Philippe Ledent

ChatGPT, peux-tu générer des gains de productivité ?

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

L’intelligence artificielle (IA) est considérée comme une source potentielle de transformation radicale des métiers et donc, du marché du travail, mais aussi comme un facteur susceptible d’entraîner des gains de productivité. La question étant de savoir quand, et à quel type de gains on peut ­s’attendre.

Rappelons que malgré l’adoption croissante de l’IA et d’autres avancées technologiques ces 10 dernières années, la croissance de la productivité dans de nombreuses économies développées a été relativement lente. Mais à vrai dire, l’impact tardif des innovations sur la productivité n’est pas propre à l’IA. L’électricité a été introduite à la fin du 19e siècle, mais elle n’a permis une accélération de la productivité qu’après la Première Guerre mondiale. Il en va de même pour les développements de l’internet et des ordinateurs personnels, au début des années 1980. D’où le fameux paradoxe de Solow: “l’ère de l’informatique est visible partout, sauf dans les statistiques de productivité”.

A la fin des années 1980, beaucoup pensaient que l’ordinateur s’était en définitive contenté de transformer le travail, sans accroître la productivité. En réalité, l’effet de productivité ne s’est manifesté que beaucoup plus tard. De 1995 à 2005, la productivité a augmenté aux Etats-Unis bien plus vite qu’auparavant (2,3 % par an en moyenne entre 1995 et 2005, contre 1,3 % au cours de la décennie précédente). Dans le cas de l’invention de l’électricité comme dans celui de l’ordinateur, la productivité n’a commencé à exploser aux Etats-Unis qu’environ 20 ans après l’apparition de la technologie, à un moment où près de la moitié des entreprises l’avaient adoptée. Notons par ailleurs qu’un tel boom n’a pas eu lieu en Europe, où la productivité a baissé après 1995.

De telles inventions ont d’abord entraîné une baisse de la productivité.

Bref, la littérature économique montre qu’en imposant des changements dans les méthodes de production, l’organisation des entreprises et l’investissement dans le capital humain, de telles inventions ont d’abord entraîné une baisse de la productivité. La croissance de la productivité tend dans ce contexte à suivre une courbe en J.

On pourrait certes faire valoir que la situation est différente cette fois et que les retombées de l’IA pourraient mettre moins de temps à se faire sentir. En effet, ChatGPT a été le produit le plus rapidement lancé de l’histoire – il a gagné 100 millions d’utilisateurs en deux mois –, parce qu’il était accessible à quiconque disposait d’une connexion internet et n’imposait aux utilisateurs aucun investissement matériel. En outre, l’interaction avec le langage naturel peut faciliter l’apprentissage, d’où une période plus courte d’investissement dans un nouveau capital humain. Mais cela n’effacera probablement pas totalement le profil en J, car l’IA générative requiert des investissements gigantesques dans des puces ultrarapides, des microprocesseurs et des centres de données.

Il est donc difficile de croire que la productivité bondira grâce à l’IA dans les prochains trimestres ou même les deux prochaines années. Mais à terme, on peut effectivement espérer que des gains de productivité viendront soutenir la croissance du PIB, par ailleurs nécessaire pour financer les énormes besoins imposés par le vieillissement de la population ou les changements climatiques, dont les investissements publics, au travers de la fiscalité. Encore faudra-t-il transformer l’essai, car l’histoire montre que l’Europe bénéficie moins que les Etats-Unis (pour ne citer qu’eux) des fruits des innovations technologiques. A cause, probablement, d’une trop grande inertie, de réglementations trop lourdes et peut-être même d’un manque ­d’ambition.

L’intelligence artificielle est présente dans la plupart des secteurs, ou presque, avec ses partisans et ses détracteurs, mais quel est son impact?

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