Thorsten Lange (Neste): “Pour des vols commerciaux alimentés à 100% par du carburant renouvelable, il faudra 5 à 10 ans de tests et de certifications”

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Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

L’Union européenne va imposer l’usage de carburants renouvelables pour réduire les émissions de CO2. Thorsten Lange, responsable de ce type de carburant chez Neste, estime qu’il y a moyen d’aller plus vite que les obligations en cours d’adoption.

La seule manière de réduire les émissions de CO2 pour les avions est l’usage de carburant “durables”, SAF (Sustainable Airlines Fuel), qui permettent en théorie de réduire les émissions de 80%. Le “zéro émission” pourrait être atteint avec l’hydrogène, mais il faudra quelques décennies avant d’y arriver. Alors le SAF reste la solution utilisable immédiatement, mais tout de même progressivement. Il coûtera 3 à 5 fois le prix du kérosène. Neste est un pétrolier finlandais qui s’est quasi totalement reconverti aux carburants renouvelables.

Trends Tendances.En juin dernier, vous avez pu faire voler un avion alimenté à 100% par du carburant renouvelable. Est-ce que l’on verra bientôt des vols alimentés totalement avec ce type de carburant ?

Thorsten Lange. Pour imaginer des vols commerciaux alimentés à 100% par du carburant renouvelable, il faudra 5 à 10 ans de tests et de certifications avant qu’un SAF (sustainable airlines fuel) soit qualifié pour des avions commerciaux (1). Par ailleurs, passer à 100% même à 50% du carburant en SAF est un défi pour les compagnies car il faut faire passer le coût aux passagers. Il faudra une approche progressive : 2%, 6%, …

Une directive en cours de finalisation, Refuel EU, prévoit l’obligation d’incorporer progressivement du carburant renouvelable : 2% des pleins d’avion en 2025, 6% en 2030, et ainsi de suite, jusqu’à 63% en 2050. Qu’en pensez-vous ?

C’est bien, cela va dans la bonne direction, même si nous souhaitions des objectifs plus ambitieux. Nous pourrions déjà arriver à 3% dès aujourd’hui (actuellement les carburants renouvelables ne représentent guère que 0,5% des pleins ndlr).

Un des gros soucis est le coût des carburants renouvelables. Au moins trois fois le prix du kérosène. Est-ce que ce tarif va reculer dans le futur ?

C’est vrai, les SAF sont plus chers. A cause du prix des matières premières utilisées, les huiles de cuisson, les graisses animales, et d’autres déchets végétaux. Leur coût augmente du reste.

Vous voulez dire que l’écart ne se réduit pas entre le kérosène, dont le tarif a augmenté, et celui des carburants renouvelables, ou SAF ?

Non, mais le prix des carburants fossiles devra supporter le coût de son émission, ce qui devrait réduire l’écart.

Le SAF coûte “3 à 5 fois le prix du kérosène”

Thorsten Lange (Neste):
Thorsten Lange (Neste): “Pour des vols commerciaux alimentés à 100% par du carburant renouvelable, il faudra 5 à 10 ans de tests et de certifications”© pg

Quel est le tarif des SAF ? Plus de 2000 dollars la tonne (vs 1000 dollars la tonne pour le jet fuel) ?

Je préfère ne pas parler du prix, mais d’un multiple : 3 à 5 fois le tarif du kérosène. Dans le futur nous espérons pouvoir utiliser d’autres sources de matières premières pour suivre la demande. La nouvelle directive devrait le permettre. Je ne sais pas si les prix reculeront, en tous cas cette élargissement des sources d’approvisionnement devrait éviter qu’ils ne montent.

Vous allez augmenter la production de carburant renouvelable pour avion dans quelles proportions, notamment avec un investissement à Rotterdam ?

Nous allons multiplier par plus de 10 la production dans les 15 prochains mois, de 100.000 tonnes et 1,5 million de tonnes.

Neste représente un tiers du marché

Quelle est votre part de marché ?

Nous produisons 100.000 tonnes sur un marché global actuel de 300.000 tonnes. Nous allons renforcer cette part et arriver sans doute 2,2 millions de tonnes dès 2026.

Malgré la concurrence ?

Nous aimerions avoir plus de concurrence. Nous ne pouvons affronter le challenge des carburants renouvelables dans l’aviation qu’ensemble, l’industrie doit apporter la preuve qu’il y a moyen de voler plus durable. Il y a des annonces du reste. Le nouveau cadre européen encourage désormais aussi les compagnies pétrolières traditionnelles à investir.

Quel est le marché potentiel ?

Si vous regardez les objectifs européens de blend (mélange de carburant renouvelable SAF dans le kérosène ndlr) on devrait arriver à 10 à 12 millions de tonnes en 2030.

Le carburant renouvelable dans les pipe-line

N’est-ce pas compliqué de distribuer le carburant SAF dans les aéroports, où il est encore peu disponible ?

Ce n’est pas si compliqué que certains le pensent. Le SAF peut être distribué comme un autre carburant, il n’y a pas de raison de le traiter séparément. Il se distribue comme du fuel d’aviation. On peut même envoyer le carburant mélangé avec du SAF à travers un réseau de pipe-line en Europe, CEPS, qui passe par Amsterdam, Francfort, ne passe pas loin de Bruxelles. De mon point de vue, il suffit d’amener le carburant mélangé dans une seule plateforme aéroportuaire importante par pays.

Il n’est pas nécessaire de faire le mélange sur le site des aéroports ?

Non, et ce n’est pas autorisé pour le moment. Il est plus économique de centraliser ce travail.

Où faites-vous le mélange SAF/kérosène ?

Dans nos installations à Gand.

(1) Les essais ont été réalisés avec le constructeur ATR et la compagnie suédoise Braathens Regional Airlines. ATR indique dans un communiqué publié en juin que l’objectif est d’obtenir une certification en 2025 pour des vols à 100% en carburant renouvelable.

Propos recueillis par Robert van Apeldoorn

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