“L’IA ne présente pas de menace réelle pour le travail d’un avocat”

La révolution ChatGPT est en marche dans de nombreux secteurs professionnels. Le cabinet réputé d’avocats Allen & Overy (A&O) vient d’adopter un nouvel outil – surnommé Harvey – sur le modèle du robot conversationnel. Il a pour but d’assister les avocats dans divers aspects de leur travail juridique. Deux de ses avocats expliquent à Trends Tendances leur expérience depuis l’arrivée de l’IA dans leur pratique quotidienne.

Après une phase d’expérimentation lancée en novembre dernier, l’outil d’intelligence artificielle Harvey, une version améliorée de ChatGPT adaptée au secteur juridique, est déjà intégré dans la pratique quotidienne des avocats du bureau international Allen & Overy  – ils sont plus de 3.500 à travers le monde –  et cela en à peine quelques semaines. L’utilisation du robot ne nécessite en effet aucune formation particulière, il est très intuitif.

Le retour d’expérience est plutôt positif. « Nous sommes très enthousiastes à utiliser cet outil au sein d’A&O », avance Peter Van Dyck, partner spécialisé dans les droits de propriété intellectuelle, les technologies de l’information et la protection des données, au sein du cabinet bruxellois. « Nous sommes assez surpris de ce que Harvey arrive à faire. On n’imaginerait pas se passer de lui aujourd’hui. C’est une vraie révolution comme l’arrivée d’Internet », explique-t-il.

On n’imaginerait pas se passer de Harvey aujourd’hui. C’est une vraie révolution comme l’arrivée d’Internet

Peter Van Dyck

Partner chez Allen & Overy

En Belgique, environ 80 avocats utilisent déjà Harvey. Peter Van Dyck donne quelques exemples concrets de l’utilisation du robot conversationnel dans sa pratique quotidienne. Notamment à travers un litige récent assez important en matière de brevet dans le domaine de la propriété intellectuelle. « Dans le cas d’un litige sur l’interprétation d’une règle en droit belge, Harvey a fait des recherches sur la jurisprudence de ces règles dans un certain nombre de juridictions à travers le monde. Il a donné des cas pertinents et assez prometteurs de l’interprétation de ces règles en Belgique, mais aussi dans l’UE et en dehors. »

Ces résultats sont alors vérifiés en collaboration avec ses collègues pour une recherche plus approfondie. Sans l’aide de l’intelligence artificielle, pour obtenir les premiers résultats de cette analyse comparative de nombreux régimes juridiques, l’avocat estime que ce travail lui aurait pris 3 à 4 fois plus de temps.

Rapidité et efficacité

« Dans le passé, nous aurions fait la comparaison avec seulement quelques pays. Ici, la recherche comparative a été élargie à de nombreux autres pays grâce à Harvey. C’est aussi une question d’efficacité, mais aussi de qualité dans le premier filtrage », commente Peter Van Dyck.

L’avocat spécialisé en Legal Tech donne un autre exemple dans le domaine des contrats et des licences de technologie, où des contrats déjà rédigés sont souvent utilisés comme base de travail. « Harvey peut nous fournir quelques exemples de clauses alternatives pour un contrat. C’est comme si on avait sous la main la plus grande base de données de contrats au monde. Il est possible de voir si des clauses alternatives fonctionneraient mieux ou si le contrat déjà existant peut être amélioré », explique-t-il. « Notre travail contractuel est de cette manière amélioré ». 

A la question délicate de savoir si Harvey pourrait à l’avenir remplacer certaines fonctions dans le secteur juridique, Peter Van Dyck se montre rassurant. « Ce sont souvent les tâches les plus banales que Harvey peut faire, mais le travail à valeur ajoutée reste bien dans les mains de l’avocat », explique-t-il.

Le devoir professionnel de nos avocats est de triplement checker leur travail

Stéphanie Dalleur, Head of Know-How d’Allen & Overy en Belgique, est du même avis : « La valeur ajoutée de Harvey, c’est de nous faire gagner énormément de temps, soit pour prémâcher notre travail ou pour vérifier un premier brouillon et explorer d’autres pistes proposées par l’IA. C’est toujours en complément du travail de l’avocat, ce n’est jamais le travail sur lequel il se basera directement. Nous le voyons davantage comme un copilote que comme un autopilote. Harvey est là pour supplémenter, faciliter et prémâcher des tâches assez simples et permet de travailler dans énormément de juridictions et de langues différentes. Mais cela vient toujours en complément, il n’y a pas de menace réelle pour le travail de l’avocat. On ne peut pas se baser uniquement sur Harvey pour avoir la réponse à un problème juridique compliqué. »

On ne peut pas se baser uniquement sur Harvey pour avoir la réponse à un problème juridique compliqué.

Stéphanie Dalleur

Head of Know-How d’Allen & Overy Belgique

Si le robot fait gagner du temps précieux aux avocats, Stéphanie Dalleur insiste sur le fait que toutes les sources qu’il leur fournit doivent être scrupuleusement vérifiées. « Harvey nous permet d’avoir un genre de brainstorming très accéléré qui nous donne de nombreuses idées à confronter à nos propres idées, mais le travail de recherches doit toujours être fait par les avocats. »

L’outil permet également de gagner énormément de temps dans la structuration de présentations en fonction de certains contenus, ou encore, dans la rédaction de résumés. « Harvey est très performant dans ce qui prend parfois énormément de temps, mais qui n’a pas vraiment de vraie valeur ajoutée du point de vue de la connaissance et de la technicité », explique l’avocate. Son collègue, Peter Van Dyck, complète : « On doit aussi être conscients des limites de Harvey qui n’est encore qu’une technologie émergente. Les résultats sont souvent très précis, mais on ne peut pas compter sur le fait qu’ils sont toujours corrects à 100%. Le devoir professionnel de nos avocats est de triplement checker leur travail. »

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