« Il faut donner au particulier les bonnes raisons de changer de voiture »

Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Le président sortant de la Febiac, la fédération des importateurs d’autos, Philippe Dehennin s’inquiète d’une évolution qui va rendre l’auto impossible à acquérir pour une partie de la population. Il propose quelques solutions.

Les 6 années de mandat de Philippe Dehennin, à la présidence de Febiac, peu après le Dieselgate (1), ont été ponctuées de crises et de réformes réglementaires qui chamboulent le secteur automobile, entre confinement, guerre en Ukraine, pénurie de pièces, réglementation vers l’auto à zéro émission et création de zones à basse émission à Bruxelles notamment, conséquence du Dieselgate (1). Freddy De Mulder lui succède à partir de ce 21 juin.

Trends Tendances. Est-ce la crise la plus grave que le secteur ait connue ces dernières décennies ?

Philippe Dehennin. Il y en a eu d’autres, comme les chocs pétroliers de 1973 et 1979, la crise bancaire et financière de 2008, mais le marché avait moins souffert et les crises ont eu moins d’impact dans la durée. L’auto a toujours traversé des crises, et s’est toujours remise d’aplomb. La tendance actuelle est plus lourde. Il faut décarboner la route, les technologies sont très coûteuses, en même temps le pouvoir d’achat s’est effondré. Quand on va moins au supermarché, on va moins chez son concessionnaire. Tout est plus cher, se nourrir, se loger, se soigner, éduquer ses enfants. Il faut un revenu brut de 4.500 euros par mois pour rembourser l’achat d’un logement de 50 mètres carrés.

Autre chose que le chemin de la souffrance

Les mesures prises pour pousser à rouler propre, comme les zones à basse émission, l’auto zéro CO2 à partir de 2035, vont-elles trop loin dans ce contexte ?

L’offre de mobilité doit rester adaptée aux réalités diversifiées de ceux qui la consomment. Il faut rester ferme sur l’objectif de la neutralité carbone, mais se défaire de l’idéologie sacrificielle d’en faire toujours plus. La lutte pour le climat ne se joue plus que marginalement en Europe. Si nous voulons être écoutés par les pays du Sud, il faut leur montrer autre chose que le chemin de la souffrance.  

Il faudrait des primes pour les particuliers

La mobilité, la voiture, est moins accessible aujourd’hui, selon vous ?

Oui. L’impératif de produire des autos à énergie nouvelle (électriques, à hydrogène, à e-carburants) pousse les constructeurs à développer prioritairement l’offre dans les segments supérieurs. Pour les motorisations thermiques, les normes en matière de CO2 sont devenues à ce point contraignantes que beaucoup laissent de côté le segment A (petites autos). La rentabilisation d’un modèle de voiture d’entrée de gamme à essence de 3,60 mètres de long devient pratiquement impossible. En même temps, il y a encore trop peu de voitures à énergie nouvelle abordables, et les échéances se rapprochent. Proposés aux particuliers au Luxembourg, aux Pays-Bas, en France et en Allemagne, les bonus écologiques, les primes à la conversion, les incitants financiers à l’achat d’une voiture zéro carbone, rien de cela  n’existe en Belgique. C’est au particulier qu’il faut tendre maintenant un plan crédible de transition: 80% du rebond du marché belge en 2023 provient en effet des entreprises.

Le risque de ne plus produire en Europe les véhicules abordables

Que faut-il faire pour rendre l’auto à nouveau plus accessible ?

Donner au particulier les bonnes raisons de changer de voiture, l’intéresser aux autos à énergies nouvelles avec une stratégie de transport partagé et de nouvelles formes de déplacement pour celui qui renoncerait à posséder une voiture. Il faut pour les voitures électriques des bornes de recharge accessibles au public : il y en a 500.000 aux Pays-Bas. Il faut enfin une stratégie industrielle pour l’Europe si nous ne voulons pas, nous qui avons inventé l’automobile en 1885, devenir le continent le plus vert avec des plus petits véhicules électriques qui majoritairement ne seraient pas produits chez nous simplement parce que, venus d’ailleurs, ils seraient meilleur marché. Il faut réaliser les conséquences de cela sur l’emploi.

Comment évoluera le marché ? Êtes-vous d’accord avec D’Ieteren, qui prévoit une tendance au recul des immatriculations en Belgique ?

Le recul a eu lieu, nous sommes passés de 550.000 voitures neuves immatriculées en 2019 à 380.000 en 2022. En un temps record le marché a perdu 170.000 autos dont la majorité sur le canal particulier. De là le marché devra remonter si nous voulons décarboner le parc roulant.

Les dégâts du Dieselgate

On a eu l’impression qu’après le Dieselgate, le secteur automobile n’arrivait plus à se faire entendre, devenait inaudible, avez-vous eu ce sentiment comme président de Febiac ?

Ce scandale a éclipsé trente ans d’efforts de l’industrie pour réduire les émissions nocives. Nous sommes en position plus difficile pour revendiquer le travail accompli. Pourtant nous sommes aujourd’hui chef de file, tous secteurs confondus, de la décarbonation et de la lutte contre la pollution atmosphérique. 

Ni “tout à l’auto” ni “tout au vélo”

Quel est le rôle d’un président de Febiac ?

Promouvoir une mobilité fluide, accessible et durable. Construire le discours de la filière automobile en équilibre autour de l’intérêt de toutes les parties prenantes. Refuser les partis pris, tant celui du « tout à la voiture » que celui du « tout au vélo ». Trouver les points d’équilibre pertinents. J’entretiens les meilleures relations avec le CEO de la STIB, Brieuc de Meeûs et la CEO de la SNCB, Sophie Dutordoir. La FEB m’a ouvert beaucoup de portes. À deux, avec Pieter Timmermans, nous avons impulsé le Belgian Mobility Dashboard.

Un Salon de l’auto reste souhaitable

L’annulation du Salon de janvier 2024, la regrettez-vous ?

Le Salon de Bruxelles est une véritable émulation. Les retombées en sont économiques, politiques, culturelles, académiques. C’est quelque chose d’unique en Europe. Oui, je regrette l’ajournement du Salon 2024. Mais je suis confiant pour l’avenir. S’il est clair que le digital simplifie le monde programmatique pour les marques et recueille les faveurs de l’internaute, on peut légitimement penser que le grand public souhaitera un vrai Salon en 2025.

Que ferez-vous après cette présidence ?

Je resterai dans l’automobile, dans un rôle d’intérêt général.

Que souhaitez-vous à votre successeur, Freddy De Mulder ? Vous pouvez exprimer deux vœux.

Qu’il ne doive pas s’arrêter devant chaque obstacle, mais puisse additionner les solutions pour obtenir un cadre crédible, juste et compétitif qui apporte au marché la clarté nécessaire et donne des perspectives à tout le monde.

Une progressivité du prix du carbone pour que le tarif ne soit pas le même entre un yacht et une petite voiture (clin d’œil).   

Febiac et ses cousins

Le secteur automobile est organisé à travers plusieurs fédérations. Febiac est la « Fédération belge et luxembourgeoise de l’automobile et du cycle». Traxio réunit des fédérations spécialisées dans les services pour l’auto, le camion, la moto, le cycle et le matériel agricole (concessions, réparation, ventes de pneus…). Renta regroupe les loueurs de voitures. La Febiac est l’organisateur du Salon de l’Auto, ou Brussels Motor Show, dont l’édition de janvier 2024 a été annulée, faute d’un nombre suffisant de marques intéressées.

(1) La crise du Dieselgate a éclaté en 2015 aux États-Unis. L’Agence américaine de la protection de l’environnement avait annoncé que Volkswagen utilisait un logiciel qui adaptait le comportement de moteurs diesel d’auto lorsqu’il faisait l’objet d’un test de mesure d’émissions, pour réduire ces dernières à un niveau plus bas que lors d’un usage normal du véhicule. Cette découverte a créé une crise de confiance entre les autorités publiques, nationales et européennes, et les constructeurs, et précipité la course à l’électrification.

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