Distribution de journaux : le grand chaos

Les négociations sont en cours entre les éditeurs et les différents opérateurs pour trouver une alternative au 1er juillet 2024. © Getty Images
Frederic Brebant Journaliste Trends-Tendances  

Qui distribuera les journaux et les magazines dans les boîtes aux lettres le 1er juillet 2024 ? En sacrifiant la concession presse de bpost sur l’autel des futures élections, le gouvernement De Croo crée plus de problèmes que de solutions.

Un gâchis, une débâcle, le chaos. Trois mots pour résumer une situation qui, au final, ne satisfait personne. Dans le long feuilleton de la concession pour la distribution de la presse en Belgique, tout le monde est mécontent ou presque. Les éditeurs de journaux et de magazines aujourd’hui déboussolés, leurs abonnés qui risquent de payer davantage, le souverain bpost qui se croyait intouchable, les entreprises de distribution privées qui espéraient tant… Bref, tous regrettent l’issue de ce mauvais feuilleton qui, à vrai dire, n’est pas tout à fait terminé. Car si la concession de presse a bel et bien été enterrée par le gouvernement, le dossier de la distribution des journaux et des magazines sur notre territoire est loin d’être clôturé.

Flash-back

Pour rappel, le 12 décembre dernier, le gouvernement d’Alexander De Croo décidait, à la surprise générale, de mettre un terme au mécanisme de concession pour assurer la distribution de la presse en Belgique. Jusque-là, c’était bpost qui assurait cette mission socio-économique, grâce à un subside annuel de 175 millions par an. Cette enveloppe fédérale devait être ramenée à 125 millions annuels dans le cadre de la nouvelle concession 2024-2028 pour laquelle un appel d’offres avait été lancé par le SPF Economie, mais entretemps, les règles du jeu ont changé. Car à l’issue de cet appel d’offres, ce sont deux opérateurs privés qui ont remporté le marché: la société PPP pour la distribution des journaux et Proximy pour les magazines.

Il aurait été malvenu, pour les partis de gauche du gouvernement De Croo, de subventionner des opérateurs privés pour une distribution de presse avec de l’argent public.

Un coup de théâtre pour le gouvernement fédéral qui, au final, a pondu cette solution bancale : la prolongation de six mois de l’actuelle concession détenue par bpost (pour laquelle l’entreprise semi-publique sera rémunérée 75 millions d’euros), avant la disparition pure et simple du mécanisme de concession qui ne reviendra donc pas aux concurrents PPP et Proximy.

Un choix politique, chuchote-t-on en coulisses, puisqu’il aurait été malvenu, pour les partis de gauche du gouvernement De Croo (PS, Vooruit, Ecolo et Groen), de subventionner des opérateurs privés pour cette distribution de presse avec de l’argent public. Autant laisser faire le marché, en communiquant évidemment sur les précieuses économies réalisées à l’approche des élections…

Un mauvais signal

” C’est un très mauvais signal donné aux entrepreneurs et à la population, déplore Michel d’Alessandro, CEO de PPP, qui se déclare en colère. Pour pouvoir répondre à cet appel d’offres, nous avons réalisé un gros investissement, via des avocats, des techniciens ou encore des conseillers en communication. Cela représente beaucoup de temps et beaucoup d’argent : pas moins de 100.000 euros. Nos efforts ont d’abord été récompensés puisque nous avons remporté l’appel d’offres. Mais cela n’a pas plu au gouvernement qui a tout annulé ! C’est très dangereux pour les affaires et le débat démocratique car cela crée un sentiment d’insécurité : doit-on encore répondre à l’avenir aux appels d’offres s’ils ne seront de toute façon pas respectés par les autorités ? ”

Michel d’Alessandro ne baisse pas les bras pour autant. Dans six mois, la concession presse au bénéfice de bpost sera définitivement enterrée et un nouveau système de distribution devra être enclenché. Les négociations vont déjà bon train entre les éditeurs et les différents opérateurs (privés comme publics) pour trouver une alternative au 1er juillet 2024. Le marché, il est vrai, n’est pas anodin : la Belgique compte aujourd’hui 900.000 abonnés qui reçoivent, chaque jour, leur journal dans leur boîte aux lettres, avec plus ou moins de difficultés. “Dans les volumes à distribuer, 80% vont en Flandre qui, d’un point de vue géographique, renferme Bruxelles et représente 45% de la superficie du pays, explique le CEO de PPP. Or, la Wallonie, qui représente 55% du territoire, n’absorbe que 20% des volumes à distribuer. La charge de travail est différente et on ne peut donc pas négocier les prix de la même façon pour les deux Régions.”

Deux logiques

Le casse-tête pourrait donc devenir communautaire, d’autant plus que les éditeurs de presse francophones Rossel et IPM semblent beaucoup plus agacés que leurs homologues flamands par la décision du gouvernement d’abandonner la concession de presse. Au nord du pays, le groupe Roularta (propriétaire des titres Le Vif, Knack, Trends-Tendances, Trends, Flair, Libelle, etc.) y voit même une opportunité pour laisser enfin libre cours au marché. Il est vrai que les enjeux ne sont pas les mêmes pour les journaux et les hebdomadaires qui, par définition, ne doivent être livrés qu’une fois par semaine. Mais le constat général n’en reste pas moins cinglant sur la gestion de ce dossier: ” Je regrette que les éditeurs n’aient jamais été impliqués, ni même consultés dans cet appel d’offres qui relève d’un grand amateurisme, lance Xavier Bouckaert, CEO de Roularta. Comment est-ce possible ? Même bpost n’a pas été entendu, c’est incompréhensible ! Mais je reste toutefois confiant pour la suite car à présent, le marché libre va jouer avec des tarifs plus bas et je m’en réjouis. Cela ne pourra pas être pire que la concession actuelle avec ses prix absurdes ! “

Les éditeurs de presse quotidien pourraient être davantage pénalisés en raison de contraintes logistiques.


Si la loi du marché pourrait être favorable aux éditeurs de presse hebdomadaire dont les produits s’intègrent plus facilement, une fois par semaine, dans les circuits de distribution ” classique “, il n’en va pas de même pour les éditeurs de presse quotidienne qui sont soumis à d’autres contraintes logistiques et qui pourraient donc être davantage pénalisés. ” Dans le processus de distribution aux abonnés, la course contre le temps est beaucoup moins importante pour un magazine que pour un journal qui doit arriver très tôt dans les boîtes aux lettres, rappelle Bernard Cools, chief intelligence officer de l’agence médias Space. L’heure de distribution est primordiale pour un quotidien car elle fait partie de l’expérience lecteur. On ne joue donc pas dans la même cour en termes de négociations de prix. “

Procès en vue ?

A terme, la facture risque donc d’être plus salée pour les éditeurs de presse quotidienne avec la probabilité de devoir répercuter ce coût supplémentaire sur le prix de l’abonnement. Et donc de précipiter davantage la fin “programmée” du support papier ? “N’oublions pas que la presse papier rapporte encore maintenant aux éditeurs beaucoup plus que le support digital, rappelle Bernard Cools. Alors bien sûr, on anticipe ici une certaine évolution, mais je constate surtout que l’on bouleverse de manière trop brutale, avec cette décision, tous les plans des éditeurs vers cette transition digitale.” Une décision prise, de surcroît, “au-dessus des lois”, selon PPP. Car la prolongation de six mois, par le gouvernement, de l’actuelle concession détenue par bpost “ne tient pas juridiquement la route”, dixit son CEO Michel d’Alessandro. Une action en justice va donc être probablement menée par le vainqueur de l’appel d’offres désormais disgracié.

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