Les acteurs du bio et du circuit court tirent la sonnette d’alarme : “Une partie de notre autonomie alimentaire risque de disparaitre”
Face aux multiples crises qui les ébranlent, les acteurs du bio, du vrac et du circuit court entendent montrer leur résilience et accroître leur visibilité. Il en va de leur survie mais aussi de celle de notre autonomie alimentaire.
Les confinements successifs avaient eu pour effet bénéfique d’amener les consommateurs en quête d’une alimentation de qualité, bio et locale dans les magasins bios, les épiceries en vrac ou encore les coopératives en circuit court. Les crises successives actuelles (guerre en Ukraine, flambée des prix de l’énergie, baisse du pouvoir d’achat,..) produisent l’effet inverse.
Les acteurs de la distribution du bio, du vrac et du circuit court boivent la tasse. Plus de huit acteurs du secteur sur dix (82%) disent avoir vu leur chiffre d’affaires baisser entre le 1er semestre 2021 et la même période en 2022. Pour 12 des commerces sondés, cette baisse est supérieure à 30%. Seuls 4 magasins comptabilisent un chiffre d’affaires équivalent à 2021 et 13 d’entre eux une augmentation du chiffre d’affaires.
C’est ce qui ressort du baromètre réalisé par Biowallonie et ConsomAction en juillet 2022 auprès de 96 commerces, soit l’équivalent d’un tiers des acteurs des trois secteurs en Wallonie et à Bruxelles.
Le secteur alternatif à la distribution traditionnelle est pourtant en expansion depuis une vingtaine d’années, et plus particulièrement ces 5 dernières années. On dénombre 400 magasins dont une quarantaine de coopératives en Wallonie et à Bruxelles.
Situation critique
“La situation est, pour certains indépendants et PME, critique“, ont insisté les différentes associations – Manger Demain, ConsomAction, BioWallonie et le Collectif 5C – lors d’une conférence de presse cette semaine. Ils soulignent que les magasins sondés évoquent une perte d’approximativement 56% de clients occasionnels et la moitié observent même une perte de clients habituels.
Les raisons principales évoquées sont “la crise économique et la baisse du pouvoir d’achat, l’augmentation de la concurrence, le retour des dépenses liées aux loisirs et l’augmentation du prix du carburant et de l’énergie”.
“Toute une économie qui risque de disparaitre “
Les acteurs du secteur tirent la sonnette d’alarme pour éviter de disparaitre les uns après les autres en entraînant avec eux les producteurs locaux, artisans et grossistes spécialisés. “C’est toute une économie qui risque de subir de plein fouet cette situation si rien n’est mis en place très rapidement pour les aider “, avertissent-ils.
Pour eux, il est impératif dans le contexte de crise actuelle que ces acteurs continuent à alimenter les citoyens, car si le modèle s’effondre aujourd’hui, il sera difficile à l’avenir, en des temps économiquement meilleurs, de le redresser. “Plus que jamais, face à une sécurité alimentaire mise à mal par la guerre en Ukraine couplée à la crise de l’énergie et aux crises du Covid, il est urgent de soutenir ces acteurs locaux, bio et vrac. Ils représentent une des solutions clés pour notre autonomie alimentaire et pour limiter ou supprimer notre dépendance à la Russie, l’Ukraine et à l’importation en générale“, laissent-ils entendre.
Si la filière locale meurt, ce ne sont pas juste des magasins qui disparaissent. C’est toute une chaine de production vertueuse, des emplois et des produits de qualité, qui respectent l’environnement.
Marie Gathon a ouvert son épicerie en vrac Brut & Bon dans le centre d’Aywaille en février 2021. Depuis quelques semaines, elle remarque, elle aussi, une fréquentation en dents de scie de sa clientèle, en partie due à la situation économique défavorable qui pèse sur les budgets des ménages. Cette situation fait peser une grande instabilité. “ Certains de mes clients qui venaient toutes les semaines ne viennent plus qu’une fois par mois”, constate-t-elle.
Elle dresse le même constat que les acteurs du secteur : “C’est tout un patrimoine de producteurs et de petits artisans qu’on est déjà en train de perdre avec les faillites annoncées chaque jour. Si la filière locale meurt, ce ne sont pas juste des magasins qui disparaissent. C’est toute une chaine de production vertueuse, des emplois et des produits de qualité, qui respectent l’environnement. Mais surtout, c’est une partie de notre autonomie alimentaire qui disparait. Cela nous rend encore plus dépend des marchés internationaux, des grandes surfaces, etc. On voit bien pourquoi c’est dangereux.”
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Revenir au bon sens
Pour la commerçante liégeoise, le risque est bien réel qu’on récupérera difficilement, en tout cas, pas avant des dizaines d’années, voire jamais dans le scénario le plus pessimiste, les petits producteurs qui se sont lancés ces dernières années quand la conjoncture était meilleure. “Il faudra repartir de zéro, mais qui osera encore s’investir à l’avenir ? “, met-elle en garde.
Face à cette situation morose, les acteurs du secteur restent toutefois optimistes. Ils entendent montrer leur résilience et accroître leur visibilité. Ils attendent une prise d’action forte des politiques et le soutien des consommateurs. Les associations les représentant envisagent notamment de mettre en place des mécanismes de soutien à court et moyen terme pour les trois secteurs – avec le soutien de la Wallonie – ainsi qu’un observatoire des prix qui sera dévoilé au mois de novembre.
Des lieux d’échange
Des actions de sensibilisation seront mises en place dans les prochaines semaines. “Pour encore trop de consommateurs, il y a une perception erronée de ces modèles de distribution. Ces commerces souffrent d’une image souvent déformée de la réalité: trop cher, inaccessible, compliqué, peu attractif, offre trop limitée. Raison pour laquelle il est essentiel de travailler sur l’attractivité du secteur“, insistent les associations (lire aussi l’encadré ci-dessous).
“J’invite les consommateurs à pousser de temps en temps, ou même une seule fois, la porte d’une épicerie en vrac ou d’un magasin bio, cela leur permettra déjà d’un peu mieux traverser la crise“, propose Marie Gathon. Et de mettre en avant la convivialité de ce type de commerces : “Pendant la crise du coronavirus, on s’est tous rendu compte qu’on manquait de contacts humains. Les épiceries de proximité sont justement des lieux de partage, d’échanges, de conseils. Jusqu’à transformer la corvée courses en un moment convivial qui se prolonge à la maison avec de bons produits”, vante l’épicière.
Le vrac est-il plus cher que la grande distribution ?
L’une des idées reçues que le secteur compte démentir est celle que les produits issus du vrac/bio et du circuit court sont plus chers que dans la grande distribution. Petit coup de sonde auprès de Brut & Bon: “Cela dépend en réalité du produit. Un produit de base non transformé comme des flocons d’avoine ou des graines sera moins cher que dans un supermarché“, explique Marie Gathon. “Par contre, un biscuit artisanal sera peut-être plus cher, mais il sera de meilleure qualité avec du bon beurre de ferme belge, alors qu’un biscuit transformé contiendra plutôt de l’huile de tournesol ou de palme, aura été fabriqué en grande quantité et aura été importé d’un autre pays d’Europe.”
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L’épicière met aussi en avant le fait qu’acheter en vrac permet d’acheter la bonne quantité, ce qui évite le gaspillage. “Le vrac, c’est le juste produit pour le juste prix”, résume-t-elle. “En somme, c’est adopter une démarche globale d’apprendre à moins consommer et à tendre vers plus de sobriété, à revenir au bon sens, ce que l’avenir nous imposera de toute façon à tous à plus long terme, autant l’anticiper. Et en plus, cette démarche anticonsumériste peut même rendre plus heureux.”
Sylvie Droulans, directrice de l’asbl ConsomAction avance, de son côté, que les légumes bios ainsi que les produits laitiers sont moins chers chez les petits producteurs qu’en grande distribution. “A produit égal, un produit en vrac est 25 à 40% moins cher que pré-emballé“, constate-t-elle également.
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