Start-up tech en mode ASBL…
Le projet Rosa porté par Sébastien Deletaille a pris la forme d’une ASBL. Une formule loin des stéréotypes classiques des start-up de la tech caractérisées par des levées de fonds en vue d’une revente et de plus-value pour leurs actionnaires et leurs fondateurs. Pourquoi?
Pour faire parler d’elles, les start-up de la tech communiquent généralement sur leurs levées de fonds. Ces montants dégottés auprès d’investisseurs qui croient dans leur capacité à grandir et, pourquoi pas, à changer le monde, ont longtemps été considérés (souvent à tort) comme des caps importants, signes d’un potentiel succès (en devenir).
Pour les fondateurs et les investisseurs de la première heure, une levée de fonds signifie en effet l’augmentation de la valeur de leur participation au capital. Or, le parcours de rêve pour pas mal d’entrepreneurs de la tech est constitué d’une croissance rapide de leur produit, d’une série de levées de fonds dopant la valorisation de leur entreprise, puis d’une revente. Beaucoup acceptent d’ailleurs de se rémunérer peu au début, en prévision d’un retour au moment des levées de fonds et surtout d’un exit.
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Forcément, cette trajectoire bien connue ne fonctionne qu’avec une entreprise commerciale dont le capital est détenu par des actionnaires. Pas pour une ASBL, par exemple, qui n’a pas de capital. C’est pourtant bien ce statut qu’a endossé Rosa, le projet lancé par Sébastien Deletaille, entrepreneur connu pour avoir lancé Real Impact Analytics, start-up bruxelloise spécialisée dans le big data télécom. Le but de Rosa? Devenir la première appli santé belge proposant un point de départ à de nombreux services, en commençant par la prise de rendez-vous auprès de pros de la santé et d’hôpitaux.
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Entrepreneuriat sociétal
Si le statut d’ASBL de Rosa n’a nullement été caché depuis deux ans, personne ne s’est vraiment étonné de cette information, partagée ci et là au gré des articles, y compris récemment quand Rosa a racheté la firme flamande Umbi pour accélérer sa croissance auprès des hôpitaux. Une ASBL de la tech dirigée par un fondateur de start-up connu pour son ambition de forte croissance avec cette entreprise qui avait levé 12 millions en 2016 auprès du fonds Fortino…, le concept a de quoi surprendre. Comment, en effet, une ASBL pourrait imaginer lever des fonds, être valorisée, voire revendue, pour rémunérer fondateurs et actionnaires?
L’idée est d’introduire des méthodes efficaces du privé pour maximiser l’impact.”
Alex Parisel, directeur général de Partenamut
“Nous sommes dans un schéma totalement différent, précise d’emblée Sébastien Deletaille qui parle d’entrepreneuriat sociétal. Au moment de lancer Rosa, on s’est posé la question de la forme juridique de la structure et on a conclu qu’il était difficile d’avoir une raison d’être sociétale dans une forme juridique marchande.” Sans compter que la création de Rosa ne s’est pas faite dans le fonds d’un garage de (future) start-up entre amis qui rêvaient de changer le monde. “J’ai rencontré Sébastien dans le cadre de son initiative Data For Good, se souvient Alex Parisel, directeur général de la mutualité Partenamut. Et au fur et à mesure de nos discussions, nous avons évoqué le graal d’une mutualité: l’appli santé qui fait le pont entre les patients et les pros du secteur. Dès lors que l’on considère que la santé est un bien commun et qu’on veut éviter que ce genre d’appli ne soit développé par les Gafa, l’idée est née…” C’est donc bien dans le giron de Partenamut qu’est née Rosa. Il a tout de suite été imaginé que le produit devait être gratuit pour les patients et que le projet allait nécessiter des fonds. Or, Partenamut dispose d’un fonds qui soutient des innovations: Partena Promeris. Et le monde des mutualités est construit autour des ASBL. C’est donc assez naturellement que ce statut juridique a été choisi pour Rosa.
Des méthodes du privé
“Ce qui ne veut absolument pas dire que l’on doit s’inscrire dans un schéma de développement moins qualitatif, réalisé par des bénévoles et sans moyens, insiste Alex Parisel. Au contraire, l’idée est bien d’introduire des méthodes efficaces du privé dans cette démarche pour maximiser l’impact. En ce sens, un entrepreneur de la tech comme Sébastien Deletaille apporte les bons réflexes pour cet objectif. Et la structure de l’ASBL apporte la vision sociétale inscrite dans la durée.” Il est d’ailleurs intéressant de constater que les fondateurs de l’ASBL sont issus de la galaxie Partena et que Sébastien Deletaille n’en fait pas partie comme membre fondateur, mais apparaît comme représentant légal de l’ASBL, en tant que CEO. “Il n’en reste pas moins un membre fondateur au même titre que Partena”, insiste Alex Parisel.
Le choix de l’ASBL n’est, par ailleurs, pas anodin dans le secteur de la santé. Cela rassurerait même le secteur et écarterait une certaine méfiance. “C’est un secteur où il y a une vraie opposition entre le marchant et le non-marchand, observe Sébastien Deletaille. Et on constate le souhait de la part des professionnels, des institutions et du régulateur de voir émerger des acteurs sans but lucratif. Par ailleurs, l’avantage de l’ASBL, c’est qu’on élimine le rapport capitalistique. Il n’y a pas d’actionnariat et ce qui reste, c’est la mission sociétale.” Pour Rosa, il s’agit d’utiliser le numérique pour améliorer l’accès à la santé, pour augmenter la prévention et donc, in fine, améliorer la santé des gens. Pas seulement pour les membres de Partenamut, mais pour l’ensemble des Belges.
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Cette mission, elle est mesurée par des KPI (key performance indicators) très précis, mais adaptés. Les responsables de Rosa ne regardent pas en premier les revenus de la “start-up/ASBL” mais d’autres éléments qui leur permettent de déterminer l’intérêt de leur projet et l’impact qu’il a auprès des utilisateurs. “Chez Rosa, la première metric n’est pas le revenu récurrent, évoque Sébastien Deletaille. C’est plutôt le nombre d’utilisateurs corrélé au nombre d’institutions et de professionnels de la santé qui nous utilisent, le nombre d’interactions avec les patients, le nombre de prises de rendez-vous, leur fréquence, etc. C’est là-dessus que je suis évalué en tant que CEO.”
Au niveau du financement, à côté des débuts de rentrées que génèrent certains services de Rosa, l’ensemble des développements est actuellement financé par Partena Promeris, depuis deux ans. Et probablement pour au moins cinq ans encore. Alex Parisel ne dévoile pas les montants alloués à Rosa. Il précise toutefois que sa mutualité consacre annuellement entre 3 et 5% des 100 millions d’euros de revenus des assurances complémentaires de ses membres au financement d’innovations, dont Rosa qui emploie aujourd’hui une quarantaine de personnes. Sans forcément attendre d’autre retour que l’impact sociétal, l’ASBL ne pouvant en effet être revendue.
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