La planète finance face à la pénurie de talents

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Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Spécialistes crédit, actuaires, experts-comptables, ingénieurs IT, juristes: la finance n’échappe pas à la pénurie de talents à laquelle sont confrontés bien des secteurs économiques. Comment y répondre? Quels conseils appliquer pour attirer et fidéliser les bons profils? Eléments de réponse.

S’il y a bien un secteur où l’on cherche des bras et des cerveaux pour le moment, c’est celui-là: la finance. Rien que du côté des grandes banques du pays (BNP Paribas Fortis, KBC, Belfius, ING Belgique), il est prévu d’engager plus de 1.500 personnes cette année. Sont surtout recherchés des jeunes diplômés pour des fonctions commerciales, dans le domaine IT, sur le terrain de la compliance ainsi que dans les contact centers.

La lutte est rude. Pas uniquement pour recruter des jeunes. C’est le cas pour tous les types de candidats.

Or, “comme dans tous les secteurs à l’heure actuelle, il existe aussi une grande pénurie de talents dans la finance en général, plante Iris Houtaar, senior director chez Robert Half. Et bien sûr, plus les attentes sont spécifiques (certaines connaissances techniques, compétences linguistiques, sociales, etc.), plus la situation devient difficile dans toutes les fonctions. On voit ainsi certaines pénuries très spécifiques, dans les profils moyennement expérimentés avec 5 à 10 ans d’expérience, dans les métiers liés à la comptabilité ou dans des fonctions plus spécialisées telles que l’audit interne ou la trésorerie”.

A cause du covid

Manque de diplômés, concurrence des grandes firmes de consulting (Big 4) et des régulateurs (Banque nationale, etc.), nouvelle génération qui attache plus d’importance à la qualité de la vie: plusieurs facteurs expliquent que beaucoup d’emplois sont à pourvoir dans la banque, l’assurance, les fiduciaires, etc. A commencer par le fait que “les jeunes sont moins nombreux que par le passé à choisir un emploi dans la finance, observe Iris Houtaar. Dans certaines régions de Flandre, ils ne sont plus qu’un tiers par rapport à il y a 10 ans, bien qu’il y a là aussi des perspectives d’avenir intéressantes”.

Bien sûr, le covid est aussi passé par là. “La pandémie a évidemment changé beaucoup de choses, poursuit Iris Houtaar. Par exemple, l’introduction généralisée du télétravail, qui n’était pas possible dans de nombreuses entreprises auparavant. Les employés ont vu les avantages que cela apporte et ne veulent donc pas revenir à un modèle où l’on est au bureau cinq jours par semaine. Nous constatons que des offres sont refusées à la dernière minute s’il n’y a pas de possibilité de travailler à domicile”, note la spécialiste de Robert Half.

Ce constat, le vice-président de l’Ordre des experts-comptables et comptables brevetés de Belgique (OECCBB) le pose également. Vincent Delvaux estime que “la profession éprouve des difficultés à recruter en raison du manque de diplômés mais aussi à cause de l’image d’un métier qui ne paraît pas se tourner assez vite vers les nouvelles technologies, et pourtant…” Ceci dit, même les start-up technologiques et leur environnement de travail à priori plus sexy n’échappent pas au phénomène. “En tant que fintech, nous sommes également confrontés à la guerre des talents actuelle, témoigne Alessandro Drappa, cofondateur de Recovr, jeune société spécialisée dans la gestion automatisée des factures. Les profils IT sont très difficiles à trouver. C’est également le cas pour trouver de bons commerciaux ou des experts en marketing digital. La lutte est rude.” Et pas uniquement pour recruter des jeunes. C’est le cas pour tous les types de candidats.

En effet, observe Iris Houtaar, “ils savent qu’ils sont aujourd’hui dans une situation privilégiée, ils sont souvent surchargés d’offres d’emploi et ont plusieurs processus de candidature en cours simultanément. L’exercice est difficile pour se positionner comme le meilleur choix en tant qu’entreprise”. Notamment sur le plan financier, signale Alessandro Drappa: “Dans le domaine du marketing digital, où il n’existe pas de formation à proprement parler pour les techniques modernes, il n’est pas rare de voir des profils ayant un an et demi d’expérience qui se lancent en tant que freelance avec un tarif journalier de 500 euros, ce qui équivaut à un tarif d’expert dans son domaine”.

Pas que le salaire

Proposer un package salarial compétitif n’est du reste plus suffisant. “Ce n’est pas là-dessus que nous nous battons pour attirer des nouveaux, ajoute Alessandro Drappa. Nous mettons d’abord l’accent sur la responsabilisation et l’implication dans le projet, celui d’une fintech en croissance, etc.” Présenter d’autres atouts est en effet devenu une condition sine qua non. Et pas seulement en termes de mode de travail flexible et contemporain.

C’est vrai, remarque Vincent Delvaux, “certains ne veulent pas forcément rentrer dans un métier où d’emblée la pression des délais et des heures à prester constituent une inconnue non quantifiable quant au temps à y consacrer et à la rémunération adaptée. En plus d’un équilibre entre vie privée et vie professionnelle, ils sont aussi à la recherche d’une régularité dans les horaires de travail pour pouvoir organiser leur temps libre ou leur temps à passer en famille. Par ailleurs, les salaires offerts en début de carrière dans les cabinets d’expertise-comptable ou de conseils en fiscalité non internationaux, sont équivalents quoique ces derniers et les entreprises moyennes ou grandes offrent souvent, d’emblée, des avantages comme des chèques-repas, une voiture de société, une assurance hospitalisation, des jours de congé complémentaires, etc.”. C’est le cas par exemple chez KBC (et CBC) où les points forts du groupe de banque et d’assurance résident selon lui dans un package global accompagné d’un vaste plan cafétéria dans lequel il est possible de convertir une partie de son salaire en divers avantages (vélo de leasing, jours de vacances supplémentaires, voiture de société, smartphone, assurance groupe étendue, etc.). Sans oublier l’accompagnement dans la carrière qui se traduit souvent par des possibilités d’apprentissage et d’évolution au sein de l’entreprise, grâce par exemple chez KBC à une plateforme de formation en ligne. Bref, “c’est tout l’aspect narratif qui est important, note Iris Houtaar. Racontez l’histoire de votre entreprise. Ne dites pas seulement que vous faites ceci ou cela, mais surtout pourquoi vous le faites. Expliquez clairement aux employés et aux candidats l’impact qu’ils peuvent eux-mêmes avoir et l’impact de l’entreprise sur la société. Plus la valeur ajoutée est grande, plus vous serez attrayant en tant qu’employeur”, conseille la spécialiste de Robert Half.

Recrutement 3.0

Si les demandeurs d’emploi accordent aujourd’hui une grande importance à la vue d’ensemble, il est donc primordial pour une entreprise de bien démarrer le processus de recherche pour avoir une chance de se distinguer. “En tant qu’employeur, vous ne pouvez évidemment pas modifier l’afflux de candidats, explique Iris Houtaar. Ce que vous pouvez faire, c’est contrôler le processus de recrutement afin d’attirer les bons candidats. Et cela commence déjà par la rédaction d’un texte d’offre d’emploi captivant, dans lequel vous, en tant qu’entreprise, parlez de votre histoire de façon détaillée, attrayante et cohérente. Que représente l’entreprise, où veut-elle aller, quelles sont les normes et les valeurs, qu’en est-il de la culture d’entreprise, etc. Soyez ouvert d’esprit et optez pour des entretiens par téléphone ou visio, vous gagnerez ainsi du temps. Osez voir plus large: le candidat n’a peut-être pas la bonne expérience, mais il a l’état d’esprit approprié et correspond à l’entreprise.”

En définitive, comme nous le souligne la DRH du groupe Axa, Karima Silvent, dans le petit entretien qu’elle nous a accordé, il est très important de s’éloigner de l’ancien modèle de recrutement (lire “L’onboarding des nouveaux engagés est devenu plus complexe” ci-dessous). Selon Iris Houtaar, il faut effectivement travailler sur un processus de recrutement plus moderne et plus rapide. “Toutes les conversations ne doivent pas nécessairement se dérouler en face à face, mais elles peuvent aussi avoir lieu sous forme numérique. Cela vous fera gagner du temps. Et ne vous accrochez pas désespérément au ‘profil idéal’ car vous risquez alors de le chercher pendant longtemps. Les compétences peuvent être acquises sur le lieu de travail mais pas l’attitude et la volonté d’apprendre. Tenez-en compte également”, conclut la spécialiste de Robert Half.

“L’onboarding des nouveaux engagés est devenu plus complexe”

Diplômée de Sciences Po et ancienne élève de l’ENA, Karima Silvent est passée par le ministère français de l’Emploi, les hôpitaux publics de Paris et le groupe Korian avant de rejoindre l’assureur Axa en 2012. En juillet 2016, elle était nommée directrice des ressources humaines et membre du comité exécutif d’Axa France, avant de devenir ensuite DRH et membre du comité exécutif de tout le groupe Axa, soit 110.000 personnes dans 50 pays.

Karima Silvent
Karima Silvent© pg

Parmi les bouleversements initiés par le covid en matière de ressources humaines, elle met notamment en avant “l’implication des collaborateurs qui a augmenté durant cette période et qui n’a jamais été aussi élevée aujourd’hui”, et ce malgré le saut dans un modèle de travail hybride dès la fin 2020. Un modèle qui prévoit deux ou trois jours de travail à distance, déployé par le groupe partout dans le monde et qui, selon Karima Silvent, demande de réinventer les rapports humains. “Il faut repenser la manière d’interagir pour garder la cohésion des équipes dont le point d’ancrage doit rester le bureau. Il faut de la convivialité, des espaces qui favorisent les moments collectifs, les équipes doivent pouvoir discuter de leurs rituels, etc.”

Côté crise des recrutements, Axa n’échappe pas, malgré le pouvoir d’attractivité lié à la dimension internationale de l’entreprise, aux tensions sur le marché du travail “dans certains segments comme les spécialistes IT ou les actuaires, qu’il devient plus difficile de recruter un peu partout dans le monde”, confie la DRH, ajoutant que les candidats demandent de plus en plus à pouvoir rencontrer leur futur manager ou leurs futurs collègues avant de prendre une décision. “Pour voir si le job offert a du sens, s’il correspond aux attentes en termes d’implication, de responsabilités, etc.” Quant à l’onboarding des nouveaux engagés, “c’est un défi pour beaucoup d’entreprises dans la mesure où leur intégration est devenue plus complexe que par le passé à cause du travail hybride”, souligne-t-elle.

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