Liège, Charleroi: le défi vert des aéroports wallons
La Sowaer, qui possède les infrastructures aéroportuaires de Liège et de Charleroi, devra en faire plus pour préserver l’environnement. C’est la volonté de l’exécutif wallon, qui tarde cependant à préciser ses objectifs.
Les temps sont devenus plus compliqués pour les aéroports. Après la chute des vols au plus fort de la pandémie, les préoccupations autour des émissions de CO2 ont pris de l’ampleur. Cela concerne les grands aéroports wallons, propriétés de la Sowaer (Société wallonne des aéroports), entreprise publique basée à Namur. Elle fait moins parler d’elle que les sociétés d’exploitation Liege Airport et BSCA (Brussels South Charleroi Airport) mais c’est elle qui entretient et développe les infrastructures directement liées à l’activité aérienne. Elle dépense 30 à 40 millions d’euros dans la maintenance et a investi 40 millions dans la prolongation de la piste à Charleroi.
Le renouvellement du permis d’environnement de l’aéroport de Liège inclut un plafonnement à 50.000 mouvements par an, ce qui s’apparente à un gel de l’activité.
En juillet dernier, un nouveau contrat de gestion a été signé avec le gouvernement wallon. Le rôle de la Sowaer a été étendu. Celle-ci a notamment une nouvelle mission: examiner la manière dont les plateformes aéroportuaires pourraient être plus durables, en ligne avec l’objectif d’une décarbonation d’ici 2050. “Nous avons carte blanche, un mandat assez large, déclare Nicolas Thisquen, CEO de la Sowaer. Nous devrons faire un rapport au gouvernement.”
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Réduire les émissions
C’est un nouveau sujet pour la Sowaer. A l’origine, la société, propriété de la Région wallonne, a parmi ses missions celle de mettre en place des mesures pour atténuer les effets du bruit, en rachetant ou en isolant phoniquement des logements situés dans les périmètres les plus affectés, les zones PEB (plan d’exposition au bruit). La lutte contre les émissions de CO2 est une nouvelle perspective. Elle est, du reste, devenue un argument pour les riverains qui s’opposent aux aéroports wallons. L’administration wallonne semble avoir pris en compte cette problématique dans le renouvellement du permis d’environnement de l’aéroport de Liège, qui inclut un plafonnement à 50.000 mouvements par an, ce qui s’apparente à un gel de l’activité car Liege Airport tourne autour des 45.000 mouvements par an actuellement. Un mouvement est un décollage ou un atterrissage. L’opérateur de l’aéroport a introduit un recours. Son plan stratégique Vision 2040 prévoit un doublement du trafic à l’horizon 2040 et 70.000 mouvements. Des riverains, de leur côté, ont introduit un recours pour des raisons inverses, contestant le renouvellement du permis. Au total, 17 recours ont été introduits, dont un de la Région flamande. Ils devraient être examinés vers la fin de l’année par l’exécutif wallon. Sur le sujet, la Sowaer, qui est actionnaire de Liege Airport, se montre plus que prudente. “Nous ne prenons pas position sur la question, c’est le gouvernement qui décidera”, indique Nicolas Thisquen, qui relève que le gouvernement wallon (PS-MR-Ecolo) a parlé d’un plafond de 60.000 mouvements alors que le nouveau permis d’environnement de Liege Airport délivré par l’administration wallonne le fixe à 50.000. Le ministre de l’Environnement wallon, Philippe Henry (Ecolo), a aussi déposé un Plan Air Climat que l’exécutif devra discuter et qui inclut notamment un plafonnement des activités des aéroports. Il vise à réduire de 30% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990).
“Si demain matin le trafic aérien devait décroître…”
Cette tendance au plafonnement fait son chemin. Les déclarations sur BFM d’Augustin de Romanet, CEO d’Aéroports de Paris (ADP), qui est aussi actionnaire de Liege Airport, ont fait quelques vagues. Il invite le citoyen à “être aussi raisonnable que possible dans ses comportements” de voyages aériens dans les années à venir “avant que nous ayons – ce qui sera le cas dans 30 ans – des avions propulsés soit à l’électricité, soit à l’hydrogène, soit avec des carburants durables faits à partir d’électricité verte”. Il ajoute: “Si demain matin le trafic aérien devait décroître, ce n’est pas une tragédie existentielle pour nous”.
Nous n’avons jamais vu l’aérien comme un transport qui allait écraser les autres moyens de déplacement.
Nicolas Thisquen, CEO de la Sowaer
La Sowaer est-elle aussi “confortable” avec une éventuelle décroissance du trafic? “C’est ce qui se passe depuis plusieurs années à Charleroi avec le covid et, depuis peu, à Liege Airport, on se dirige vers une décroissance, poursuit Nicolas Thisquen. Nous n’avons jamais vu l’aérien comme un transport qui allait écraser les autres moyens de déplacement.” Il reste qu’un recul durable du trafic à Charleroi pourrait poser un problème financier à l’opérateur, BSCA. Il était en légère perte en 2019, avec 8,2 millions de passagers, record historique avant la pandémie. Il est en restructuration financière.
Il faut voir l’aérien dans une perspective de multimodalité.
Laurent Blanchart, président de la Sowaer
“Il faut voir l’aérien dans une perspective de multimodalité”, déclare Laurent Blanchart, nouveau président de la Sowaer. Celui qui est également patron du TEC à Charleroi, qui a naguère travaillé à l’aéroport de Charleroi, connaît bien la question de la multimodalité. Il est en première ligne, tant côté Sowaer que du TEC, pour la mise en place de lignes de bus reliant l’aéroport de Charleroi aux gares de Fleurus et de Luttre/Pont-à-Celles. “Ces connexions seront mises en place en 2023 et encourageront à venir à l’aéroport en train plutôt qu’en voiture”, estime Laurent Blanchart.
Nouveaux carburants
Dans sa nouvelle mission de durabilité, la Sowaer examinera les pistes à développer, avec les sociétés exploitantes Liege Airport et BSCA. Parmi elles figure l’utilisation des carburants alternatifs, les SAF (Sustainable Aviation Fuels) que l’Union européenne va rendre obligatoires, avec une proportion de minimum 2% (dilués dans le kérosène) en 2025, 6% en 2030, et ainsi de suite jusque 63% en 2050. Ces carburants alternatifs vont contribuer à réduire les émissions de CO2 très progressivement en attendant des avions électriques ou à motorisation à hydrogène qui arriveront d’ici trois décennies. Ces carburants SAF ne pourront pas être tirés de l’huile de palme mais devront être issus de productions qui ne concurrencent pas les cultures alimentaires, ou des déchets forestiers ou des cultures de zones sur jachères. “Nous sommes mandatés pour développer la filière des SAF, confirme Nicolas Thisquen. Nous souhaitons aller au-delà des obligations européennes.” Actuellement, l’usage des SAF est encore très réduit en Wallonie, “il est infinitésimal”. La Sowaer ne produira pas de SAF mais pourrait faciliter, avec les opérateurs des aéroports, l’approvisionnement aux compagnies aériennes. Notamment à Liege Airport via un pipeline qui passe près de l’aéroport.
Recyclage d’avions
Une des opérations soutenues par la Sowaer est la création d’une activité de recyclage d’avions à l’aéroport de Charleroi, dans le cadre du plan européen de relance. Un appel d’offres a désigné un candidat opérateur: le consortium Sabena Aerospace/Groupe Comet. Un terrain en bord de piste, appartenant à la Sonaca, sera utilisé pour le hangar et le tarmac où seront démontés les avions en fin de vie. Certaines pièces, reconditionnées, pourront être réutilisées. La Sowaer va construire une dalle et une bretelle pour relier la piste de l’aéroport au site de démontage. Tout devra aller assez vite car le plan de relance européen ne finance que des opérations démarrant en 2026 au plus tard.
Une réponse aux critiques
C’est sans doute une réponse aux critiques sur les émissions des vols, notamment par le professeur de l’ULiège, Pierre Ozer, dans un rapport titré: “Les émissions de CO2 à Liege Airport explosent et annulent la totalité des efforts wallons de réduction de dioxyde de carbone“, publié en 2021. Le climatologue critiquait le fait que les aéroports ont une vue limitée d’une politique vers le zéro émission et ne parlent que d’une action sur leurs infrastructures en “oubliant” les émissions produites par les vols. Or, à Liege Airport, le trafic a fort augmenté avec la pandémie en 2020 et 2021.
La Sowaer pourrait faciliter, avec les opérateurs des aéroports, l’approvisionnement des compagnies aériennes en carburants alternatifs.
D’autres missions environnementales ont été confiées à la Sowaer dans le cadre du nouveau contrat de gestion. Celle existante, portant sur le bruit, a été renforcée. La Sowaer, depuis sa création, remplit une mission de la Région qui donne droit aux habitants de certaines zones fort affectées par le bruit des avions d’obtenir le rachat de leur logement, s’ils le souhaitent, ou son isolation. Ces zones sont appelées zones A, B, C et D, par ordre décroissant d’intensité du bruit. Elles sont revues tous les trois ans. La dernière mouture a été publiée en juin dernier. Le bruit est contrôlé par un réseau de 33 sonomètres et les données sont accessibles sur une application. La nouveauté est que la Sowaer peut organiser des mesures hors de ces zones. “Nous étions peu outillés quand les communes situées hors du PDLT (Plan de développement à long terme) des aéroports nous interpellaient. Waremme, par exemple”, explique Nicolas Thisquen. La Sowaer disposera d’outils mobiles pour aller relever le bruit hors du périmètre qu’elle surveille avec des dispositifs fixes. “Des centaines de campagnes se feront, suivant le principe de l’égalité. C’était dans les projets depuis quelques années.”
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“On ne minimise pas”
Pour compléter le panorama des nouvelles missions, on peut ajouter celle qui concerne la mesure de la qualité de l’air. Cet aspect n’avait pas été prévu dans les précédentes missions de la Sowaer. “Nous allons généraliser des mesures et les rendre publiques, en toute transparence”, assure Nicolas Thisquen. Celles sur l’aéroport de Charleroi sont déjà disponibles. “C’est dans notre intérêt, on ne pourra pas nous reprocher de cacher certaines choses”, lâche le patron de la Sowaer. C’est qu’au travers d’associations ou de regroupements comme le CLAP ou Stop Alibaba, les oppositions aux aéroports, en particulier à Liege Airport, sont de plus en plus vives. Et le bruit n’est plus le seul sujet de mécontement: il y a les émissions de CO2, la lutte contre la mondialisation… La pression politique est plus forte, aussi, et le consensus autour du développement des aéroports wallons plus fragile. Nicolas Thisquen tempère le poids de ces oppositions très bruyantes sur les médias sociaux. “Nous avons enregistré 42 plaintes à Charleroi en 2021, 1.900 pour Liège. C’est bien moins qu’à Brussels Airport (22.000 plaintes en 2021, Ndlr), dit-il. On ne minimise pas mais les soucis sont confinés. Le plan d’accompagnement environnemental porte ses fruits, le modèle est robuste, il ne demande qu’à l’être plus encore avec les nouvelles missions que nous avons reçues.”
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