Votre compte d’épargne va rapporter plus… mais ce sera factice

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Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Les banques amassent d’importants bénéfices sur le dos des épargnants. La critique se fait de plus en plus pressante et le politique durcit le ton. Les banquiers commencent à réagir à la pression, comme en témoignent les décisions de Belfius et Keytrade. Les taux des livrets vont-ils remonter? Si oui, quand? Et, surtout, à quelle hauteur? Eléments de réponse.

Après des années de vaches maigres, nombreux sont les Belges qui espéraient voir leurs économies rapporter davantage. Hélas, depuis des mois, rien de tout cela. Aujourd’hui, en Belgique, les meilleures offres du marché proposent un rendement maximum de 2%. Et encore: c’est si vous ouvrez un compte chez une petite banque en ligne comme MeDirect ou NIBC. Car dans les grandes institutions (BNP Paribas Fortis, KBC, Belfius et ING), les taux offerts sur le livret sont bien inférieurs. Depuis l’été dernier pourtant, les banques centrales ont mis un terme à une décennie de taux d’intérêt au plancher.

En moins d’un an, le taux directeur de la Banque centrale européenne (BCE) est rapidement passé de 0% à 3,25%. Objectif: juguler la forte inflation en freinant la demande et les crédits nouvellement octroyés aux ménages et aux entreprises. Les banques n’ont d’ailleurs guère tardé à répercuter les hausses de la BCE et à remonter leurs conditions sur les crédits qu’elles accordent, comme en témoigne la moyenne des taux sur les emprunts hypothécaires qui tourne désormais autour des… 4%!

Tir nourri

Les ménages et les entreprises du pays ne sont pas les seuls à ne pas comprendre pourquoi les taux hypothécaires ont si fortement augmenté et pas ceux des comptes d’épargne. Depuis des mois, l’organisation de défense des consommateurs Testachats réclame un geste en faveur des épargnants. Des économistes très écoutés comme Paul De Grauwe, pourtant libéral sur le plan économique, martèlent aussi depuis longtemps que les banques doivent faire un effort pour mieux rémunérer l’épargne des Belges, estimant qu’elles s’enrichissent sur leur dos en parquant tout simplement l’argent des déposants auprès de la BCE.

Même le gouverneur de la Banque nationale, Pierre Wunsch, est monté au créneau en déclarant début mars qu’il fallait s’attendre à ce que les taux des comptes d’épargne augmentent, précisant que “si cela ne se produisait pas, cela traduirait un manque de concurrence entre les banques”.

Le gouverneur Pierre WunschLa BNB estime que légiférer pour revoir le taux du livret n’est pas une bonne idée mais que les banques doivent réagir.
Le gouverneur Pierre Wunsch. La BNB estime que légiférer pour revoir le taux du livret n’est pas une bonne idée mais que les banques doivent réagir. © Belgaimage

De telles déclarations de la part de notre gendarme bancaire n’ont d’ailleurs pas manqué de retenir l’attention du monde politique. Le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V) est le premier à s’être emparé du sujet en envoyant une lettre – paraît-il assez dure – à la fédération du secteur financier (Febelfin). Plus précisément à son président, Johan Thijs, qui n’est autre que le CEO du groupe de banque et d’assurance KBC. But de la manœuvre: exhorter les banques à mieux rémunérer les épargnants.

Dans la foulée de Vincent Van Peteghem, ce sont les socialistes flamands de Vooruit qui ont ouvertement critiqué la rémunération de l’épargne qui ne suit guère les hausses de la BCE. Avec sa casquette de secrétaire d’Etat à la Protection des consommateurs (Open Vld), Alexia Bertrand s’est également rapidement positionnée sur le sujet, se disant prête à revoir la loi sur le taux minimum actuellement fixé à 0,11%, au point d’être soutenue dans sa démarche par le ministre de l’Economie Pierre-Yves Dermagne (PS).

Quant à Ecolo/Groen, il s’est invité dans le débat en proposant de limiter à 2% l’écart entre le taux du livret et celui que perçoivent les banques pour l’argent non investi des clients qu’elles placent à la BCE. Ce taux s’élevant actuellement à 3,25%, le taux minimum sur l’épargne devrait ainsi atteindre aujourd’hui 1,25%.

Situation singulière

Pousser les banques à relever les taux sur les livrets? Pour Bruno Colmant, ces appels sont justifiés. L’économiste estime que la rémunération de l’épargne est évidemment trop faible, puisqu’elle est largement négative après déduction de l’inflation.

“C’est une situation singulière que seuls quelques pays, comme le Royaume-Uni d’après-guerre, ont connu sur une longue période. Nous sortons aujourd’hui de circonstances monétaires stupéfiantes caractérisées par une création monétaire sans précédent et des taux d’intérêt négatifs. Les banques n’ont pourtant pas répercuté ces taux d’intérêt négatifs sur leurs déposants. Mais aujourd’hui, les taux d’intérêt redeviennent positifs et les banques sont trop lentes à les augmenter.”

2%

Le rendement maximum proposé sur les comptes d’épargne, alors que la moyenne des taux sur les emprunts hypothécaires tourne désormais autour des… 4%.

Que penser dès lors de l’idée visant à passer par la case législative pour forcer les banques à relever leurs taux? “Elle est compréhensible, d’autant que le secteur bancaire est dominé par quatre banques qui constituent un oligopole de fait et alignent donc leurs conditions de taux d’intérêt pour éviter des déstabilisations des stocks d’épargne, prolonge l’économiste. De surcroît, elles répondent à un problème d’érosion de valeur de l’épargne bancaire qui a dû perdre près de 20% de son pouvoir d’achat au cours des deux ou trois dernières années.”

Mais les partis de la Vivaldi ne se seraient pas manifestés si la BCE n’avait pas remonté aussi rapidement ses taux d’intérêt au profit des banques, estime toutefois Bruno Colmant. “On l’oublie, mais c’est la BCE qui gratifie les banques d’une augmentation des taux d’intérêt qui est peut-être excessive”.

Un levier nommé Belfius

Cofondateur et économiste en chef d’Orcadia Asset Management, Etienne de Callataÿ partage cette analyse d’une politique de rémunération de l’épargne par les banques en Belgique très critiquable. “On en comprend la motivation, c’est celle de la rentabilité à court terme, dit-il. Malgré cela, cette rentabilité à court terme doit être jugée sévèrement en raison des différentes formes de soutien que le secteur reçoit de la part de la collectivité. D’une part, il bénéficie d’un filet de sécurité. On l’a encore vu récemment avec Credit Suisse en Europe et la Silicon Valley Bank aux Etats-Unis. D’autre part, il bénéficie de privilèges fiscaux tels que l’absence de précompte mobilier sur le livret, dont les intérêts perçus sur ces comptes ne sont pas taxés jusqu’à 980 euros par an. Mais on peut aussi penser plus largement à la non-taxation des sicav ou aux avantages fiscaux de l’épargne pension.”

Au final, c’est l’épargnant-contribuable lui-même qui risque de financer l’accroissement du rendement de son bas de laine.

L’économiste d’Orcadia salue également les différentes initiatives relatives visant à doper le niveau jugé trop bas des taux sur les livrets d’épargne. “On peut imaginer un lien automatique entre le taux du livret et l’un des taux directeurs de la BCE, qui prendrait en compte les taxes et les marges à préserver”, suggère Etienne de Callataÿ. Mais, ajoute-il, “la meilleure solution dans la durée consiste à supprimer l’exonération fiscale dont bénéficie le compte d’épargne réglementé”. Une mesure à laquelle doivent s’ajouter, selon le cofondateur d’Orcadia, des formules publiques d’épargne correctement rémunérée, que ce soit via Belfius ou le compte e-Depo (le compte d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations, Ndlr).

Pourquoi alors notre grand argentier a-t-il bloqué dernièrement son taux à 2,5%? “C’est effectivement étrange, observe Bruno Colmant. Mais le taux de 2,5% est un taux que les banques n’offriront jamais sur les dépôts, puisqu’il se rapproche du taux d’intérêt à 10 ans, alors que l’épargne logée sur des carnets de dépôts réglementés est immédiatement disponible et liquide, et non bloquée pendant 10 ans.” Mais, ajoute-t-il, “ce qui me trouble le plus, c’est que l’Etat lui-même fait une concurrence aux banques qu’il régule.” Via Belfius notamment, qui appartient toujours à 100% à l’Etat et qui a été la première grande banque à annoncer une hausse sur les taux des comptes épargne fin de l’année dernière. “Il sera donc intéressant d’observer ce que Belfius fera, puisque cette banque est d’actionnariat public, même si elle opère incontestablement à des conditions de marché”, suggère Bruno Colmant.

C’est précisément ce qui s’est passé ce mercredi 7 juin: Belfius a ouvert le bal d’une (légère) hausse des taux.

Compliqué et moins rentable

En face, les banques ne manquent pas d’arguments pour se défendre. Via leur fédération, elles affirment que les obliger à augmenter le rendement de l’épargne des Belges “pourrait affecter profondément la stabilité du secteur bancaire”.

Elles rappellent également que pendant près de 10 ans, elles ont dû composer avec un taux de dépôt négatif auprès de la BCE alors que le taux minimum de 0,11% était toujours d’application. Tout comme elles font valoir que beaucoup de prêts qui ont été consentis aux ménages et aux entreprises l’ont été à long terme, à une époque où les taux étaient encore bas, et que les revenus d’intérêt qu’elles reçoivent aujourd’hui sont donc trop faibles pour faire remonter les taux des livrets.

Dit autrement, seuls les nouveaux prêts produits rapportent “plus” aux banques puisque les tarifs pratiqués auprès de la clientèle ont grimpé. A l’inverse, augmenter aujourd’hui le rendement des comptes d’épargne, cela veut dire qu’il faut augmenter tous les comptes d’épargne d’un seul coup. Et comme les Belges y ont parqué près de 300 milliards, une augmentation de 1% sur ces comptes coûterait donc aux banques quasi 3 milliards d’euros. Une somme astronomique qu’elles ne sont évidemment guère pressées de mieux rémunérer dans la mesure où, un meilleur taux doit directement être appliqué sur les anciens dépôts et pas seulement sur les nouveaux.

Deux types de comptes

C’est bien pour cela qu’elles se montrent inventives, surtout les plus grandes d’entre elles. Afin de limiter l’impact sur le stock de dépôts, elles utilisent la ficelle de la prime de fidélité qui, en réalité, est très conditionnelle. En effet, pour l’obtenir, le client ne doit pas sortir le moindre euro de son compte. Ce qui, dans la pratique, ne se passe pas si souvent.

Elles ont par ailleurs recours à une autre astuce: les anciens et les nouveaux comptes. Exemple chez BNP Paribas Fortis qui a annoncé en début d’année l’arrivée d’un nouveau “Compte d’épargne Plus” rapportant 1,25% (prime de fidélité de 0,75% comprise). Bonne nouvelle! Sauf qu’il ne faut pas rester les bras croisés. Non, il faut faire l’effort d’aller en agence ou passer par l’application mobile de la banque pour ouvrir ce nouveau compte et ainsi profiter de sa généreuse prime de fidélité. Vont-elles le faire pour répondre à la hausse réclamée? C’est en tout cas une manière de faire à propos de laquelle Etienne de Callataÿ ne mâche pas ses mots.

Cela consiste à abuser de la faiblesse du client. Seul celui qui est avisé ou aisé peut bénéficier de meilleures conditions ou de comptes à terme plus intéressants. C’est comme si vous alliez dans un restaurant mais que votre voisin de table payait sa lasagne moins cher que vous. Il s’agit là d’une manière de faire qui ne correspond pas à mon éthique des affaires.”

Pas plus qu’elle ne correspond à celle de Grégory Guilmin, expert en placements spécialisé dans l’éducation financière pour qui les banques jouent la passivité des épargnants. “Elles profitent de l’attentisme de la population et de la très faible mobilité bancaire. Dans la tête des épargnants, cela paraît compliqué d’ouvrir un nouveau compte ailleurs, voire dans la même banque. Mais si vous prenez certaines banques en ligne, votre compte est ouvert en quelques heures seulement. Il faut challenger son institution financière et se réserver le temps pour prendre d’éventuelles décisions d’épargne. Ensuite, les banques sont rarement mises en compétition les unes avec les autres, notamment en matière de compte à terme. Il faut comparer les conditions de sa banque avec deux ou trois autres institutions financières afin de les mettre en concurrence de manière saine”, conseille encore Grégory Guilmin.

Sujet sensible

On le voit, le sujet n’est pas simple. Il est même sensible. Toucher au livret, c’est en effet s’attaquer à un pilier essentiel du système bancaire belge. Un argument que la BNB, qui est responsable du contrôle prudentiel des banques et qui connaît leur structure bilantaire et leur capacité à supporter des sensibilités de taux d’intérêt, a d’ailleurs mis en avant pour recaler les propositions déposées par Ecolo/Groen et Vooruit (les deux textes sont quasi identiques) visant à lier le taux d’intérêt des livrets aux taux de la BCE.

GRÉGORY GUILMIN © PG

“Les banques profitent de l’attentisme de la population et de la très faible mobilité bancaire.” GRÉGORY GUILMIN (EXPERT EN PLACEMENTS)

Les bénéfices engrangés par BNPP Fortis et consorts ont pourtant dépassé les 10 milliards d’euros en 2022. Qui dit mieux? Leader du marché, BNPP Fortis a dégagé plus de 3 milliards d’euros l’an dernier. En 2021, c’était 2,5 milliards. “Vous trouvez ces résultats financiers mauvais? Moi non, assène Grégory Guilmin. Globalement, les banques belges ont engrangé des bénéfices colossaux: 3,8 milliards d’euros en 2020, 6,2 milliards en 2021 et près de 10 milliards en 2022. Une augmentation des taux de 1% sur l’ensemble des dépôts alourdirait la facture de plus de 3 milliards. Cela reste raisonnable par rapport aux 20 milliards récoltés ces trois dernières années.”

Cela étant, faisait remarquer Michael Anseeuw, le patron de BNPP Fortis, voici quelques jours dans les colonnes de nos confrères du Tijd, il faut retrancher de ces bénéfices tout ce qui n’était pas lié aux activités purement bancaires et purement belges (société de leasing Arval chez BNPP Fortis, marché tchèque pour KBC, pôle assurance chez Belfius, etc.). Résultat? L’an dernier, les banques belges ont tiré de leurs activités dans notre pays un bénéfice net global d’environ 5 milliards d’euros. “Si vous les obligiez à payer immédiatement 1% des 300 milliards d’euros sur leurs comptes d’épargne, 3 milliards d’euros, soit plus de la moitié des bénéfices du secteur, disparaîtraient instantanément”, expliquait Michael Anseeuw.

D’un autre côté, regardons nos pays voisins, renchérit Grégory Guilmin: “La Banque et Caisse d’Epargne de l’Etat (BCEE) et la BIL (au Luxembourg) proposent des taux de 2% sur les comptes épargne, sans prime de fidélité. Regardez ce qui se passe avec le livret A en France qui est à 3%. Bref, ça bouge. Mais en Belgique, cela ne bouge pas. Cela veut surtout dire que le lobby bancaire est bien présent et qu’on ne vient pas trop l’embêter à ce sujet.

La seule façon de faire bouger les lignes serait que le client devienne un acteur de ses propres finances et prenne les décisions les plus pertinentes en fonction de sa situation personnelle.” Là se trouve en effet une dimension importante de l’équation. L’an dernier, seuls 93.000 consommateurs ont changé de banque alors que la Belgique compte 17 millions de comptes d’épargne. En d’autres mots, le Belge râle, mais il est paresseux.

Marges en forte hausse

Mais revenons à nos moutons. Quid de la suite des événements? Y a-t-il de l’espace pour voir les taux des livrets remonter bientôt alors que les banques croulent déjà sous les dépôts? Apparemment oui. La BNB estime que nos chers banquiers doivent réagir. D’après Michael Anseeuw, toujours dans les pages du Tijd, “la rémunération de l’épargne est inévitablement appelée à augmenter”.

ERIC DOR © PG

“Il semble que les banques puissent supporter une hausse de 0,5% à 1,25% du taux minimum à payer sur les comptes d’épargne réglementés.” ERIC DOR (IESEG SCHOOL OF MANAGEMENT)

Quelle hausse serait dès lors possible, sans déstabiliser les banques? Pour l’économiste Eric Dor (IESEG de Lille), “il semble que les banques puissent supporter une hausse de 0,5% à 1,25% du taux minimum à payer sur les comptes d’épargne réglementés.” Il en veut pour preuve les marges d’intérêt qui ont fortement augmenté ces derniers mois, ce qui veut dire que la différence entre les intérêts que les banques reçoivent et ceux qu’elles paient a été nettement plus forte que celle sur les dépôts. Il chiffre cette hausse sur un an à 4,2 milliards d’euros globalement. Sachant qu’en mars dernier, l’encours des dépôts d’épargne réglementés se montait à 285 milliards, l’économiste évalue l’impact d’un relèvement du taux d’intérêt moyen de 1% à un supplément d’intérêts à payer aux épargnants de 2,85 milliards d’euros. Ce qui est moins que l’augmentation des revenus nets d’intérêt supérieure à 4 milliards. Bien sûr, rappelle-t-il, une banque n’est pas l’autre. “Mais les informations publiées par quelques banques semblent montrer que l’amélioration du revenu net d’intérêt est largement partagée”, pointe Eric Dor.

ALEXANDER DE CROO © PG

“Ou bien les banques font fonctionner le marché, ou bien le gouvernement devra “intervenir.” ALEXANDER DE CROO (PREMIER MINISTRE)

En clair, la question n’est pas de savoir si une hausse aura lieu mais quand? Et avec quelle ampleur? Le ministre des Finances Vincent Van Peteghem a précisé récemment à nos confrères de la VRT “vouloir laisser un mois au secteur pour bouger”, espérant ainsi voir les banquiers réagir sans pour cela devoir empiéter sur les lois du marché. Tout comme la secrétaire d’Etat Alexia Bertrand, qui a donné aux banques jusqu’à la fin du mois de juin pour relever leurs taux. Si elles ne réagissent pas, la Vivaldi interviendra, insiste le Premier ministre Alexander De Croo. Surtout que l’inflation qui reste importante malgré la baisse (ce qui au passage gangrène le rendement du livret) devrait conduire la BCE à garder le cap. Le 15 juin prochain, elle pourrait encore ajouter 25 points de base à ses taux directeurs.

Alors oui, “les banques belges finiront par augmenter le rendement des comptes d’épargne, mais elles le feront de manière très progressive et différenciée afin de ne pas être qualifiées de former un cartel”, estime Bruno Colmant, ajoutant qu’il n’est pas sain de constater un désaccord entre le monde politique et les banques.

Jeu de dupes

Du reste, un dernier élément est à prendre en considération pour mieux comprendre la trame des événements: les banques apparaissent en effet comme une cible facile dans le débat. Le livret d’épargne est un produit très populaire. Il abrite les économies de nombreux Belges. Près de 300 milliards d’euros, on l’a dit. D’aucuns diront que voler au secours des épargnants est pour le monde politique une manière de se refaire une virginité à bon compte sur le dos des banquiers. On se préoccupe du pouvoir d’achat tout en faisant passer au second plan ses difficultés: déboires de bpost, problèmes budgétaires et autre réforme fiscale qui n’avance pas.

Certains iront même jusqu’à parler d’hypocrisie. Pourquoi? Parce que, disent-ils, les banques sont soumises à une série de taxes prélevées sur les dépôts (récemment encore augmentées) qui alimentent à raison de plus d’un milliard d’euros le budget de l’Etat.

Pas d’accord! rétorque Etienne de Callataÿ. “Il y a une malhonnêteté intellectuelle à mettre dans la balance la piètre rémunération du livret avec les taxes bancaires prélevées dans le cadre du mécanisme de protection des dépôts. Les montants en jeu ne sont absolument pas comparables. La sous-rémunération du livret est un multiple des taxes demandées aux banques.”

Peut-être, mais n’oublions pas un potentiel retour de bâton en forme de jeu de dupes. Si les banques doivent mieux rémunérer l’épargne, elles devront immanquablement trouver une manière de compenser ce manque à gagner en augmentant le tarif d’autres produits bancaires, en rognant sur le service, en augmentant les taux sur leurs prêts aux ménages et aux entreprises mais aussi à l’Etat.

“Si l’action du gouvernement est compréhensible et répond certainement à des motifs politiques, les banques sont aussi conscientes du danger croissant d’une instrumentalisation de leurs activités, car les Etats exigent que leurs bilans soient utilisés pour financer la dette publique, souligne Bruno Colmant. Comme ce financement doit s’effectuer à un taux d’intérêt très bas, ces mêmes banques demandent indirectement que le coût de ce service à l’Etat soit compensé par des taux d’intérêt très bas sur les comptes d’épargne. De plus, elles ne veulent pas être soumises à des injonctions qui pourraient les assimiler à un cartel. Ainsi, tout est interconnecté, et je crois que, quelles que soient les demandes du gouvernement, elles aboutiront de manière homéopathique.” Mais il y a en effet peut-être pire pour le gouvernement lui-même, et donc les contribuables belges, ainsi que les épargnants qu’ils sont, conclut Bruno Colmant: “Si les dépôts bancaires sont mieux rémunérés, le coût des crédits bancaires, y compris ceux donnés à l’Etat, augmentera”. Au final, c’est donc bien l’épargnant-contribuable lui-même qui risque de financer l’accroissement du rendement de son bas de laine.

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