La voiture électrique fait peur au Belge

Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Les automobiles à batteries ont doublé leur nombre sur nos routes l’an dernier, grâce aux voitures de société, mais ne sont pas pour autant encore très populaires. Elles affrontent même un scepticisme grandissant.

Plus les voitures électriques se vendent, plus la méfiance monte. La banque BNP Paribas Fortis l’a relevé avec son baromètre de la mobilité, publié ce mois de janvier. Dans cette enquête portant sur 2.003 personnes, 42% des répondants n’envisagent pas d’acheter une automobile électrique ou hybride d’ici 2029, contre 35% en 2022. Aux Etats-Unis, le loueur Hertz a annoncé revendre le tiers de sa flotte de Tesla, 20.000 véhicules, faute de demande pour des modèles électriques, et en raison de frais de maintenance plus élevés que prévus.

Cette réticence se lit dans les commentaires sur Facebook, où chaque publicité pour des voitures à piles est saluée par des commentaires genre “pas pour moi” ou “la remorque avec générateur électrique diesel est-elle prévue pour les longues distances ?”.

Pourtant, les Tesla Model Y et autres Volkswagen ID.4 entrent en force sur nos routes. “L’an dernier, 19,6% des voitures neuves immatriculées étaient électriques”, déclare Romain Denayer, coordinateur d’EV Belgium, fédération de la mobilité électrique en Belgique. La croissance devrait continuer en ­Belgique et atteindre les 30% à 40% du nombre d’immatriculations en 2024.

Cette percée s’explique surtout par la fiscalité des voitures de société, largement majoritaires dans les ventes actuellement. Les entreprises n’ont guère le choix. Une automobile à batteries est déductible à 100%, contre moins de 70% (en moyenne) pour une voiture à carburant, ce qui permet de gommer le coût plus élevé de ces véhicules. Du reste, depuis juillet dernier, les voitures à carburant commandées offrent une déductibilité dégressive année après année.

L’impact positif de la prime flamande

“C’est le grand sujet chez tous les fleet managers. On est à présent quasi obligé, dans les car policies, de ne proposer que des voitures électriques”, dit Frédéric ­Bastin, vice-président de l’association francophone des fleet managers (AFFM), par ailleurs responsable de flotte du groupe Eiffage en Belgique.

“Depuis juillet, 80% des voitures commandées par les entreprises sont électriques”, relève Christophe Dubon, porte-parole de la Febiac, la fédération de l’automobile et du cycle.

Les particuliers sont encore très peu équipés. Jusqu’ici, les primes à l’achat accordées dans les pays voisins n’existaient pas en ­Belgique. L’an dernier, moins de 10% des automobiles à batteries immatriculées appartenaient à des privés. Cela pourrait changer avec la prime de 5.000 euros attribuée en Flandre aux particuliers et aux associations pour 2024 (4.000 euros en 2025, 3.000 euros en 2026). Une prime de 3.000 euros est aussi disponible pour les voitures électriques ­d’occasion.

“Cette prime devrait avoir un impact sur tout le pays car les importateurs s’efforcent souvent de ramener le tarif de certains modèles juste en dessous de 40.000 euros.” Ainsi la VW ID.3 qui dépassait les 45.000 euros est proposée à 39.990 euros.

La crise allemande

“Nous vivons une plus forte réticence à l’achat de voitures électriques en Allemagne par rapport à 2022, explique Helena Wisbert, professeur d’automotive economics à l’université des sciences appliquées d’Ostfalia. C’est surtout dû à des conditions économiques plus faibles, l’ensemble du marché automobile connaît un déclin. La situation est amplifiée pour les voitures électriques qui sont généralement plus chères. La fin des incitants pour les entreprises et les particuliers s’ajoute à ce facteur. Beaucoup de clients adoptent une position de wait and see, attendant de voir comment se développent l’offre et les tarifs des voitures électriques.”

Les particuliers sont plutôt touchés par des incitants négatifs, qui expliquent un certain agacement dont pâtissent les automobiles électriques. Les zones à basses émissions de Bruxelles, d’Anvers et de Gand contraignent à changer de voiture, ce qui ne se fait pas avec enthousiasme. La perspective de la fin de la vente de véhicules à carburant en 2035 dans l’Union européenne, donc un passage obligé à la voiture à batterie, est très mal perçue. Dans l’enquête de BNP Paribas Fortis, cette décision est jugée “mauvaise” par 66% des répondants.

En Allemagne, les technologies des moteurs à carburant sont fortement associées au plaisir de conduire. Cette association émotionnelle contribue à un certain niveau de scepticisme. – Helena Wisbert (Université des sciences appliquées d’Ostfalia)

Un changement culturel

Passer à la voiture électrique constitue aussi un grand changement culturel. Elle est hypernumérique, il faut pouvoir jongler avec un smartphone. Son utilisation passe par des applications pour trouver des bornes, leurs tarifs, parfois les mettre en route, consulter ou commander à distance la voiture, s’informer sur l’état de la recharge en cours. “Cela me rappelle la réticence qui a longtemps touché les transmissions automatiques, déclare Jean-Marc Ponteville, porte-parole de D’Ieteren Automotive. On nous rétorquait souvent : ‘non merci, moi je sais conduire, je n’en ai pas besoin’.”

“En Allemagne, les technologies des moteurs à carburant sont ­fortement associées aux sports moteurs et, en conséquence, au plaisir de conduire. Cette ­association émotionnelle contribue à un certain niveau de ­scepticisme”, poursuit Helena ­Wisbert.

L’enquête de BNP Paribas Fortis indique toutefois que les utilisateurs de voitures électriques se montrent nettement moins sceptiques: 85% des répondants se disent satisfaits ou très satisfaits. En roulant en électrique, les automobilistes apprécient le silence du véhicule, l’absence de changement de vitesse, le chauffage immédiat de la voiture en hiver.

Cela ne signifie pas que tous les utilisateurs soient ravis. La meilleure expérience est vécue par ceux qui peuvent installer une borne à leur domicile et/ou recharger au bureau. Les gros rouleurs sont moins gâtés, surtout s’ils ne peuvent installer de borne chez eux et qu’ils vont directement chez des clients ou sur des ­chantiers.

Ceux qui n’en veulent pas

L’opérateur de voitures partagées Poppy voit arriver une nouvelle clientèle.

“Nous enregistrons de nouveaux utilisateurs, des personnes qui renoncent à une voiture de société car ils ne souhaitent pas rouler en électrique. Ils habitent en ville, en appartement, n’ont pas de garage et n’ont pas envie de charger dans la rue”, relève Pierre de Schaetzen, chief marketing officer de Poppy.

Le phénomène est confirmé par Frédéric Bastin, fleet manager chez Eiffage. “Le budget de mobilité offre une alternative pour ceux qui ne souhaitent pas passer à l’électrique. Mais c’est encore un phénomène réduit, reconnaît-il. C’est plutôt une situation de niche, à Bruxelles ou à Anvers. Elle séduit surtout des jeunes intéressés par l’alternative du budget de mobilité.”

Quatre réticences

Quelles sont les raisons invoquées pour refuser la voiture électrique ? Les sondés de BNP Paribas ­Fortis en mettent trois en avant : l’autonomie insuffisante, le temps de recharge et le coût. Plus un élément: l’absence ­d’utilité.

Une autonomie insuffisante. Même des voitures électriques à plus de 100.000 euros, comme la Mercedes EQS 450 ou la Tesla Model S, qui affichent respectivement 722 et 634 km de rayon d’action, n’arrivent pas à l’autonomie d’une Dacia Sandero à 15.390 euros. Une automobile à carburant peut aisément rouler 800 km, quel qu’en soit le tarif. L’autonomie d’une voiture électrique moyenne actuelle se situe entre le tiers et la moitié de celle d’une voiture à carburant (autour des 400 km), avec une baisse en hiver (20% facilement). La bonne nouvelle est que l’autonomie tend à augmenter: elle a au moins doublé en 10 ans pour les modèles européens. Les Renault Zoe annonçaient 210 km à leur lancement en 2013, la Renault Mégane e-tech, lancée en 2022, promet 470 km, tandis que la Scenic lancée cette année propose jusqu’à 625 km. BMW annonce 30% d’autonomie en plus pour la future gamme “Neue Klasse”, à partir de 2025.


“On ne doit pas se laisser affoler, déclare Romain Denayer (EV ­Belgium). J’habite à Bruxelles, je n’ai pas de garage, je charge dans la rue, ça marche très bien. En ­Belgique, l’automobiliste roule peut-être 60 km par jour. Même avec une voiture qui a une autonomie de 200 km, il y a moyen de rouler trois jours sans recharger. Il y a les trajets longs pendant les vacances qui suscitent des craintes. Pour ces quelques trajets par an, on peut les réaliser à son aise, et les bornes rapides se multiplient sur les autoroutes, notamment en France.” Frédéric Bastin est plus nuancé. Comme fleet manager, il est confronté aux contraintes des utilisateurs. “Le premier souci est la catégorie budgétaire à laquelle le salarié a droit. Les petits budgets risquent de ne bénéficier que de véhicules à petites batteries.” “Lors de la commande du véhicule, poursuit-il, il faut passer un peu de temps avec l’utilisateur pour comprendre ses besoins, éviter qu’il ne choisisse un véhicule qui ne correspond pas à son usage. S’il veut un break, et qu’il roule beaucoup, cela risque d’être compliqué, car les modèles actuellement disponibles dans cette catégorie n’ont pas une autonomie importante, il vaut mieux prendre un autre véhicule.”

Un temps de recharge trop long. Il y a peu de chance que la recharge d’une électrique atteigne la vitesse d’un plein. Même sur une borne dite ultrarapide, il faut au moins 30 minutes d’attente pour arriver à 80% de charge. Sur une borne à domicile ou au bureau, cela peut durer sept heures et plus, selon la vitesse de charge. Cela exige plus d’organisation qu’une voiture à carburant, en planifiant ses recharges, en repérant les bornes pour éviter de perdre du temps et les surprises désagréables.

Pour autant, les automobiles en panne de batterie haute tension sont rares. “Lors des dernières vagues de froid, Touring Secours n’a pas observé de grands changements dans les interventions”, assure Joost Kaesemans, porte-parole de l’ASBL Touring.

Quand au nombre de bornes, la situation s’est nettement améliorée, elles se multiplient. Presque partout… “A Bruxelles et en Flandre, le nombre de bornes est devenu très correct, ajoute Romain Denayer. En Wallonie, il y a encore un grand effort à fournir, le gouvernement régional a fini par s’en préoccuper, mais il faut encore attendre les résultats. La situation sur les routes et autoroutes au sud de Namur et de Charleroi, par exemple, est encore préoccupante.” Ainsi, l’autoroute entre Bruxelles et Liège a connu une progression spectaculaire du nombre de bornes rapides. En revanche, la situation est très problématique entre Namur et Arlon.

A Bruxelles et en Flandre, le nombre de bornes est devenu très correct. En Wallonie, il y a encore un grand effort à faire – Romain Denayer (EY)

Prix trop élevés. Les voitures électriques sont généralement plus chères que celles à carburant. L’écart se réduit toutefois. Les tarifs devraient se rapprocher à partir de 2025. Plusieurs constructeurs comme Citroën, Renault ou Volkswagen annoncent des modèles à des tarifs plus grand public, autour de 25.000 euros.

Certains modèles arrivent actuellement à des niveaux compétitifs, comme les MG4, des voitures compactes du groupe chinois SAIC, format VW Golf, vendues à partir de 32.285 euros (350 km d’autonomie WLTP), très bien accueillies par la presse automobile. La marque propose un modèle avec 520 km d’autonomie à 41.285 euros. La MG4 a fait une percée remarquée en Europe, dans le top 10 des électriques les plus demandées.

Tesla a aussi créé une forte pression sur les prix en réduisant à plusieurs reprises ses tarifs. En Belgique, la Tesla Model Y est facturée depuis peu à partir de 43.970 euros. Il y a un an, elle coûtait plus de 50.000 euros. Ce mouvement contraint les concurrents à raboter leurs tarifs, même s’ils s’en défendent.

Absence d’utilité. Une bonne partie de ceux qui roulent en voiture à carburant ne voient pas l’intérêt à passer à l’électrique. Ils en craignent les inconvénients, n’en perçoivent pas les avantages, surtout s’ils n’ont jamais roulé avec ce type de véhicule. “Les conducteurs de voitures électriques sont convaincus des bénéfices de ces modèles. Cependant, convaincre la grande majorité des clients est cruciale pour une large adoption de l’électromobilité”, estime Helena Wisbert.

La tradition fiscale nationale de la voiture de société devrait aider à familiariser les automobilistes. “C’est un marché à deux vitesses. Le passage à la voiture électrique est bien plus aisé quand il s’agit d’une voiture de société, ajoute Joost Kaesemans. Souvent, l’employeur fait installer, si c’est possible, une borne à domicile. Le salarié n’encourt pas de risque sur la valeur de revente, qui est encore une question incertaine pour les électriques. Il n’y a pas d’indication sur la valeur résiduelle d’une automobile à batterie après quatre, cinq, six ou sept ans. Le particulier ne bénéficie pas de cet accompagnement.”

Un marché de l’occasion petit et compliqué

Plus fondamentalement, le particulier achète surtout des véhicules d’occasion, et l’offre actuelle en électrique est quasi inexistante et peu variée (à peine 1,8% du volume total pour 2023). Pour avoir un choix suffisant, il faudra attendre quelques années, quatre ou cinq ans, quand la vague actuelle de voitures de société électriques sera proposée en seconde main.

En outre, le critère d’achat essentiel d’une voiture d’occasion change avec la propulsion électrique. Il est centré sur l’état de la batterie. Or cette information est encore rare et non standardisée. Pour l’heure, elle n’accompagne pas les véhicules mis en vente. Une batterie ayant encore 95% de capacité après 80.000 km laisse entrevoir plus de 200.000 km de route. Si elle est de 75%, c’est une autre histoire, car sous les 70%, l’usure de la batterie peut vite s’accélérer.

D’Ieteren et la fédération Traxio contribuent à mettre au point une approche commune pour l’ensemble du secteur. Cette donnée pourrait être disponible sur le système Carpass, créé pour enregistrer et certifier le kilométrage des voitures pour assainir le marché de l’occasion.

L’alternative du 
budget de mobilité

Une petite partie des bénéficiaires d’une voiture de société font le choix de s’en passer en optant pour le budget de mobilité, parfois parce qu’ils ne souhaitent pas de voiture électrique.

Ce dispositif fiscal amélioré en 2019 permet aux salariés de gérer librement un budget égal au coût de la voiture de société auquel ils auraient eu droit. Ils peuvent panacher l’argent dans des transports en commun, des transports partagés et même payer un loyer ou le coût d’un emprunt hypothécaire pour un logement situé à moins de 10 km du travail. Ils peuvent aussi intégrer une automobile plus petite dans ce budget, si le montant le permet. Le solde, s’il y en a un, peut être versé au salarié, après prélèvement d’une cotisation sociale de 38,07%.

Le budget peut aller de 3.000 à 16.000 euros annuels sans dépasser 20% du brut (2023). Le dispositif est réservé aux personnes ayant droit à une voiture de société, à condition que l’employeur accepte de le mettre en place.

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