Les milléniaux, des cadres à chouchouter ?

La présence de trentenaires dans le top management des entreprises n’est pas une nouveauté. Après tout, Rockefeller créa la Standard Oil quand il avait 31 ans. Mais cette génération que l’on qualifie de milléniaux est-elle si spéciale ?

Un rapide sondage dans quelques grands groupes belges montre que les trentenaires commencent à accéder au top management : chez Colruyt, un peu moins d’un cadre sur quatre a moins de 40 ans. Ontex compte quatre trentenaires dans son top 100 et Solvay en a cinq. Au sein du groupe de 12 investment bankers qui pilotent les participations d’AvH, quatre ont moins de 30 ans. UCB a trois trentenaires parmi les 64 membres de son haut management. Et chez ING, sur les 256 senior managers qui composent le top management en dehors du hors comité de direction, 47 sont trentenaires.

Il y a évidemment une raison démographique à la montée en puissance de cette génération, puisque la vague de ceux qui sont nés après la Deuxième Guerre mondiale part à la retraite, ce qui libère des possibilités…

Mais il y a aussi la volonté générale des entreprises d’aller à la recherche de talents. Parfois avec des campagnes très fortes, comme Odoo qui propose 10.000 euros par développeur désireux de rejoindre le groupe ou qui les invite à participer à un challenge en envoyant un jeu à leur domicile…

Les jeunes générations éprouvent le besoin de changer régulièrement d’environnement tout en gardant leur emploi.

Au sein du groupe industriel liégeois John Cockerill, il existe désormais depuis quelques années un talent acquisition manager une fonction remplie aujourd’hui par Pierre Dosogne. ” Notre objectif est de travailler avec l’équipe de recrutement pour attirer les meilleurs profils. Cela va du coaching et de l’accompagnement d’équipe à une série de process, de campagnes pour faire connaître l’entreprise. C’est une fonction mixte. Nous travaillons d’un côté à assurer le suivi de contrats, les messages à faire passer vers l’extérieur en allant faire connaître l’entreprise dans les écoles, par la presse, et un côté plus managérial, en assurant le suivi de l’équipe de recrutement au quotidien. ”

Un autre groupe international comme Engie développe des campagnes spécifiques pour attirer les jeunes, notamment sur les médias sociaux, via des mailings vers certains groupes comme les ingénieurs, des collaborateurs qui donnent des cours et des partenariats avec les universités.

L’énergéticien dispose aussi d’un young professional network : il s’agit d’une initiative à laquelle participent aujourd’hui un millier d’employés d’Engie âgés de moins de 36 ans. Le réseau est mondial, mais dans les faits, ses membres sont essentiellement en France et en Belgique. ” L’objectif, explique Anne-Sophie Hugé, porte- parole d’Engie en Belgique, est de créer une communauté de collègues, de favoriser le dialogue transversal, de soutenir l’innovation, de renforcer la culture d’entreprise, de faire connaître le groupe, etc.” Via ce réseau, diverses initiatives se mettent en place : des ateliers, mais aussi des activités plus ludiques…

Une génération à part ?

Mais les trentenaires d’aujourd’hui, qualifiés de milléniaux parce qu’ils ont grandi à la fracture des deux millénaires, seraient-ils spéciaux ? Marqués par l’avènement de l’âge digital, appartiendraient-ils à une génération formée d'” utopistes peu dociles qui exigent un management entrepreneurial “, pour reprendre l’expression du communicant français Didier Pitelet ?

François Pichault, docteur en sociologie qui préside aujourd’hui le Lentoc (Laboratoire d’études sur les nouvelles technologies, l’innovation et le changement) à HEC Liège ne le pense pas. Il a réalisé une étude avec Mathieu Pleyers comparant les vues de générations différentes, ” et la conclusion, dit-il, est qu’il existe peu de différences statistiques importantes entre les catégories d’âge “.

Il y a certes quelques petites différences : une de celles-ci montre que les jeunes générations éprouvent le besoin de changer régulièrement d’environnement tout en gardant leur emploi. La première question que les jeunes posent à l’embauche est : est-ce que j’aurai des possibilités d’apprentissage ? Que proposez-vous en termes de développement des compétences ? Le rapport entre les valeurs, l’innovation et la créativité est un élément qui parle davantage aux milléniaux.

” Nous remarquons que les jeunes sont en phase avec notre stratégie zero carbone. Ce sont des objectifs qui leur tiennent à coeur et qui sont en phase avec leurs aspirations et avec la manière dont ils conçoivent le rôle sociétal de l’entreprise, observe Anne-Sophie Hugé. Nos projets dans ces domaines peuvent les inciter à venir nous rejoindre. ”

Ce besoin de pouvoir grandir et se développer au sien de l’entreprise est aussi souligné par le talent acquisition manager de John Cockerill. ” Une des principales demandes de nos talents est d’y avoir, une fois dans l’entreprise, la possibilité de grandir. C’est un des premiers points qui viennent sur la table, déclare Pierre Dosogne. Nous avons la chance d’être une société active dans des secteurs différents et dans des pays différents… C’est une plus-value pour les talents qui nous rejoignent. ” Par ailleurs John Cockerill a lancé une plateforme de start-up. ” Elle permet à nos collaborateurs d’exprimer leur créativité avec un objectif : créer le futur. C’est la mission de notre entreprise : répondre aux besoins de notre temps. ”

Pas si spéciaux que cela…

Les trentenaires nourriraient donc quelques souhaits spécifiques. ” Cependant, poursuit François Pichault, sur les fondamentaux, c’est-à-dire le besoin de reconnaissance et d’avoir un travail qui a du sens, la rémunération, l’équilibre vie privée-vie professionnelle, la possibilité d’aménager son temps de travail ou le besoin d’appartenir à un collectif solidaire, nous ne voyons aucune différence entre les générations. ”

Plutôt que de parler en génération Y ou Z, ” nous proposons plutôt de parler d’un phénomène sociétal, ajoute le sociologue. Il y a eu depuis une quinzaine d’années une évolution qui est liée à la dématérialisation, au mode de vie plus nomade et qui fait en sorte qu’aujourd’hui, il existe davantage de différences à l’intérieur de chaque génération plutôt qu’entre elles. Un jeune qui sort de l’université et un quadra qui vient de divorcer, qui recommence une nouvelle vie et qui est cadre dans une banque vont avoir un rapport au travail similaire. En revanche, il ne sera pas le même entre un jeune qui sort d’une école de gestion et un autre qui n’a pas fait d’études, qui est issu d’un milieu défavorisé… ”

François Pichault poursuit : ” Il vaut donc mieux accompagner les personnes en fonction de leur expérience de vie et de leur itinéraire plutôt que différencier les politiques de gestion des ressources humaines entre les générations. Une telle différenciation peut d’ailleurs amener davantage de problèmes que de solutions. Considérer tel groupe de personnes différemment, leur proposer un aménagement spécifique et un mode de rémunération différent demande non seulement une ingénierie pour ce faire, mais pose aussi des problèmes d’équité “.

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