Un bon manager est un manager vert

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Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Les entreprises sont loin de réaliser tous les investissements rentables qu’elles pourraient effectuer pour réduire les émissions carbone. Davantage de régulation et de pression sur le management peuvent dès lors déboucher sur une économie plus efficace, observe Frank Venmans (London School of Economics)

Comment les entreprises vont-elles mener la transition énergétique ? C’est une des questions qui seront abordées par le Congrès des économistes qui se tiendra à Charleroi le 16 novembre. Cette thématique sera abordée dans une commission présidée par Frank Venmans, qui professe à la London School of Economics qui observe que le marché des permis d’émissions existe depuis 2005 en Europe et que les grands industriels belges ont déjà réduit leurs émissions de gaz à effet de serre de 40%.

 Pour le moment, en Europe, note Frank Venmans, cette transition a  très peu d’effet sur la compétitivité.  « Il y a beaucoup de mesures différentes de la compétitivité. J’ai fait moi-même fait partie d’une étude avec des coauteurs de l’OCDE. C’est la plus grande étude sur l’effet du marché carbone européen sur la compétitivité, et qui a observé une augmentation du chiffre d’affaires, une augmentation des « fixed assets » c’est-à-dire de la valeur des installations et un effet nul au niveau de l’emploi et du nombre de faillites ».

Un incitant à l’innovation

Un résultat étonnant à première vue, car intuitivement, on pourrait penser que la transition énergétique demande un effort supplémentaire aux entreprises européennes et les met en situation de concurrence défavorable. Alors, pourquoi cette résilience ? « C’est un grand débat, répond Frank Venmans. Intuitivement, on dirait en effet que comme on ajoute des coûts aux entreprises, elles préféreraient partir. Mais en économie environnementale, il y a une théorie inverse qui est de dire que via la transition, on impose des innovations, et  sur le long terme, ces entreprises forcées à innover deviennent plus  compétitives ».

Un exemple historique avancé par l’économiste est celui de l’agriculture néerlandaise. « Elle a été relativement sévèrement régulée par rapport à d’autres compétiteurs, ce qui a eu pour résultat de créer un secteur très intensif en capital, très innovant et finalement très compétitif.

En Belgique, Frank Venmans a étudié le secteur des producteurs de chaux, de ciments et de briques et son attention s’est centrée sur l’ « Energy Efficiency Gap », autrement dit pourquoi certains investissements rentables ne sont pas réalisés.

« On peut s’imaginer plusieurs barrières à l’investissement. L’une peut être que certaines entreprises ont des disponibilités du capital ou d’emprunt limitées, dit-il. Mais ce n’était pas un élément très important dans mon étude. Ce qui importait davantage était le conflit d’intérêts entre actionnaires et managers. Les actionnaires sont intéressés par le rendement. Les dirigeants sont intéressés par la taille ».

Actionnaires contre managers

Ce conflit d’intérêts s’observe surtout dans les grands groupes, qui ont évidemment tendance, quand ils doivent restructurer, à fermer les sites les plus vétustes. Pour prévenir ce danger, « le manager a donc intérêt à moderniser son site ou sa branche locale. Cela incite à proposer des investissements avec des calculs de rentabilité plutôt optimistes », explique l’économiste.  Évidemment, la maison mère et les actionnaires s’en rendent compte et rationnent le capital qui ne sera pas suffisant pour couvrir tous les investissements qui auraient été rentables. « Les managers interrogés me disaient que les investissements qui n’étaient pas remboursés en 3 ou 4 ans, donc qui ne rapportaient pas au moins 20% de rentabilité n’étaient pas effectués, alors même qu’il existait une marge pour investir davantage et avoir un meilleur taux de profitabilité. »

Un écart significatif

« Mais si la régulation intervient et impose davantage d’investissements, on pourrait aller vers l’optimum où tous les investissements rentables seraient réalisés. Si la régulation résout ce conflit d’intérêts, qui est normal entre actionnaires et dirigeants, on peut s’imaginer que les entreprises deviennent plus efficaces », poursuit Frank Venmans qui observe que l’écart entre les investissements vraiment effectués et ceux qui pourraient l’être est assez élevé.

Le politique est d’ailleurs au courant de cela. « Les deux régions, la Flandre et la Wallonie ont lancé des programmes, sur base volontaire, pour inciter les entreprises à réaliser des investissements en efficacité énergétique rentables. Il y a des moyens d’investir plus (dans la transition) sans que cela coûte à l’entreprise ».

Un bon manager est un manager vert

D’ailleurs on observe, et c’est une autre étude qui sera présentée le 16 novembre, que l’investissement rentable dans la transition est lié à la qualité du management de l’entreprise. Pour faire simple, un bon manager réduira les émissions de carbone et augmentera la productivité. Les deux sont corrélés. Un manager vert semble donc être un meilleur manager. « Les auteurs de l’étude ont  regardé quelle importance le manager accorde à connaître et à suivre les coûts d’énergie, à les intégrer dans son tableau de bord. Et il y a effectivement une corrélation avec la qualité générale du management. C’est d’ailleurs relativement intuitif : les managers, en incluant les coûts énergétiques dans  leurs objectifs, en arrivent à réduire les coûts de l’entreprise et donc à en augmenter la performance environnementale ».

« C’est un des mécanismes qui expliquent pourquoi parfois  dans un contexte avec davantage de régulation, avec une certaine pression extérieure sur le management, on peut obtenir une économie plus efficace », observe Frank Venmans qui note toutefois qu’il faut une transition douce. Il ne faut pas créer de brusques chocs régulatoires qui pourraient déstabiliser les entreprises.

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