les années à venir. La complexité de la rémunération s’en trouve accrue. Elle prend également en compte le nombre de critères et d’objectifs ESG.

Marthe Van Hove : “En 2020, le score moyen de complexité était de 0,19, puis il est passé à 0,41 en 2021 et à 0,46 en 2022. Les parties prenantes sont de plus en plus préoccupées par cette question. Récemment, des investisseurs institutionnels ont mis en garde dans le Financial Times contre la complexité excessive des rémunérations. Il devient de plus en plus difficile pour les investisseurs de comprendre comment les rémunérations ont été calculées, alors que la transparence à ce sujet est plus demandée qu’auparavant”. L’ajout de critères non financiers, tels que les normes ESG, joue notamment un rôle à cet égard. Ils ne sont pas toujours clairement définis.

Les entreprises du secteur de l’énergie, avec un score de 0,7, se situent bien au-dessus du score moyen de complexité. Elles doivent également inclure beaucoup plus de critères environnementaux dans la détermination de l’enveloppe salariale. Le secteur alimentaire se situe également au-dessus de cette moyenne. Les scores de complexité des entreprises du secteur des TIC et du secteur immobilier sont inférieurs à la médiane.

“La complexité est plus élevée dans les entreprises où le poids de la rémunération variable est plus important”, explique Marthe Van Hove. “Il en va de même pour les entreprises dont l’actionnariat est largement détenu par des investisseurs institutionnels. Lorsqu’une entreprise n’a qu’un propriétaire, le système de rémunération est plus simple. En effet, les investisseurs institutionnels ont moins de temps pour voir ce qui se passe dans une entreprise et élaborent donc un package complexe avec de nombreux critères. Tandis qu’un propriétaire unique passera plus de temps avec son PDG. Cela a un impact sur la façon dont le package salarial est constitué.

Un système de rémunération complexe ne semble cependant pas avoir d’effet négatif sur les performances à court terme d’une entreprise. Il en a par contre après trois ans. “Ce qui est tout de même un avertissement aux conseils d’administration. Ils devraient prendre en compte cette complexité dans leur prise de décision”, conclut Van Hove.

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