Le secteur bancaire a-t-il perdu le nord?
La valeur des banques est-elle devenue si basse qu’il faut désormais payer pour se débarrasser d’une filiale? C’est en tout cas ce qu’a fait HSBC, qui verse une forte somme à Cerberus pour se défaire de sa banque de détail en France. Un deal pas forcément illogique, mais qui reflète un problème plus large.
“Nous vivons dans un monde étrange où un épargnant paie pour pouvoir placer son argent et où le vendeur d’une banque paie l’acheteur”, observe Freddy Van den Spiegel, l’ancien économiste en chef de Fortis qui enseigne la finance à la Vlerick School. Qu’un groupe se défasse d’une filiale en difficulté en la cédant au repreneur pour un euro, cela se voit souvent. C’est ce que vient de réaliser chez nous le groupe Nethys en cédant sa filiale Integrale. Mais payer des centaines de millions, c’est beaucoup plus rare! Or, HSBC, le géant bancaire sino-britannique, devrait débourser un milliard d’euros au fonds américain Cerberus pour qu’il reprenne son activité en France. Cerberus reprendra la branche “banque de détail” de HSBC France, une activité forte de 230 agences, 4.000 salariés, 800.000 clients et une dizaine de milliards d’actifs. HSBC France n’est plus rentable: l’institution a accusé une perte de 1,16 milliard de dollars (964 millions d’euros) l’an dernier dont le gros provient des branches “banques mondiales” (environ 350 millions de dollars dans le rouge) et “banque de détail” (340 millions). La pilule est amère pour le groupe qui s’était implanté en France en 2002 en acquérant le Crédit Commercial de France pour 11 milliards d’euros.
Céder une société en payant l’acheteur n’est pas neuf. Mais les montants commencent à devenir non négligeables.”
Roland Gillet, professeur à la Sorbonne et à l’ULB (Solvay)
“Céder une société en payant l’acheteur parce qu’elle perd de façon récurrente n’est pas neuf, observe Roland Gillet, professeur à la Sorbonne et à l’ULB (Solvay). Mais les montants commencent à devenir non négligeables.” Il est vrai que le repreneur devra engager des frais. “Pour relancer la banque, il va falloir changer de nom, poursuit Roland Gillet, et cela coûte cher, nous l’avons vu avec Belfius ( le changement de nom a coûté 35 millions d’euros, Ndlr). Cerberus va également devoir investir en ressources humaines et informatiques pour bâtir sa nouvelle banque de détail. On parle de plusieurs centaines de millions. Il va aussi falloir éponger le passif social (il y aura une importante restructuration) et les pertes. Si le deal exclut la filiale assurance et la gestion d’actifs, qui vont mieux, il n’est donc pas illogique de payer pour que quelqu’un veuille reprendre ces activités.”
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Un paysage tourmenté
Etonnante de prime abord, cette opération n’en suscite pas moins une autre question: payer pour vendre une banque est-il le signe que les valeurs bancaires sont au plus bas? Ou est-ce une exception?
La réponse se situerait un peu entre les deux. HSBC France, on l’a dit, n’était plus rentable, comme d’ailleurs les filiales européennes du groupe, lequel réalise désormais 90% de son bénéfice en Asie. La banque a été obligée d’en tirer les conclusions. “Le groupe n’avait plus la confiance de ses actionnaires, son cours de Bourse a été divisé par deux l’an dernier, explique Freddy Van den Spiegel. Il a donc décidé un changement de stratégie, qui va se centrer sur l’Asie et les marchés en croissance, abandonnant certaines activités dont sa filiale en France, un marché dominé par quelques très grands groupes et très concurrentiel.”
“Certes, HSBC aurait pu, avant de vendre, ‘nettoyer’ sa filiale, sabrer dans les coûts et les effectifs, au prix d’un important passif social, poursuit Freddy Van den Spiegel. Mais sans doute la banque a-t-elle estimé que cela demandait une énergie et du temps qu’elle pourrait mieux employer ailleurs. Elle a donc préféré payer quelqu’un qui désirait racheter sa filiale en going concern (toujours en pleine exploitation, Ndlr).”
6,3%
Rendement sur capitaux propres des banques de la zone euro. A comparer avec le rendement des banques américaines, qui monte à 11%.
L’acquéreur, Cerberus, n’en est pas à son coup d’essai. Il s’est fait une spécialité de la remise sur pied de banques en difficulté. Cerberus avait déjà repris GMAC (le bras financier de General Motors), racheté Bawag, la cinquième banque d’Autriche, était entré au capital de Commerzbank et Deutsche Bank, en désirant d’ailleurs la fusion des deux géants allemands.
Mais le deal HSBC est aussi le reflet d’un problème plus large. “Ce qui m’interpelle depuis un certain temps est l’univers dans lequel les banques doivent vivre, souligne Roland Gillet. Il n’est certes pas catastrophique, parce que la BCE et les banques centrales ont compris que la rentabilité des banques était sous pression avec l’aplatissement de la courbe des taux, voire les taux négatifs. La BCE a donc rectifié en partie le tir, notamment sur la manière d’accorder du financement.” Via son nouveau programme (le TLTRO), la BCE accorde, par exemple, des financements aux banques à un taux de – 1%, ce qui permet aux banques commerciales de maintenir une certaine marge dans leur activité de crédit.
“Cependant, ajoute Roland Gillet, malgré cette évolution et les plus-values latentes que les banques possèdent sur leurs anciens portefeuilles obligataires en raison de la baisse des taux, l’activité traditionnelle de banquier reste difficile et cette difficulté se reflète dans les cours de Bourse.”
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Une valorisation au plancher
Comme l’indique Xavier Servais, administrateur délégué chez Delande, les cours de Bourse ont en effet joué au yoyo. “Les valeurs bancaires avaient fortement baissé l’an dernier (leur indice dans le Stoxx 600 a cédé plus de 24% en 2020), rappelle-t-il. Mais elles ont assez nettement rebondi cette année (elles enregistrent près de 26% de hausse). La reprise est alimentée en partie par la remontée des taux qui laisse espérer davantage de marge, mais aussi par les autres métiers, avec la reprise des introductions en Bourse, la gestion d’actifs. En outre, avec la reprise économique et la fin progressive du confinement, les banques provisionnent moins. KBC, par exemple, vient d’annoncer qu’elle avait repris une partie des provisions pour risques de crédit qu’elle avait constituées l’an passé.”
Mais la valorisation des banques reste faible. “En Europe, en moyenne, une banque cotée en Bourse se négocie aujourd’hui à 0,5 fois sa valeur comptable précise Freddy Van den Spiegel. Et c’est une moyenne, qui comprend donc aussi les bonnes banques, comme les scandinaves qui affichent des rendements dont on rêverait chez nous. Cela signifie donc que l’ensemble du secteur est encore confronté à un très gros problème.”
Un triple problème en réalité. Il y a d’abord l’arrivée depuis une dizaine d’années de taux zéro, puis négatif, qui fait que “peu à peu les marges des banques traditionnelles sont en train de disparaître”, note Freddy Van den Spiegel qui rappelle qu’en 2014, le Comité européen du risque systémique avait estimé que si ces taux plancher devait durer des années, les marges bancaires allaient lentement se réduire à un quart de ce qu’elles étaient avant. Nous sommes dans ce scénario. “On voit dans quel monde tendu les banques se trouvent, à preuve cette annonce récente d’ING d’imposer de manière massive des taux négatifs à un grand nombre de ses déposants”, ajoute le professeur à la Vlerick.
Peu à peu les marges des banques traditionnelles sont en train de disparaître.”
Freddy Van den Spiegel, professeur à la Vlerick School
En outre, et c’est un deuxième caillou dans la rentabilité bancaire, il y a l’augmentation du capital réglementaire. Puisqu’il faut désormais davantage de fonds propres pour faire la même chose, la rentabilité des banques en souffre. Mais c’est aussi une bonne chose puisque le secteur possède aujourd’hui des matelas bien plus épais qu’en 2008 pour absorber le choc d’une crise financière.
Et puis, il y a le problème des non performing loans, des crédits défaillants. Le sujet n’avait pas été résolu entièrement en Europe après la crise de 2008. Mais il risque de s’accentuer après la crise du Covid-19. “Personne ne sait comment ces crédits non performants vont évoluer avec le Covid, souligne Freddy Van den Spiegel. Les autorités ont émis des réglementations pour éviter les faillites ou les défauts de paiement. Si ce sont des réglementations de court terme, c’est une mesure positive. Mais si elles sont amenées à durer, il pourrait y avoir une évolution très dommageable pour les banques.”
Quel “business model”?
En outre, ajoute Roland Gillet, si les investisseurs valorisent peu les banques, c’est aussi parce que “le marché pense qu’elles sont dans une situation où leur business model risque d’être attaqué par d’autres acteurs, dans des métiers comme les moyens de paiement, la gestion d’actifs…”. Et lorsque les taux à long terme remonte- ront, la concurrence risque d’augmenter encore, ajoute-t-il: “Il y a beaucoup d’entrants potentiels, présentant des coûts de structure beaucoup plus bas, qui attendent le bon moment pour entrer et faire concurrence aux banques traditionnelles”. C’est ce qui explique qu’au niveau stratégique, les banques traditionnelles se tâtent. “On le voit, note encore Roland Gillet: la stratégie d’ING n’est pas celle de BNP, qui n’est pas celle de KBC… On sait que le secteur va évoluer. Mais il faut être très bon pour deviner aujourd’hui quel business model va tirer son épingle du jeu demain. Il faut être suffisamment grand pour avoir accès à du financement sur les marché… Mais il faut aussi être digitalisé et présenter des coûts de structure pas trop élevés afin de générer des marges suffisantes.”
La question stratégique est d’autant plus délicate qu’il est difficile de prévoir comment l’économie va finalement supporter le choc de la pandémie à moyen terme. “Dans le climat instable actuel, s’il fallait procéder à un nettoyage à grande échelle de prêts non performants dans le secteur bancaire, ce serait dangereux”, affirme Freddy Van den Spiegel
Voilà pourquoi les autorités bancaires et financières européennes plaident pour une concentration, afin de solidifier le secteur. Et encore une fois, l’exemple est américain: aux Etats-Unis, souligne une étude de la Banque de France, les cinq principales banques détiennent 43% du marché total. Dans la zone euro, le quintet de tête n’a que 23% du marché. Et du coup, la profitabilité s’en ressent: le rendement sur capitaux propres des banques de la zone euro est de 6,3%. Ceux des banques américaines est de 11%.
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