La famille Thermote, des milliardaires qui cultivent la discrétion

TVH D'Ieteren a mis 1,147 milliard d'euros sur la table pour acquérir 40% de cette entreprise familiale sise en Flandre-Occidentale. © BELGAIMAGE

L’entrée de D’Ieteren Group dans TVH le 1er octobre dernier a propulsé les soeurs Thermote au rang de quasi-milliardaires. Qui sont Ann et Els Thermote, que tout le monde qualifie de si “normales”?

Le 1er octobre 2021, le groupe D’Ieteren acquérait 40% de TVH, une entreprise familiale sise en Flandre-Occidentale. Le holding bruxellois coté en Bourse a mis pour ce faire 1,147 milliard d’euros sur la table, soit le plus gros investissement jamais réalisé par ce groupe plus de deux fois centenaire.

Les soeurs Thermote ont manifestement fait mouche en acceptant la transaction: Ann (54 ans) et Els (47 ans) contrôlent chacune 30% du holding qui chapeaute TVH, par l’intermédiaire du holding luxembourgeois Wehold (voir le tableau “Structure des entreprises”). Ce qui, avec l’arrivée de D’Ieteren, équivaut à une valorisation de 860 millions d’euros environ par soeur. Mais à Waregem, où le spécialiste des pièces de rechange pour machines industrielles (les chariots élévateurs, surtout) a son siège, rien ne semble avoir changé. “La famille? Des gens très ordinaires. Ils continuent à papoter avec nous, apprécie Chantal Verslijpe, déléguée principale de la FGTB, employée par le groupe depuis 2003. Ils n’ont absolument pas la grosse tête. On ne voit pas qu’ils sont riches.”

La famille ne relève qu’assez peu la tête du guidon. Elle met toute son énergie au service de TVH.” Un ex-administrateur

“Des gens très simples, confirme un ancien administrateur du holding qui chapeaute TVH. Ils ne changent pas, malgré leur fortune. Ils ne se mêlent pas trop de ce qui se passe autour d’eux. Ils ont grandi avec l’entreprise et son personnel, les deux pieds bien ancrés dans l’argile flamande.”

Les mondanités et le réseautage pour le réseautage, très peu pour eux, en effet. Si TVH n’avait pas été située d’une manière aussi visible le long de l’E17, peut-être serait-elle moins connue encore. “La famille est discrète, souffle l’ancien administrateur. Elle ne relève qu’assez peu la tête du guidon. Elle met toute son énergie au service de TVH.” La famille n’a du reste pas été plus bavarde avec nous. “Nous ne souhaitons pas d’interview. Toutes les questions au sujet de TVH peuvent être soumises à Dominiek Valcke, son CEO”, nous a répondu Els Thermote dans un courriel.

“Avec Paul, il faut avancer”

TVH signifie Thermote et Vanhalst. L’entreprise a été fondée en 1969 par Paul Thermote et Paul Vanhalst, deux anciens camarades d’école qui avaient monté un petit commerce de chariots élévateurs déclassés de l’armée. Aujourd’hui active dans 26 pays, TVH a clos l’exercice 2021 sur un chiffre d’affaires de 1,35 milliard d’euros. Paul Vanhalst étant décédé en 2002 dans un accident de voiture, c’est Pascal (52 ans), son fils, qui lui a succédé. Pascal a vendu il y a un an ses 40% de participation à D’Ieteren, en partie à la suite de la décision prise en 2018 par les familles de se retirer de l’opérationnel pour ne plus siéger qu’au conseil d’administration.

“Si vous demandez à Paul depuis quand il n’est plus actif sur le plan opérationnel, il vous répondra: depuis très longtemps. Il est pourtant toujours présent, s’amuse Dominiek Valcke. Il vient tous les jours s’il le peut. Il connaît encore énormément de monde. Le nouveau restaurant d’entreprise s’appelle Chez Paul… à la demande du personnel.” Chantal Verslijpe rencontre elle aussi souvent Paul Thermote. “THV est son entreprise, son bébé. Il ne fait du reste absolument pas ses 79 ans. Il continue à arpenter les ateliers d’un pas alerte. Avec lui, il faut avancer: il nous fait travailler dur. Mais il est également très humain.”

Ann et Els

Les deux filles Thermote sont elles aussi tombées dans le métier quand elles étaient petites. Plutôt modestes, leurs profils sur LinkedIn n’évoquent “que” des études dans des établissements locaux. Els a néanmoins suivi en 2001-2002 un programme de gestion à la Vlerick Leuven-Gent Management School. En réalité, les soeurs ont principalement travaillé dans l’entreprise: Ann à partir de 1989, Els à partir de 1996. La première s’est surtout occupée des ressources humaines. Elle a régulièrement siégé au conseil d’entreprise. Les syndicats se souviennent d’elle comme d’une personne à l’écoute et ouverte au compromis, qui savait tout ce qui se passait dans les ateliers. Son mari, Bernard De Meester (55 ans), a occupé diverses fonctions commerciales entre 1989 et 2018. Els a fait sa carrière dans la filiale américaine du groupe. En avril 2003, elle s’est installée à Kansas City après que TVH eut fait l’acquisition de la société américaine Systems Material Handling. Les Etats-Unis génèrent aujourd’hui un pourcentage considérable du chiffre d’affaires du groupe (entre 25 et 30%, selon le cours du change du dollar). Els est rentrée en Belgique en juillet 2019. Au cours de ces 16 années passées outre-Atlantique, le chiffre d’affaires américain a été multiplié par 10 et les effectifs ont dépassé les 1.000 personnes, précise- t-elle fièrement sur son profil LinkedIn.

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“Aux Etats-Unis, elle entretenait d’excellentes relations avec les gens, rapporte l’ancien administrateur. Ce n’est pas un hasard si Dirk von Holt a été nommé administrateur du holding après l’arrivée de D’Ieteren”: aujourd’hui âgé de 65 ans, Dirk von Holt, un Américain d’origine allemande, a été le bras droit d’Els aux Etats-Unis à partir de 2005.

“Ils n’ont qu’une parole”

Le retour sur le Vieux Continent s’est donc accompagné d’un profond remaniement de l’actionnariat. La vente au groupe D’Ieteren a entraîné la disparition des lettres “VH” (Vanhalst) de l’enseigne. Pascal Vanhalst se consacre désormais entièrement à la deuxième activité historique du groupe: Mateco, qui vend et loue des engins de levage.

La famille n’a toutefois pas entièrement coupé les ponts. Ann et son mari conservent une participation de 50% dans TVH Equipment, la filiale belge de Mateco. Ann continue d’investir dans cette activité via sa société HM Collection qui loue depuis le début de l’année des locaux supplémentaires quelques kilomètres plus loin, le long de l’E17. Des lieux qui ont fait parler d’eux dans le monde entier à cause du cyclope nu de sept mètres de haut qui trônait sur une plateforme élévatrice installée devant l’entrée, rhabillé après de vives protestations. A l’époque où il en était propriétaire, Hervé Missiaen exploitait là une entreprise de réparation de chariots élévateurs à fourche. Il achetait ses pièces détachées à TVH. “D’excellents produits, se souvient-il. Les négociations avec la famille au sujet des bâtiments ont pris beaucoup de temps. Mais ce sont des gens corrects, qui n’ont qu’une parole.”

LE SIÈGE DE TVH À WAREGEML'acteur mondial des pièces détachées est présent dans 26 pays.
LE SIÈGE DE TVH À WAREGEML’acteur mondial des pièces détachées est présent dans 26 pays.© BELGAPLUS

“Faire la différence”

Els dispose d’un portefeuille d’investissements plus étendu que celui d’Ann. Elba Invest (total du bilan en valeur comptable: près de 1,6 milliard d’euros), le holding des deux soeurs, a été dissous fin 2021 et ses capitaux ont été partagés entre Echlin Invest et TNFO, deux holdings individuels (voir également “Structure des entreprises”). Pourquoi cette scission? Chaque branche de la famille peut désormais prendre des décisions d’investissement en toute indépendance “sans interférence de l’autre, ce qui permet de garantir la continuité des activités”, mentionne l’acte dans le Moniteur belge concernant la scission.

L’investissement à impact a changé ma vie. Avoir un objectif et voir ses retombées est extrêmement gratifiant et motivant.” Els Thermote

Els Thermote a créé The Nest, un véhicule d’investissement qui se consacre au développement durable et à l’investissement à impact. Elle explique sa décision sur le site web de Pym, un réseau néerlandais de personnes fortunées qui investissent de façon consciente. “J’ai découvert que je voulais vraiment faire la différence, dit-elle. L’investissement à impact a changé ma vie. Avoir un objectif et voir ses retombées est extrêmement gratifiant et motivant. Je veux aussi joindre le geste à la parole: je consomme – et apprécie – les produits bios locaux et j’ai en grande partie renoncé à la viande et aux produits laitiers.”

Pour faire la différence, Els a choisi d’investir dans la biotech israélienne Soos Technology qui fait appel à l’intelligence artificielle pour transformer pendant le processus d’incubation l’embryon des poussins mâles en poussins femelles de manière à les sauver de l’abattage (sur les 15 milliards de poussins qui naissent chaque année, la moitié sont des mâles, que l’on tue puisqu’ils ne pondent pas d’oeufs et qu’ils ne servent pas à la production de viande). Els investit également dans Olombria, spin-off du londonien Royal College of Art. Olombria est spécialisée dans le syrphe, une mouche capable de polliniser les cultures dans des zones plus élevées et à des températures plus froides que l’abeille.

La boucle est bouclée

Els Thermote investit par ailleurs dans l’immobilier. Elle a acquis fin 2020 Flanders Real Estate, une société immobilière auparavant détenue par Deprez, la principale société holding de l’homme d’affaires flamand Hein Deprez. Ce dernier est l’actionnaire de référence de Greenyard, un spécialiste de la transformation et de la distribution de fruits et légumes coté en Bourse.

Els s’est également offert cet été le Domaine de Graux, à proximité de Tournai. Les 115 ha sur lesquels s’étendent les lieux sont entièrement dédiés à l’agriculture régénérative et biologique ainsi qu’au développement durable. On y trouve des races spéciales de poulets, de porcs et de vaches ; un apiculteur et du miel fait maison ; de l’orge qui, une fois récolté, part chez Brunehaut, une brasserie bio située à quelques kilomètres de là ; ainsi que 4 ha de légumes de serre. Tomates, oignons et carottes sont servis dans la salle de banquet qui peut accueillir jusqu’à 250 personnes. Les surplus vont nourrir les animaux du domaine, ce qui permet de boucler la boucle.

Les fortunes discrètes de Flandre

Plusieurs familles flamandes se sont constitué d’importants portefeuilles d’investissement au fil des ans. Elles font ainsi prospérer et croître notre économie. Trends-Tendances présente chaque mois une de ces familles souvent méconnues.

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