La discrète mais puissante Famille Gheysens (Ghelamco)

Paul GheyseNs et son épouse Ria lors de la finale de la Coupe de Belgique remportée par l’Antwerp. © Belgaimage

Le Royal Antwerp FC pourrait remporter le championnat national de football après avoir déjà glané la Coupe de Belgique. La plus ancienne équipe du pays le devrait en grande partie à son propriétaire, la famille Gheysens, originaire de Flandre-Occidentale. Une famille unie autour du self-made-man Paul Gheysens. “Paul a un réseau plus large en Pologne qu’en Belgique. Mais cela va changer, grâce aux succès de l’Antwerp.”

La famille Gheysens est plus discrète que ses ouvrages architecturaux. Quiconque arrive à Gand en voiture depuis Bruxelles ne peut évidemment rater la Ghelamco Arena, du nom de son entreprise de construction. Près de l’aéroport de Zaventem, celle-ci a aussi installé les nouveaux bureaux du consultant PwC. Un peu plus loin, le concurrent EY s’est installé au printemps de cette année dans une partie de The Wings, projet de quatre bâtiments occupé notamment par l’hôtel Hilton. Sur la côte, il y a aussi le projet Knocke Village: des terrains de golf, un hôtel de 150 chambres, 200 unités résidentielles, des salles de réunion, un théâtre et un cinéma. Mais il n’y a pas que la Belgique. A Londres, The Arc, une tour de près de 100 mètres de haut, avec des logements et des bureaux, sort actuellement de terre. Et à Varsovie, Ghelamco a érigé des dizaines de bâtiments qui contribuent à redessiner le panorama de la capitale polonaise. L’année dernière, elle a effectué sa plus grande opération: Google a installé son siège d’Europe de l’Est dans une tour de Ghelamco. La transaction a coûté 583 millions d’euros. La plus-value totale, étalée sur plusieurs années, s’est élevée à 185 millions d’euros.

Ria Vandoorne est l’exemple type de l’adage selon lequel derrière chaque entrepreneur fort se cache une femme forte.

“Un entrepreneur dans l’âme”

Derrière ces exemples immobiliers se cache surtout un self-made-man, Paul Gheysens (69 ans). Ce fils d’agriculteur de Saint-Jean, près d’Ypres, a commencé comme paysagiste. Aux abris de jardin ont succédé les étables, puis les bâtiments industriels. L’entreprise de construction Ghelamco voit le jour en 1985. En 1991, peu après la chute du mur de Berlin, Paul Gheysens s’installe en Pologne, pays qui est aujourd’hui le plus grand marché du groupe. “J’ai beaucoup de respect pour Paul. C’est un entrepreneur dans l’âme”, estime Jürgen Ingels. Le célèbre investisseur flamand est un fan de l’équipe de football de la métropole, ainsi qu’un administrateur de la société Royal Antwerp FC. Il est également administrateur de Ghelamco Invest, l’une des filiales du groupe immobilier. “Paul est bien plus un entrepreneur qu’un gestionnaire. Il est techniquement très fort dans les travaux de construction. Il peut estimer correctement un prix de revient et s’interroger sur l’utilisation des matériaux. Il réalise encore lui-même des esquisses et des plans de bâtiments. Il est également très attentif aux innovations technologiques, telles que la durabilité ou la gestion intelligente des bâtiments.”

Jürgen Ingels est l’une des rares personnes à parler ouvertement de la famille Gheysens. Toute une série d’entrepreneurs flamands connus et de personnes du monde des affaires ont refusé de répondre à nos questions. D’autres nous ont dit ne pas les connaître. Remarquable: même Hans Maertens, également ouest-flandrien et directeur général de l’association patronale flamande Voka, connaît à peine Paul Gheysens. Il faut dire que ce dernier mène ses affaires en toute discrétion. Au sein des holdings Ghelamco Group et International Real Estates Services, seuls des membres de la famille siègent au conseil d’administration. Celle-ci est l’unique actionnaire de l’empire immobilier.

© National

De l’avis d’un observateur, tout juste sait-on que le pater familias est très charismatique. C’est aussi un conteur passionnant, qui aime raconter ses premières années en Pologne, par exemple: c’était un peu le far west là-bas. “Paul a travaillé pendant des années principalement en Pologne. En Flandre, il n’a pas été reconnu pour cela. Et l’inconnu rend mal-aimé…, explique Jürgen Ingels. En Pologne, Paul a de très bons contacts, et peut-être un réseau plus large qu’en Belgique. Mais ce réseau belge va maintenant se développer grâce aux succès de son équipe de football.”

Hausse des taux pour l’immobilier

Dans le rapport annuel 2022 du groupe Ghelamco, la Pologne représente une part plus importante que la Belgique. Les biens immobiliers en construction y sont évalués à 786 millions d’euros, ceux en Belgique à 645 millions – bilan qui comprend en outre la tour The Arc de Londres évaluée à 161,5 millions d’euros. Dans son dernier rapport annuel, le groupe se montre prudent quant au climat économique en Pologne, notamment en raison de la hausse des taux d’intérêt. Cette hausse serait compensée par l’augmentation des revenus locatifs.

Pendant des années, le groupe Ghelamco a surfé sur la vague de l’augmentation constante des prix de l’immobilier. Dans les chiffres du bilan, cela s’est traduit par le poste “fluctuations de la juste valeur des immeubles de placement”. Il s’agit d’évaluations à la valeur de marché, effectuées soit par des évaluateurs indépendants, soit par la direction. Elles ont représenté une bonne partie du bénéfice d’exploitation. 2021 a été une année record, avec plus de 184 millions d’euros de plus-value. Le bénéfice d’exploitation s’élève à plus de 200 millions d’euros. L’année dernière, les évaluations immobilières ont augmenté de 87 millions d’euros, le chiffre le plus bas depuis 2018. De son côté, le stock de liquidités s’est réduit à 22 millions d’euros à la fin de l’année dernière, soit le chiffre le plus bas de la dernière décennie. La vente du bureau de Varsovie à Google n’a pratiquement pas généré d’argent frais en raison de l’importance des remboursements de dettes.

Depuis le retour de l’Antwerp en première division, Gheysens a déjà injecté plus de 150 millions d’euros dans le club.

La question de la succession

Paul Gheysens aura 70 ans début novembre. Il est toujours CEO du groupe immobilier. “Au sein du conseil d’administration, nous commençons à discuter de la question de la succession, souligne Jürgen Ingels. Mais Paul est toujours en bonne santé. Il est énergique, se lève très tôt et travaille toujours très dur.”

En outre, toute la famille Gheysens dirige l’entreprise depuis un certain temps. Quatre des sept membres du comité exécutif, qui a gagné 12 millions d’euros l’année dernière, en sont des descendants. Seule l’épouse Ria Vandoorne (64 ans) n’est officiellement pas active sur le plan opérationnel. Selon un observateur, cette ancienne enseignante dans une école de Roulers est le membre de la famille le plus sceptique et le plus critique. Lorsque Paul échafaudait des projets toujours plus plus ambitieux, c’est elle qui le faisait visiblement garder les pieds sur terre. “Paul est très à l’écoute”, estime Philip Neyt, directeur de Ghelamco Invest et personne de confiance de la famille. “Il n’est pas têtu. Il a besoin d’une oreille attentive. Mais en fin de compte, c’est lui qui prend la décision finale.” Pour Jürgen Ingels, Ria Vandoorne est “l’exemple typique de l’adage selon lequel derrière chaque entrepreneur fort se cache une femme forte. En coulisses, elle est très active, et aussi très créative. Elle est passionnée par l’aménagement des locaux du Royal Antwerp FC. Elle est très forte en marketing, pour construire une image”.

La prunelle des yeux de son père

Les trois enfants du couple sont également membres du comité exécutif. Michael Gheysens (40 ans) est directeur des opérations en Belgique et en France. Il a déjà occupé diverses fonctions au sein du groupe et a également été directeur général de l’hôtel Pomme de Pin à Courchevel, dans les Alpes françaises (évalué à 34 millions d’euros dans le bilan du groupe Ghelamco). Michael est décrit comme un homme peu loquace, déterminé et très rigoureux dans son emploi du temps. Il est également à l’origine de l’investissement dans Leadlife, plateforme de données pour les soins de santé préventifs. Plusieurs entreprises et le gouvernement flamand utilisent cet outil numérique qui permet de suivre la santé des employés et des retraités. La société à l’origine de Leadlife, BV Medical Intelligence Hub, reste pour l’instant fortement déficitaire. Une augmentation de capital de 16 millions d’euros a eu lieu à la fin de l’année dernière.

Le frère de Michael, Simon Gheysens (41 ans), est l’homme des nouvelles technologies (bâtiments intelligents et capteurs). Il dirige le département des projets spéciaux chez Ghelamco et est également directeur général de MeetDistrict, un ensemble d’espaces de coworking à Anvers, Bruxelles et Gand. MeetDistrict est également déficitaire.

Leur sœur, Marie-Julie Gheysens (29 ans), directrice de la branche Royaume-Uni, s’est imposée de manière frappante de ces dernières années. Elle est la prunelle des yeux de son père.

“Une relation père-fille est toujours un peu différente d’une relation père-fils, déclare Jürgen Ingels en s’appuyant sur sa propre expérience. “Mais Marie-Julie s’en sort bien. Elle est encore jeune, elle avait peu d’expérience. Elle l’a ensuite acquise en tant que promoteur immobilier au sein du fonds d’investissement Brookfield. C’est aussi une personne douée pour nouer des réseaux.” Marie-Julie avait déjà développé des affinités avec Londres, où elle est partie suivre des études dès l’âge de 17 ans. “Vivre et travailler à Londres, c’est comme rentrer à la maison”, a déclaré Marie-Julie au magazine Property Investor Today l’année dernière.

Royal Antwerp FC: un puits sans fond?

La famille de Paul Gheysens, par l’intermédiaire de la société Goala, est le principal actionnaire du Royal Antwerp FC, le plus ancien club de football du pays. Pour l’instant, l’Antwerp FC est un club fortement déficitaire dans lequel Gheysens a déjà investi plus de 200 millions d’euros. En 2016, alors que le club évoluait encore en deuxième division, Paul Gheysens a repris le patrimoine de l’ASBL RAFC, à savoir le club, le fonds de commerce et le stade Bosuil délabré. Il a déboursé pour cela 8,7 millions d’euros, un montant qui sera amorti en tant que goodwill sur une période de neuf ans.

Depuis le retour de l’Antwerp en première division, le CEO de Ghelamco a déjà injecté plus de 150 millions d’euros dans le club. Il s’agit d’augmentations de capital destinées à éponger les pertes de l’entreprise. Au cours de la saison/année comptable 2021-22 (jusqu’à fin juin), le Royal Antwerp FC a enregistré une perte nette de 32 millions d’euros. Cela est principalement dû à la forte augmentation des coûts (80 millions d’euros), qui ont largement dépassé les revenus (48,7 millions). Deux augmentations de capital ont permis d’effacer la perte et de conserver 1,3 million d’euros de fonds propres. Des fonds propres positifs sont nécessaires pour obtenir une licence de la Fédération belge de football.

Comme la saison 2022-23 en cours, malgré les succès sportifs, sera à nouveau fortement déficitaire, Paul Gheysens s’est engagé à ajouter 47,5 millions d’euros de capital frais avant la fin juin 2023. Cependant, le club compte sur les revenus des transferts sortants, ce qui signifie que la perte devrait être inférieure aux 44,6 millions d’euros budgétés.

L’Antwerp a remporté la Coupe de Belgique il y a quelques semaines et est candidat au titre. Cela ouvre des perspectives pour la saison prochaine. Si le club peut se qualifier pour une compétition européenne (Champions League ou Europa League), il en retirera un joli paquet de revenus supplémentaires. Mais il n’est pas certain que cela permette de dégager directement des bénéfices. L’équilibre entre les frais de transfert entrants et sortants jouera probablement un rôle tout aussi important à cet égard.

La famille Gheysens estime que les succès sportifs de l’Antwerp se traduiront à terme par une dynamique commerciale importante, qui se traduira par une augmentation des recettes de billetterie, de sponsoring et de merchandising. En attendant, elle tire déjà des revenus de la location au club des tribunes 1 et 4 rénovées du stade Bosuil. Le montant de ces revenus n’est pas clair. Les tribunes 1 et 4 appartiennent à la société Docora, qui les évalue à 85 millions d’euros. Le club a le droit de racheter les tribunes et le droit de bail à l’expiration du bail.

“La famille a acheté un club en quasi-faillite. Il est normal d’enregistrer des pertes les premières années, car c’est là que l’on investit, répond Philip Neyt, homme de confiance de la famille. Aujourd’hui, nous constatons un retour sur cet investissement. Nous créons de la valeur ajoutée. Au cours des quatre dernières années, l’Antwerp a toujours terminé parmi les quatre premiers et a remporté la Coupe à deux reprises. En 2023, le club sera autonome financièrement.”

Les fortunes discrètes de flandre

Plusieurs familles flamandes se sont constitué d’importants portefeuilles d’investissement au fil des ans. Elles font ainsi prospérer et croître notre économie. Trends-Tendances présente chaque mois une de ces familles souvent méconnues.

Partner Content