Ces start-up belges qui ne gagnent pas d’argent… mais rachètent des concurrents

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Christophe Charlot
Christophe Charlot Journaliste

L’acquisition comme stratégie de développement. Voilà le pari de plusieurs start-up du digital qui plutôt que de développer de nouveaux créneaux de marchés, zones géographiques ou produits, décident de mettre la main sur d’autres entreprises.

Certains sont devenus des spécialistes en la matière…. Des entrepreneurs ambitieux, à la tête de structures déjà importantes, font régulièrement le pari de la croissance par acquisitions. Par exemple, le groupe bruxellois Efficy, spécialiste du CRM (gestion de la relation client), a racheté une dizaine d’entreprises depuis sa création en 2005… dont trois rien qu’en 2021. Même stratégie pour le groupe flamand de marketing digital Intracto (devenu iO) qui a intégré pas moins de 25 agences digitales. Ou pour UnifiedPost, spécialiste dans l’optimisation du traitement électronique des flux de factures et d’autres documents administratifs, basé à La Hulpe.

Procéder à des acquisitions n’a rien d’anormal pour de telles entreprises dès lors qu’elles souhaitent se positionner sur un secteur méconnu, un marché spécifique ou trouver de nouveaux talents. Ces firmes ne font d’ailleurs que s’inspirer des mastodontes de la Silicon Valley qui comptent parmi les champions mondiaux du rachat de boîtes. Ceci étant, des start-up plus modestes choisissent aussi parfois cette piste d’expansion. Y compris alors qu’elles affichent des pertes…

Bart de Wulf (CEO Umbi) et Sébastien Deletaille (CEO Rosa).
Bart de Wulf (CEO Umbi) et Sébastien Deletaille (CEO Rosa).© Jonas Keppens

Moins cher que du marketing

Cet été, par exemple, plusieurs jeunes pousses belges du numérique ont annoncé le résultat de leurs emplettes. La plateforme d’e-santé Rosa a repris Umbi, son concurrent flamand. L’enseigne bio en ligne Kazidomi a fait de même avec les sites français Smartfooding et Graine de bonne santé. Et plus récemment encore, les plateformes belges francophones de gestion des clubs de sport iClub et BigCaptain ont annoncé semblable opération (lire l’encadré).

Les raisons derrière ces acquisitions peuvent être très différentes. Alain Etienne, fondateur avec Emna Everard de Kazidomi, justifie le rachat de cet été par leur intérêt de faire grandir leur base de clients. “L’entreprise que l’on visait opère deux sites: Smartfooding et Graine de bonne santé, explique-t-il. Nous avons constaté que les intégrer permettait de capturer des ventes sur des références similaires aux nôtres et de maintenir les synergies: achats, logistiques, etc. Cela nous renforce aussi sur certains marchés, notamment le sans gluten, la parentalité, l’enfance… Ce que nous valorisons dans ces acquisitions, ce sont principalement les listings clients et la connaissance de ces marchés niches”. Même s’il ne divulgue pas le montant du rachat, Alain Etienne admet qu’il ne “s’agit pas d’investissements gigantesques”. Mais il détaille son calcul: “Ici, on est dans un mécanisme où l’on est parvenu à acheter moins cher que ce que nous coûte notre marketing. L’opération est d’ailleurs déduite du budget marketing. En outre, cela nous permet d’avoir plus d’échelle, de réduire le cash burn puisque nos commandes sont plus profitables. L’objectif est d’aller chercher suffisamment de volume pour atteindre l’équilibre”.

Pour Rosa, la start-up santé de Sébastien Deletaille qui dévoilait l’acquisition d’Umbi fin de l’été, les motivations sont un peu différentes. Rosa, qui ambitionne de devenir l’application mobile de santé de référence en Belgique, propose actuellement des systèmes de prise de rendez-vous auprès de médecins et de spécialistes. Mais depuis fin 2021, elle désirait également proposer ce service aux hôpitaux. Un domaine où Umbi avait pris de l’avance… “L’acquisition d’Umbi permet à Rosa d’accélérer dans la compréhension que l’on peut avoir de l’hôpital, explique Sébastien Deletaille. Mieux appréhender le marché hospitalier et éviter de gaspiller de coûteux développements et de la R&D, cela a de la valeur. Umbi avait déjà fait ce chemin. Sans compter qu’acquérir une société disposant déjà de six accords de collaboration avec des hôpitaux était une belle opportunité: on achetait donc immédiatement des liens avec six gros clients, sans passer par aucun cycle de conversion, qui peut être assez long avec des acteurs comme les hôpitaux.”

Aller plus vite

Mettre la main sur une jeune pousse qui a pris un peu d’avance sur un créneau, c’est donc aussi gagner du temps. “Pour des start-up qui veulent ou doivent aller vite, observe Joffroy Moreau, fondateur du cabinet de conseil Ekkofin, une acquisition constitue une opération plus stratégique que pour un grand groupe déjà bien établi. Quand un CEO de start-up développe son activité, il a le temps en ligne de mire. S’il achète une boîte équivalente qui lui permet de pénétrer plus vite le marché qu’en le faisant lui-même, cela fait sens.”

C’est notamment le cas pour un développement international. Certaines firmes qui désirent grandir à l’étranger achètent des sociétés actives dans les pays où elles veulent lancer leurs activités. Ce fut, par exemple, le modèle suivi par Sortlist, la plateforme belge de mise en contact avec des agences marketing. L’entreprise s’est installée en Espagne en 2017 via l’acquisition de son (petit) concurrent local The Briefers, qui comptait quatre personnes. “Cette option permet de gagner du temps, nous avait alors confirmé Nicolas Finet, cofondateur de la scale-up. On mettrait deux fois plus de temps par nous-mêmes. Ici, on peut s’appuyer sur un country manager motivé et une équipe.” Ensuite, en 2020, Sortlist avait mis la main sur Agenturmatching, un concurrent allemand, pour attaquer ce marché. Là aussi, l‘argument de la vitesse avait été mis en avant: la volonté affichée était clairement de gagner du temps en s’appuyant sur le background de l’équipe locale, qui connaissait les rouages et le marché local. “On peut estimer qu’on a gagné deux ans”, nous glissait le cofondateur de l’entreprise.

Doper ses chiffres avant de lever

Mais en matière d’acquisition, il existe autant de cas de figure que de stratégies de start-up. “Certaines entreprises peuvent être intéressées par des brevets complémentaires, note Joffroy Moreau. Ou alors par des équipes, surtout lorsqu’on est sur un marché précis et qu’il y est difficile de recruter des cadors.” Et puis certains rachats peuvent être dictés par des stratégies financières bien précises: un entrepreneur peut vouloir doper son chiffre d’affaires via une acquisition afin de doper ses “metrics” avant une levée de fonds ou une revente…

On ne s’étonnera donc pas forcément de voir des jeunes pousses affichant des pertes chaque année se lancer dans de tels rachats. “Dans le cadre d’une acquisition par une start-up, la rentabilité importe peu puisque ce qui est valorisé, c’est essentiellement sa capacité à réussir“, explique Joffroy Moreau. Si l’acquisition se justifie dans cette course au succès, aucun problème donc. Surtout que dans la plupart des cas, les start-up qui se lancent dans des emplettes “le font avec du capital, enchaîne l’expert d’Ekkofin, donc avec l’aide de leurs investisseurs. Surtout si elles n’ont pas de cash-flow suffisant pour obtenir du crédit bancaire. Or, les start-up techs en très forte croissance brûlent du cash.”

Les risques existent

L’expert donne néanmoins un conseil: bien étudier la valeur des entreprises et éviter de racheter une boîte qui vaut plus de la moitié de la start-up. Car en cas d’échec, c’est l’endettement et la déstabilisation de l’entreprise. “Il faut éviter la fuite en avant”, prévient Joffroy Moreau.

En effet, même si elle promet d’offrir énormément d’opportunités, une acquisition n’est jamais anodine. Et les raisons d’un échec peuvent être diverses. L’une d’elles: la perte des talents. Faire main basse sur une équipe implique un gros travail d’intégration, cela va sans dire. Sans ce travail, les équipes de la firme acquise risquent de ne pas y trouver leur compte, de ne pas adhérer à la culture de l’acquéreur… et de quitter la nouvelle structure. C’est ce qu’avait expérimenté tel groupe informatique belge ayant fait l’acquisition d’une start-up. Le choc de culture avait eu raison des membres du personnel. En une grosse année, ceux-ci avaient quasiment tous déserté l’entreprise.

Cette attention particulière portée à la culture d’entreprise, Sébastien Deletaille, le CEO de Rosa, s’y est énormément astreint. Tant pour instaurer une culture spécifique dans sa start-up qu’en vue du rachat d’Umbi. “La culture est un gros défi, insiste l’entrepreneur. Il est possible d’intégrer une petite structure dans une structure un peu plus grosse ; je pense que le ratio 3 ou 4 est le bon pour que cela se passe de manière douce. Mais il faut bien sûr des valeurs partagées et un bon alignement. Durant la phase de due diligence financière, nous avons aussi effectué une due diligence auprès des employés. On a rencontré individuellement toutes les personnes clés pour connaître leur vision, leurs objectifs. Pour leur demander aussi si elles comptaient rester dans la nouvelle structure. Et comme les missions de Rosa et d’Umbi sont bien partagées, on est convaincu que la majorité va adhérer et rester au sein de la nouvelle structure.”

Rachat dans les plateformes pour clubs de sport

Quand deux entreprises de sportech décident de ne pas entrer en guerre mais de nouer leur destin… C’est un peu l’histoire de BigCaptain et iClub, deux start-up francophones ayant développé des plateformes pour les clubs de sport (gestion, réservation de terrains, etc.). Après quasiment 20 ans d’existence, iClub était arrivée à un moment où elle allait devoir revoir l’ensemble de sa technologie. De son côté, BigCaptain, start-up un peu plus jeune (fondée en 2014), venait de lever des fonds (500.000 euros) et nourrissait l’ambition de devenir leader du créneau en Belgique. Or, le secteur compte de plus en plus d’acteurs et d’initiatives. Est alors née l’idée d’un rapprochement. Les deux entreprises affichent la même vision et se complètent à merveille, expliquent leurs fondateurs respectifs. IClub est bien présente dans les clubs multisports, dont les tennis, mais aussi auprès des organisateurs de stages et de cours. BigCaptain, elle, est très active auprès des clubs de sport collectif (basket, foot) ou des fédérations sportives. BigCaptain a donc avalé son concurrent, même si iClub génère plus de revenus… “Techniquement, c’est BigCaptain qui rachète 100% d’iClub mais dans les faits, on fusionne les équipes”, détaille Bruno Patris, le fondateur de BigCaptain qui a absolument souhaité garder à bord le fondateur d’iClub, Olivier Mosberg.

Les deux équipes, d’une dizaine de personnes, vont donc se rejoindre. Et tout le monde devrait rester… “Nos entreprises n’étant pas au même stade de développement, il n’y a pas de doublon dans les équipes, précise Olivier Mosberg. On se complète bien. BigCaptain est plus jeune et plus moderne, mais nos compétences vont leur servir. On a des experts qui traitent des dossiers plus complexes, qui caractérisent la phase dans laquelle arrive BigCaptain.”

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