” Nous avons bon espoir que les réformes économiques promises par Trump aboutissent “

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En plus de ses fonctions à la tête d’EY, Mark Weinberger est membre du conseilstratégique du président des Etats-Unis, qui regroupe autour de Donald Trump des dirigeants de grandes entreprises. Egalement président du comité de politique fiscale de l’influent groupement patronal Business Roundtable, il nous livre son ressenti quant à l’évolution de l’économie mondiale.

Quel regard portez-vous sur la situation économique mondiale ?

MARK WEINBERGER. EY est présent dans 150 pays. Nous avons donc une vision assez précise de la marche des affaires dans le monde. Et ce que nous voyons, c’est un retour à la croissance après 10 années de stagnation, qui concerne à peu près toutes les régions du monde. L’Europe, en particulier, vit une période intéressante avec une diminution des risques politiques et une activité de plus en plus soutenue. Dans les pays émergents, la stabilisation des prix des matières premières favorise la reprise un peu partout. Il y a bien sûr quelques pays en difficulté comme le Brésil, englué dans ses problèmes de corruption. Mais en Chine, l’économie continue de progresser autour de 7 % par an, tout comme en Inde d’ailleurs.

Et les Etats-Unis ?

Les grands indicateurs économiques y sont tous dans le vert. Alors, il est clair que le relèvement des taux d’intérêt engagés par la Fed est de nature à ralentir l’activité, mais le moral des chefs d’entreprise est toujours très élevé. Dans le cadre de la Business Roundtable, dont je préside le comité fiscal, nous avons mené un sondage qui montre que leurs projets d’investissement et d’embauche restent importants. Ce qui ressort aussi de cette enquête, c’est que, pour trois quarts d’entre eux, la mise en oeuvre du programme du président sera décisive pour mener ces projets à bien. En clair, l’optimisme sur les perspectives économiques aux Etats-Unis est très lié à l’exécution de la réforme fiscale, la dérégulation financière et les investissements dans les infrastructures. Ce qui signifie que le principal risque qui plane sur l’économie américaine est le ralentissement de l’agenda économique de Donald Trump, du fait du climat qui règne actuellement à Washington.

Le programme économique de Donald Trump prévoit des mesures protectionnistes. Ces dispositions ne risquent-elles pas de peser sur l’activité ?

A titre personnel, je suis convaincu que la croissance du commerce est primordiale dans la progression du PIB. Mais sur ce sujet, je crois qu’il faut s’attacher à ce que le président veut faire, pas à ce qu’en disent les journaux ou à ce qu’on peut lire dans les tweets notamment. En réalité, il ne veut plus déclencher une guerre commerciale avec la Chine ou d’autres. Ce qu’il souhaite aujourd’hui, c’est nouer des accords commerciaux équilibrés et reflétant la situation actuelle. C’est pour cela qu’il a renoncé au traité transpacifique et qu’il cherche dans le même temps à mettre en place des accords bilatéraux. Il faut bien comprendre que 95 % des dépenses des consommateurs et 80 % de la croissance du PIB mondial sont générés en dehors des Etats-Unis. Ce qui veut dire qu’il faut maintenir une politique commerciale équilibrée. Et c’est toute la difficulté de l’exercice engagé par le président.

Fallait-il pour autant dénoncer l’Accord de Paris sur le climat ?

Personnellement, je pense que les Etats-Unis n’auraient pas dû dénoncer cet accord. Sur ce genre de sujets, il vaut toujours mieux rester à la table des négociations. Cela dit, je constate que de nombreux groupes, villes et Etats américains ont décidé de respecter les quotas imposés par cet accord et vont continuer à chercher des solutions alternatives aux énergies fossiles. Le mouvement de lutte contre le réchauffement climatique n’est donc pas stoppé aux Etats-Unis. Le conseil stratégique du président dont je suis membre en compagnie d’une cinquantaine de dirigeants de grandes entreprises lui avait déconseillé de sortir de l’accord. Mais le président ne suit pas tous nos avis… tout comme ses prédécesseurs, Barack Obama et George W. Bush, avec lesquels j’ai également travaillé.

Diriez-vous que l’administration Trump fonctionne de manière différente de celles qui l’ont précédée ?

Aucune ne se ressemble ! Donald Trump est très soucieux de l’efficacité immédiate des mesures qu’il prend. Il veut aussi que son action à la Maison-Blanche soit conforme à ce qu’il a promis aux électeurs pendant la campagne. Il est particulièrement attaché au fait que sa politique permette de créer des emplois aux Etats-Unis, pas sur la côte Est ou sur la côte Ouest, mais surtout dans le Rust Belt, ces Etats du centre du pays qui ont été négligés ces dernières années. Pour y parvenir rapidement, il est ouvert à toutes les propositions. Il demande ainsi aux membres du conseil d’apporter des idées neuves et n’hésite pas à en discuter avec nous. Alors, ce mode de fonctionnement le conduit parfois à faire des erreurs, mais c’est aussi la preuve de son désir d’accélérer la croissance du pays.

Craignez-vous que les déboires judiciaires de Donald Trump puissent paralyser son action économique ?

C’est une question centrale. Pour y répondre, il faut d’abord avoir en tête que les Etats-Unis sont divisés. Aujourd’hui, le président a bien le contrôle du Congrès grâce aux républicains, mais il ne dispose pas des 60 % nécessaires au Sénat pour faire voter la plupart des lois. A cela viennent s’ajouter les enquêtes liées au rôle joué par la Russie pendant la campagne électorale et juste après l’élection. Cela réduit forcément la capacité d’action de la Maison-Blanche, mais tout le monde ne passe pas son temps à regarder les auditions du Congrès à la télévision. La plupart des membres de la Chambre et du Sénat font leur boulot et l’agenda continue d’avancer. Nous avons donc bon espoir que les réformes économiques promises aboutissent.

EY est un spécialiste des questions fiscales. Quel impact la réforme fiscale américaine peut-elle avoir sur l’activité dans le pays ?

Les Etats-Unis sont aujourd’hui un des rares pays à avoir un taux d’impôt sur les sociétés supérieur à 35 % qui s’applique aux profits réalisés dans le monde entier. C’est donc un lourd handicap pour la compétitivité. Démocrates et républicains sont d’accord pour faire baisser ce taux autour de la moyenne de l’OCDE, soit 25 % au maximum. Le second volet de la réforme concerne la suppression des 30 % appliqués aux profits faits à l’étranger au moment de leur rapatriement sur le sol américain. Ces sommes représentent actuellement 2.500 milliards de dollars. Le problème, c’est qu’il faut trouver un moyen de financer ces baisses d’impôt. La plupart des pays qui ont suivi ce chemin ces dernières années, y compris en Europe, ont choisi d’augmenter leur TVA pour compenser la baisse de recettes publiques. Mais aux Etats-Unis, il n’y a pas de TVA fédérale, chaque Etat collecte sa propre TVA. Si Washington ne veut pas creuser les déficits publics et augmenter la dette, il doit donc trouver un autre moyen de financement. C’est pour cela que l’administration travaille actuellement sur un programme de suppression des niches fiscales, ce qui est toujours délicat. C’est d’ailleurs pour cela qu’est apparue l’idée d’une taxe sur les importations qui permettrait de récolter 1.000 milliards de dollars. Mais là aussi, on voit bien que la mise en place d’une telle taxe aurait des impacts lourds sur le prix des produits importés.

Que pensez-vous de la révolution numérique qui est en cours ?

C’est extraordinaire. Nous vivons sans doute les temps les plus incroyables de mémoire d’homme. Un constructeur automobile comme Tesla, créé en 2003 et qui est aujourd’hui mieux valorisé que n’importe quel autre constructeur… Airbnb, né il y a 10 ans, ne détenant que peu d’actifs et qui vaut plus cher qu’Hilton, c’est dingue ! Les entreprises doivent non seulement envisager comment poursuivre leurs activités traditionnelles, mais aussi comment se réinventer elles-mêmes. Ce qui ajoute aux problèmes de productivité qu’elles peuvent rencontrer. A Paris, nous avons un espace dédié, EY Lab, ouvert à nos 25.000 clients pour codévelopper avec eux de nouvelles solutions pour améliorer leurs performances. Chez EY, nous avons 250.000 collaborateurs et 1.100 robots. Deux tiers d’entre eux travaillent pour nous avec les clients en dehors de la firme, et un tiers en interne pour nous améliorer. Aucun secteur n’est épargné.

Commence-t-on à avoir une idée claire de l’impact de cette révolution sur l’emploi ?

Dans certains métiers, à commencer par la fiscalité, les robots deviennent plus efficaces que les hommes. Et cela va particulièrement toucher les catégories professionnelles à bas et moyens revenus. De mon point de vue, bien plus que le Brexit, l’élection de Donald Trump ou que sais-je encore, la révolution technologique a un impact majeur sur l’économie mondiale. Un point intéressant et souvent ignoré : aux Etats-Unis, dans les 30 dernières années, le secteur manufacturier a doublé, mais avec un tiers seulement de travailleurs par rapport à cette époque-là. C’est la raison pour laquelle les gens s’inquiètent pour leurs emplois de demain. Les entreprises ont l’immense responsabilité de former leur personnel à de nouveaux métiers, ou tout du moins à de nouvelles façons d’exercer leur métier.

Le secteur du conseil n’est pas à l’écart de ces mouvements…

D’abord, il en bénéficie. L’activité de conseil se développe très fortement, particulièrement chez EY où nous enregistrons une croissance à deux chiffres pour la huitième année consécutive. Cette croissance est alimentée par le numérique, l’analyse des données, la robotique, la blockchain. Toutes ces nouvelles technologies participent à notre croissance, à quoi il faut ajouter que les entreprises de plus en plus globales et sensibles aux questions géopolitiques et de transformation n’ont pas de collaborateurs partout dans le monde. Donc, nous les aidons à décider où construire quoi et pourquoi, et à améliorer leurs opérations.

Comment voyez-vous EY dans 10 ans ? Ce sera une nouvelle firme ?

Nos métiers historiques, fiscalité, audit, conseil resteront des métiers essentiels, parce qu’indispensables à la bonne marche du business. Mais la façon dont nous allons les exercer va considérablement changer. Les services technologiques vont prendre de plus en plus d’importance dans les services que nous offrirons et nous allons devoir penser global encore et encore, pour que nos 250.000 collaborateurs à travers le monde soient une équipe mondiale. Nous embauchons de plus en plus d’ingénieurs et nous dépensons 525 millions de dollars par an pour former notre personnel. Les compétences, le profil de nos collaborateurs vont évoluer, mais je ne crois pas que les robots les remplaceront. L’intelligence artificielle permettra de libérer nos gens de tâches qu’ils faisaient habituellement, mais elle leur ouvrira aussi de nouvelles opportunités vraiment intéressantes.

FRANÇOIS VIDAL ET ANTOINE BOUDET (“LES ÉCHOS” DU 8 JUILLET 2017)

” Le principal risque qui plane sur l’économie américaine est le ralentissement de l’agenda économique du président Donald Trump, du fait du climat qui règne actuellement à Washington. ”

” Donald Trump est très soucieux de l’efficacité immédiate des mesures qu’il prend. Il veut aussi que son action à la Maison-Blanche soit conforme à ce qu’il a promis aux électeurs pendant la campagne. ”

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