Pourquoi le “vrac” n’est pas forcément moins cher

Jérémie Lempereur Journaliste Trends-Tendances - retail, distribution, luxe

Faire ses courses en vrac est-il toujours une bonne affaire ? Nous avons mené l’enquête. Si certains articles sont moins chers que leurs équivalents emballés, d’autres sont au contraire bien plus onéreux. Car l’emballage en lui-même ne coûte rien, quand la gestion d’un rayon de vrac génère de nombreux frais.

Les silos de vrac s’alignent dans la zone bio de cet hypermarché Carrefour. Noix, muesli, pâtes, riz, etc. Autant de produits d’épicerie sèche que les clients peuvent directement déverser dans des sacs en papier, en coton, ou dans leurs propres bocaux. Le vrac, un mode de consommation qui connaît un succès fulgurant. Omniprésent dans les magasins bios, il est aujourd’hui ” récupéré ” par la grande distribution. Mais consommer sans emballage est-il forcément meilleur marché ? Intuitivement, nous aurions tous tendance à répondre par l’affirmative. La réalité, comme souvent, est bien plus nuancée.

Chez Carrefour, les étiquettes apposées sur les silos donnent peu d’informations. Le nom du produit, les ingrédients. C’est tout. Aucune mention du fournisseur, ni de la provenance. Les articles sont présentés comme des articles ” maison “. Nous décidons donc d’effectuer quelques comparaisons avec leurs équivalents emballés sous la marque Carrefour Bio. Si les lentilles vertes se révèlent deux fois plus chères emballées (9,96 euros/kg, contre 5,50 euros/kg en vrac), d’autres articles créent la surprise. Achetées en vrac, les penne vous reviendront ainsi 2,90 euros/kg, contre 1,59 euro dans leur emballage en plastique. Pareil pour le quinoa, presque 30 cents plus cher en vrac qu’emballé.

En vrac, nous commandons de plus petites quantités et cela a évidemment une influence sur le prix.” – Siryn Stambouli (Carrefour)

Comment expliquer ces différences ? Le groupe de distribution avance deux explications. ” Il y a tout d’abord la question des volumes, explique Siryn Stambouli, porte-parole. En vrac, nous commandons de plus petites quantités et cela a évidemment une influence sur le prix. De plus, il est impossible de comparer réellement le vrac avec nos articles Carrefour Bio. Ce ne sont pas toujours les mêmes fournisseurs. Et quand ce sont les mêmes fabricants, les références ne sont pas exactement les mêmes. ”

Opportunisme

Du côté de l’association française Réseau Vrac, qui soutient la filière notamment à l’aide de formations, on observe avec attention l’offensive de la grande distribution. ” Les grandes surfaces se sont lancées dans le vrac par opportunisme et a minima, affirme Sylvie Droulans, responsable pour la Belgique. Leurs marges sont faibles sur ces articles. La plupart du temps, elles ne commercialisent d’ailleurs que quelques références d’épicerie sèche, à savoir les basiques. ” D’après notre interlocutrice, le vrac de supermarché serait en moyenne plus cher que celui des magasins spécialisés, et cela pour plusieurs raisons. ” La grande distribution fait appel à davantage d’intermédiaires et le débit est plus faible, assure-t-elle. Ce rayon nécessite en outre une gestion particulière, avec notamment davantage de main-d’oeuvre. Autant de coûts qui sont répercutés sur le consommateur. ”

Sylvie Droulans (Réseau Vrac):
Sylvie Droulans (Réseau Vrac): “Il est très compliqué d’établir des comparaisons. Certains produits peuvent être moins chers en vrac qu’emballés, et inversement.”

Serait-il alors plus avantageux d’acheter en vrac dans les magasins spécialisés ? Difficile de répondre de manière catégorique. ” A produit équivalent (même provenance, notamment), il y a une différence de prix par rapport aux articles emballés, assure Sylvie Droulans. Maintenant, tout dépend du débit, de la présence au non d’intermédiaires, du positionnement du magasin, de la marge prise par le commerçant, etc. Il est très compliqué d’établir des comparaisons. Certains produits peuvent être moins chers en vrac qu’emballés, et inversement. ”

Coûts plus élevés

Car contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, la présence ou non d’un emballage n’est pas ce qui va fondamentalement influencer le prix d’un article. ” On pourrait penser que le vrac doit être moins cher car il n’y a pas d’emballage, mais en ce qui concerne les produits du quotidien, le packaging ne représente qu’entre 2 et 5% du prix de revient d’un produit, explique David Sutrat, directeur général de la chaîne française 100% vrac Day by Day, qui compte déjà un magasin à Bruxelles et entend en ouvrir quatre autres à Charleroi, Liège, Namur et Tournai d’ici la fin du mois de juin. Il n’y a donc aucun gain à retirer l’emballage. Au contraire, le vrac génère d’importants coûts d’exploitation. Il demande beaucoup plus d’intervention humaine. Il faut nettoyer les silos, les remplir, les étiqueter, etc. Par ailleurs, l’infrastructure en elle-même est très coûteuse. Ce n’est pas pour rien si la grande distribution se lance à petit pas. ”

Le vrac génère d'importants coûts d'exploitation: il faut nettoyer les silos, les remplir, les étiqueter, etc.
Le vrac génère d’importants coûts d’exploitation: il faut nettoyer les silos, les remplir, les étiqueter, etc.© Belgaimage

Day by Day propose environ 750 références en consommable, dont environ 200 articles bios. Son responsable assure afficher des prix au kilo entre 5 et 30% moins chers. ” A qualité comparable, il faut toujours qu’il y ait un avantage prix au kilo pour le consommateur, dit-il. Ici, 5% sur les articles du quotidien, et jusqu’à 30% sur les produits d’épicerie fine. Plus il y a de valeur ajoutée dans un produit, plus il est intéressant de l’acheter en vrac. ”

Pour être compétitive, la chaîne joue en fait sur plusieurs leviers. Non seulement elle achète en très grosses quantités, mais elle réduit le nombre d’intermédiaires. Sur les 83 fournisseurs avec lesquels Day by Day travaille, seuls deux sont des importateurs. ” Tout le reste se fait en direct, se réjouit David Sutrat. Notre taille (59 magasins dans l’Hexagone et un en Belgique) nous permet d’aller discuter directement avec les producteurs et de construire avec eux la tarification. “

L’enseigne dit également sacrifier sa marge sur certains produits. ” Nous faisons des efforts sur les produits du quotidien, tandis que nous pouvons appliquer des marges plus élevées sur les articles plus élaborés “, explique son responsable. Qui cite également d’autres ” recettes “. ” Nous exploitons de petites surfaces avec des coûts de main-d’oeuvre réduits. Les loyers sont maîtrisés et nous proposons une offre extrêmement large. Les clients peuvent faire l’essentiel de leurs courses dans le non-frais chez nous. Cela nous permet d’enregistrer un rendement au m2 non négligeable. Dans certains de nos magasins, nous effectuons plus de 12.000 euros de chiffre d’affaires au m2. Enfin, la petite taille de nos points de vente fait que nos taux de démarque (produits volés, etc.) sont très faibles, contrairement à la grande distribution. ”

N’acheter que ce dont on a besoin

Nous avons voulu vérifier si les références proposées par l’enseigne étaient effectivement moins chères. Et en ce qui concerne les articles bios, on repassera ! Le riz basmati complet est presque deux euros du kilo plus cher chez Day by Day que chez Carrefour. Les noix de cajou, quant à elles, sont commercialisées 18,9 euros/kg chez Carrefour, contre 26,90 euros/kg dans la chaîne 100% vrac. Le quinoa blanc est lui aussi un brin plus cher chez Day by Day, et ne parlons même pas du thé vert à la menthe, dont le prix est deux fois plus élevé dans l’enseigne spécialisée. Par contre, si l’on compare à présent quelques articles non bios avec leurs équivalents emballés chez Carrefour, les choses deviennent intéressantes. Les lentilles vertes de Day by Day sont proposées à 2,95 euros/kg, contre 4,50 euros/kg pour les lentilles vertes de marque Carrefour, sans parler de celles d’une grande marque bien connue encore plus chère. Les penne de marque Soubry commercialisées en vrac chez Day by Day sont, elles, affichées à 1,55 euro/kg, contre 3,36 euros/kg pour les mêmes pâtes Soubry dans leur emballage. Le coût du marketing…

Acheter en vrac peut donc se révéler intéressant financièrement dans certains cas, même si cela est loin d’être une règle générale. Pour Sylvie Droulans, toutefois, il faut voir les choses d’un point de vue plus large. ” Si l’on s’arrête au prix au kilo, il est vrai que ce n’est pas forcément moins cher. Mais le vrac permet au consommateur de n’acheter que ce dont il a réellement besoin, explique la responsable Belgique de Réseau Vrac. Cela permet de réduire le gaspillage et la quantité de déchets. De manière très concrète, on sort moins souvent les poubelles. Alors oui, si l’on prend tout en compte, le vrac est moins cher. “

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content