Qui se soucie des finances wallonnes ?

La Région wallonne ­pourra-t-elle éviter une cure d’austérité ? © Getty Images/iStockphoto
Baptiste Lambert

Elles sont de retour : les règles budgétaires européennes obligeront 
la Belgique à fournir un effort d’environ 30 milliards d’euros dans 
les prochaines années. Et la Région wallonne, dans tout ça ? On en parle 
très peu. C’est une erreur majeure.

Fumée blanche. En février, le Conseil, la Commission et le Parlement européens sont parvenus à un accord, après plusieurs années de tergiversations. C’est quasiment officiel : le respect des règles budgétaires devrait faire son grand retour au sein de l’Union à partir de janvier 2025.

Que nous dictent-elles, ces nouvelles règles ? D’abord, de respecter les immuables critères de Maastricht. Pour être dans les clous, la dette ne devra pas dépasser 60% du produit intérieur brut (PIB) et le déficit ne pourra pas excéder 3%. Pour le reste, elles feront preuve d’une plus grande flexibilité. Elles s’adapteront mieux à la situation de chaque Etat membre. Ainsi, côté carotte, si un Etat applique des réformes structurelles ou investit dans des secteurs stratégiques, il pourra lisser son effort budgétaire sur sept années plutôt que sur quatre. Côté bâton, on parle d’un effort de 0,5% du PIB par an pour celui qui serait hors de ces normes. Dans le cas des pays les plus endettés, comme la Belgique, dont la dette avoisine 106% du PIB, on ferait face à une restructuration annuelle de 0,65% du PIB, soit 5 à 6 milliards d’euros par an. C’est en tout cas ce qu’a déjà chiffré Alexia Bertrand (Open Vld), secrétaire d’Etat au Budget. Au total, il faut donc aller chercher 30 milliards d’euros, par la porte ou par la fenêtre. Un effort à répartir entre l’Etat fédéral et les entités fédérées. Last but not least, et c’est une nouveauté : un regard très attentif sera porté aux dépenses publiques. Il n’est plus question de laisser un Etat membre vivre au-dessus de ses moyens.

La fin de l’argent gratuit

En Belgique, personne ne peut se montrer surpris. Les rapports successifs de la Commission européenne, du Fonds monétaire international, de la Banque nationale, du Conseil central de l’économie et du Bureau du Plan ont tous sonné l’alerte : la dérive budgétaire du pays doit cesser.

Les “années crises”, c’est fini. Pourtant, à certains égards, elles ont eu du bon, car elles ont permis à nos dirigeants de mettre des œillères. Ou ont parfois servi de prétexte. Avec les taux d’intérêt très bas de l’époque, c’était open bar. La bonne tenue des finances publiques n’intéressait plus grand monde. Mais les prochaines années seront bien différentes…

Certes, cette thématique budgétaire peut paraître abstraite. Les Etats s’en sortiront toujours, pense-t-on. Mais on se trompe. C’est un enjeu fondamental, qui revient au cœur de toutes les décisions. Parce que la donne a changé. Les plans d’aide successifs et la politique accommodante de la Banque centrale européenne (BCE) ont mené à la flambée de l’inflation, que personne n’a pu ignorer. A l’été 2022, fort tardivement, la BCE n’a eu d’autre choix que de réagir en relevant ses taux d’intérêt. Désormais, un Etat qui veut se refinancer sur les marchés paie plein pot. C’est ennuyeux, quand on cumule important déficit et dette colossale. La charge sur cette dette est une boule de neige. Et l’hiver vient tout juste de ­commencer : c’est la fin de l’argent gratuit.

La Wallonie, 
en première ligne

Et la Wallonie, dans tout ça ? Cet automne, la Région et son ministre du Budget, Adrien Dolimont (MR), ont présenté un budget 2024 pour le moins original – un budget “à l’équilibre” concernant les dépenses courantes, mais qui l’est beaucoup moins si l’on tient compte des dépenses dites “exceptionnelles”, qui proviennent donc des crises successives.

Dans les faits, la Wallonie vit bien au-dessus de ses moyens. Depuis 2020, l’écart entre les recettes et les dépenses tourne autour de 3 milliards d’euros chaque année. Et forcément, cela fait de la dette wallonne un puits sans fond. La Cour des comptes est formelle : depuis 2017, cette dette a quasiment doublé. Elle passera de 21 milliards à environ 40 milliards d’euros d’ici fin 2024, selon les projections.

Le ministre du Budget, qui ne fait pas l’autruche sur les difficultés budgétaires de la Région wallonne, tempère : “Notre budget 2024 tient la route. Il a d’ailleurs été bien reçu par l’agence de notation Moody’s, qui n’a pas dégradé la note wallonne. Elle se situe toujours à A3”. Une lueur dans la grisaille.

Car en commission budgétaire du Parlement wallon, le prédécesseur d’Adrien Dolimont au Budget, André Antoine (Les Engagés), dressait un tableau bien plus sombre, même s’il s’est senti bien seul. “Ce jour-là, mis à part le président de la commission et le ministre qui répondait à mon interpellation, j’étais le seul député. C’est vous dire l’intérêt pour les finances publiques, au sud du pays”, tance l’élu.

Pourtant, “la situation est dramatique, et je pèse mes mots. Je ne suis pas là pour noircir le tableau. Vous savez, je suis à l’automne de ma carrière politique et je ne me représente plus (aux élections de juin prochain, Ndlr). Mais il faut un discours de vérité, et je ne l’ai pas entendu au sein de l’actuelle majorité. Seul le ministre Dolimont l’a évoqué, à demi-mot”, poursuit le député.

© BELGA
La situation est dramatique, et je pèse mes mots.” – André Antoine (Les Engagés)

L’ardoise wallonne ne s’arrêterait pas là : “En plus des chiffres que vous citez, je rajouterais plusieurs éléments. A la dette wallonne, il faut annexer plus de 8 milliards d’encours vis-à-vis de nos engagements qui ne sont pas encore payés. Vulgairement, c’est ce qu’on appelle la dette sous le tapis”, plaisante cyniquement André Antoine. Un exemple : “En termes d’aides et de primes aux PME, nous avons une dette de 1,02 milliard d’euros. La Région wallonne a pris des engagements, mais ne les a pas encore liquidés.” Ce sera tout ? Non. Le député ajoute “une dette flottante” au montant inconnu, pour exécuter les promesses du plan de relance. Sans doute 3 milliards d’euros. La conclusion d’André Antoine est sans appel : “Nous sommes clairement dans la situation où la prochaine législature, celle de 2024-2029, va devoir payer les promesses du gouvernement actuel.”

Une bataille 
de chiffonniers

Mais que signifient ces nouvelles règles budgétaires européennes pour la Région wallonne ? “On n’a pas encore de chiffres”, reconnaît Adrien Dolimont, qui a questionné à ce sujet le Conseil supérieur des finances, chargé de déterminer la répartition de l’effort entre l’Etat fédéral et les entités fédérées.

On touche ici un point clé de notre analyse : les institutions européennes ne connaissent pas les entités fédérées. La Commission européenne a l’Etat fédéral pour seul interlocuteur. C’est à lui et aux entités fédérées de trouver un arrangement pour se répartir l’effort. Or “cette concertation est inexistante depuis le début de la législature 2019”, soutient André Antoine. Chaque entité agit à sa guise, sans se coordonner avec le reste de la maison Belgique. C’est un jeu dangereux. Surtout pour les entités francophones.

On s’explique. L’Etat fédéral – c’est en tout cas la thèse défendue par Alexia Bertrand – ne fera pas plus d’efforts qu’il n’en faut. Après tout, pour le déficit 2023, si on enlève celui des entités fédérées, l’Etat fédéral est proche de son objectif de 3 %. En outre, la secrétaire d’Etat considère que le fédéral aura fort à faire avec l’explosion des coûts liés au vieillissement. Si l’on ajoute à cela les investissements dans la défense, la coupe est déjà pleine.

Allons un pas plus loin. Si la Flandre venait à retrouver l’équilibre, ce qu’elle promet de faire dans les années qui viennent, pourquoi continuerait-elle à fournir des efforts supplémentaires alors que son ratio dette/recettes publiques est de l’ordre de 60 %, pour 223 % en Wallonie ? Pourquoi la fourmi flamande ne pourrait-elle pas se mettre à chanter ? Elle en aura rapidement les moyens, contrairement au sud du pays. En effet, l’écart de l’impôt sur les personnes physiques ne cesse de se creuser, entre le nord, plus riche, et le sud. A long terme, même la démographie joue en sa faveur.
”A quelle sauce va-t-on être mangé ?”, s’inquiète André Antoine, pour qui les défis sont “colossaux”. Il ne voit pas bien comment la Région wallonne pourrait éviter une cure d’austérité. Et ce raisonnement vaut aussi bien pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui fait face à un lourd déficit, que pour la Région bruxelloise, qui réalise l’exploit de cumuler les deux tares : le déficit et l’endettement.

Vers l’austérité ?

“Pour être de bon compte, ces nouvelles règles budgétaires n’ont pas encore été votées par le Parlement européen et au vu des déclarations des uns et des autres, cette étape risque de rencontrer des difficultés”, tempère Adrien Dolimont. En effet, dans nos colonnes, le député européen Philippe Lamberts (Ecolo) comparait les nouvelles règles budgétaires européennes à un “suicide collectif” organisé par les “somnambules de l’UE”. En Belgique, son président de parti, Jean-Marc Nollet, interrogé par RTL-TVi, relayait ce sentiment : “Ce que propose l’Europe, c’est inacceptable. C’est l’austérité. C’est ce que les libéraux et les conservateurs souhaitent. Et je suis inquiet de voir que les socialistes européens sont aussi favorables à ce projet.” Le coprésident ne désespère pas de leur faire entendre raison, d’ici le vote, en avril prochain, car “ces règles empêchent tous les pays d’investir dans la transition”.

Adrien ­Dolimont, ­ministre wallon du Budget : “On doit faire des choix.” © BELGA

Il pourra sans doute disposer d’un allié, en Belgique, en la personne d’Elio Di Rupo (PS), ministre- président wallon, qui à la suite de l’accord, sortait un communiqué au vitriol dans lequel il se déclarait “totalement insatisfait”, craignant “le retour de l’austérité budgétaire en Europe !”.

Adrien Dolimont, en revanche, voit dans les nouvelles règles budgétaires “un accord équilibré”. D’ailleurs, “les réponses d’Elio Di Rupo à ce sujet ont déjà évolué entretemps. Et je les rejoins sur la nécessité d’investir dans les transitions. Mais cela doit se faire dans la maîtrise des dépenses publiques. Substituer à une dette sociale ou environnementale une dette financière est tout aussi paralysant pour l’intérêt des générations futures.”

Le budget et les coalitions

La question de savoir qui peut l’entendre reste entière. En Belgique francophone, la thématique budgétaire est très peu porteuse électoralement. Les francophones ont souvent tendance à penser que les finances publiques concernent l’argent de l’Etat alors qu’en Flandre, on parle plutôt d’argent du contribuable. Cette différence de sensibilité se répercute souvent au sein du gouvernement fédéral.

Mais en Wallonie, qui y a-t-il pour se soucier des finances publiques ? “On doit faire des choix”, appuie le ministre du Budget, qui veut faire de l’axe budgétaire “le chapitre numéro 1 du prochain accord de gouvernement”. Il faut “cibler les priorités”, insiste-t-il.

“Une sélectivité que l’on n’a absolument pas vue dans la tripartite actuelle, recale François ­Desquenes (Les Engagés), député wallon. Ils ont été incapables de faire des choix dans le cadre du plan de relance. Il y a eu toutes sortes de dépenses non concertées, uniquement financées par de la dette. Et aucune de ces dépenses n’a fait l’objet d’une évaluation en amont. Les ministres se sont fait plaisir : PS, MR et Ecolo ont chacun eu leurs projets.” L’occasion, pour le parti d’opposition, de poser sa première condition pour intégrer une éventuelle coalition : “Il faut arrêter les projets du plan de relance qui ne sont pas encore initiés.”

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